Dialogues, émission littéraire 23
Numéro 23 de l'émission Dialogues littéraires d'octobre 2012, produite par la librairie Dialogues et réalisée par Ronan Loup en collaboration avec la chaîne Tébéo. Invités : Nicolas d'Estienne d'Orves, Anne-Marie Cambon et Jean Rohou.
- Il est certain qu'il est bien plus connu aujourd'hui qu'il ne l'était quand nous avons battu la campagne napolitaine à sa recherche. Bien sûr, il restera toujours marginal, parce qu'il est parti et a parlé bien trop tôt. Trop tôt et pas assez fort. Je crois qu'il fait partie de ces gens qui ont raison même quand ils se trompent.
-... Tiens, j'ai même des bandes dessinées italiennes : dans celle-là, il paraît qu'il a été enlevé par les extraterrestres!
- Eh bien, on ne risquait pas de le trouver!
- De toute façon, on avait peu de chance. Qu'est-ce qu'on a cherché, Margarete?
- La solution de l'énigme d'une disparition. Mais d'une énigme sans angoisse. En espérant que, par un tour de lagie, elle métamorphoserait les nôtres.
Encore une fois Majorana s'éloigna; toujours à cause de Margarete. L'histoire récente avait gommé ce destin déjà si fantomatique de son vivant. La douleur si particulière, si transparente, d'Ettore ne faisait pas le poids face à l'immense tas de morts des dernières années. Comme un raz de marée, l'Histoire l'avait embarqué et l'entraînait violemment loin du monde clos de Majorana.
Mais Majorana semblait avoir une lecture immédiate de la « nature des choses » que lui-même (Enrico Fermi) n’aurait jamais au même point. Il a dit plusieurs fois qu’il le considérait comme un « génie », il le comparait même à Galilée et à Newton et je ne pense pas qu’il se soit jamais lui-même considéré comme tel. Et pourtant, croyez-moi, il ne se mésestimait pas.
Dans votre lettre, c’est à cette anecdote sur son arrivée à l’Institut et à sa « révision » des calculs de Fermi que vous faites allusion, je suppose, et vous me demandez si celui-ci, à l’époque, aurait pu en prendre ombrage. Franchement, je ne le crois pas. En revanche, je crois que dès le jour de son arrivée Fermi fut fasciné par Majorana et qu’il l’est toujours resté, même longtemps après sa disparition. En tout cas, ils se lançaient souvent des défis de calcul, l’un armé de sa calculette, l’autre se retournant contre le mur pour calculer de tête les mêmes équations. C’était un jeu.
Mais Majorana semblait avoir une lecture immédiate de la « nature des choses » que lui-même (Enrico Fermi) n’aurait jamais au même point. Il a dit plusieurs fois qu’il le considérait comme un « génie », il le comparait même à Galilée et à Newton et je ne pense pas qu’il se soit jamais lui-même considéré comme tel. Et pourtant, croyez-moi, il ne se mésestimait pas.