[...] ... Son regard revint se poser sur le policier. Runcorn était son nom, d'après l'infirmier. Il fallait qu'il se jette à l'eau.
- "Ai-je eu un accident ?
- J'en ai bien l'impression," répondit Runcorn d'un ton détaché. "Votre cab s'est retourné, vous parlez d'une pagaille ! Vous aviez dû heurter quelque chose à toute allure. Le cheval s'est affolé."
Il secoua la tête ; les coins de sa bouche s'affaissèrent.
- "Le cocher a été tué sur le coup, le pauvre diable. Sa tête a cogné le trottoir. Comme vous étiez à l'intérieur, ça vous a partiellement protégé. J'ai eu un mal de chien à vous dégager. Un poids mort. Jamais je n'aurais cru que vous étiez aussi costaud. Vous ne vous souvenez pas ? Même pas de la frayeur ?"
A nouveau, ses yeux s'étrécirent.
- "Non."
Aucune image ne vint à l'esprit de Monk, aucun souvenir de la vitesse, du choc ou de la douleur.
- "Vous ne vous rappelez pas où vous alliez ?" reprit Runcorn sans grand espoir. "Sur quelle affaire travailliez-vous ?"
Monk se cramponna à la perche, enfin quelque chose de tangible ; il craignait presque de poser la question, de peur qu'elle ne se désintégrât à son contact. Il dévisagea Runcorn. Il devait forcément connaître cet homme, personnellement, voire même de près. Mais sa vue n'éveilla pas le moindre souvenir.
- "Eh bien ?" insista le visiteur. "Vous ne vous souvenez toujours pas ? On ne vous avait envoyé nulle part ! Que diable fabriquiez-vous ? Vous aviez dû découvrir quelque chose de votre côté. Vous rappelez-vous ce que c'était ?"
Le brouillard demeurait impénétrable.
Monk remua imperceptiblement la tête en signe de négation, mais la bulle de joie à l'intérieur de lui persista. Il était lui-même de la police, voilà pourquoi on le connaissait. Il n'était ni voleur, ni fugitif. ... [...]