Elle prit des bras de Jette le petit paquet endormi et le coucha délicatement sur le matelas usé du landau dans lequel une foule de bébés avaient déjà été baladés à travers Schöneberg. Un tel véhicule coûtait beaucoup d'argent et les femmes du quartier se le prêtaient entre elles jusqu'à ce qu'il tombe littéralement en piéces.
Tant que les hommes traiteront d'autres hommes comme des bêtes, notre monde ne tournera pas rond, dit-elle.
Mais je crois que la musique a des vertus salvatrices, elle crée un lien entre les hommes. Mieux que les mots qui sont souvent source de malentendus.
Il y a différentes sortes de secrets, (...). Certains devraient être relâchés en liberté, mais d'autres ne causeraient qu'un trop grand malheur inutilement. Je préfére garder celui-ci sous clé.
Mais l'appétit vient en mangeant, l'amour vient avec le mariage, vous verrez.
Le spectacle d'un enfant affamé est aussi dur à supporter à Mitte qu'à Schöneberg.
Après tout , je suis veuve. Et Harr Martin a perdu sa femme il y a à peine un an. Pourquoi se précipiter ?
- Parce que tout peut être déjà trop tard avant même qu'on s'en aperçoive, dit Hulda.
Et elle ne pouvait même pas leur en vouloir car quand le présent était gris et déprimant, et l'avenir, incertain, que restait-il à part la nostalgie ?
Il ne voulait pas ôter au jeune homme son espoir. Cela faisait trop longtemps qu'il était en vie pour cela, il avait vécu trop de choses. Et pour le moment, c'est vrai, tout faisait penser à un éclatement de vieilles chaînes, au progrès, à l'avenir. Pourtant, combien de fois, dès que la situation paraissait se stabiliser, s'était abattue sur l'humanité la nouvelle catastrophe qui effaçait toute idée de liberté ? Il suffisait que quelque chose voie son équilibre menacé, comme le monde de la finance l'hiver précédent pendant l'inflation, ou qu'une épidémie apparaisse, comme cette terrifiante grippe espagnole quelques années auparavant, pour que les nobles intentions de lâcher la bride aux hommes soient reléguées aux oubliettes. C'étaient alors la peur, la jalousie et le totalitarisme qui rependraient le pouvoir.
C’est étrange à quel point une vie peut tenir à un simple petit fil. Les enfants que je mets au monde sont tous des feuilles blanches. Ils se débattent à la lumière, s’accrochent à la vie de leurs doigts minuscules mais si forts. Et puis c’est parti comme sur un toboggan, sans qu’on sache où il mène. Un faux pas, une bosse sur le parcours et on est éjecté. Le voyage est terminé avant même qu’on s’en rende compte.