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Citations de Annick Le Scoëzec Masson (45)


Là, au milieu des bois,
il n'est point de jour ni de nuit,
juste une suite d'instants comme des perles,
la lumière qui tour à tour fuit
et puis déferle.
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Et mon œil se leva sur la ligne oscillante,
il s'ouvrit en grand, entraînant avec lui
mon cœur et tout mon être vide,
prêt à se laisser ravir
par l'illusion née
d'une clarté fracassante.
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- Tu te trompes sur mon compte, à propos de Joseph.

La voix de Béatrice, subissant une inhabituelle loi de la gravité, allait s’échouer sur les pavés ; elle y glissait, s’immobilisait dans une anfractuosité avant de s’infiltrer comme une eau de pluie. Rues du vieux Rochefort. L’arc de triomphe qui donnait sur l’ancien Arsenal. Au couchant, placé dans un certain axe de l’artère tracée en face, on pouvait voir l’astre se cadrer dans la porte. C’était une affaire de géométrie, de galaxies et de calculs mis au point par les astronomes et les architectes d’un grand Louis. L’orgueil des Rochefortais, l’objet de leurs récits les plus admiratifs, l’évocation d’une réalité qui, pour eux, ne devait plus rien à l’histoire. Béatrice connaissait le prodige. Elle l’avait vu avant même que d’apprendre à marcher. Un phénomène extraordinaire qu’elle ne manquait jamais de lui rappeler lorsqu’elles abandonnaient les allées verdoyantes du jardin de la Marine. La rue de l’Arsenal offrait, droit devant, l’emblème de la monarchie française sous son angle le plus symbolique. Depuis plus de deux siècles, les jours d’équinoxe, elle regardait décliner le soleil.

- Toi, bien sûr, tu te promènes toujours dans des choses idéales.

Elle l’écoutait rue Bégon, toujours pleine de relents d’après-guerre, avec les murs craquelés de ses immeubles vétustes. Dans ce quartier de l’ancien port, théâtre de ses toutes premières phrases, la tristesse s’était brutalement abattue. Cela se voyait encore sur quelques photos écornées, entassées dans la boîte à chaussures où elles avaient subsisté malgré plusieurs déménagements, et qui ravivaient le souvenir de mornes promenades dominicales, les mois d’hiver, le long du bassin encombré par les carcasses de navires envasés, les déchets d’une navigation devenue incertaine, un lointain rappel du temps des colonies, du commerce des bois d’Afrique. Un décor exténué de fin d’empire où le sourire obligé d’une fillette en chaussettes de laine, aussi haute que les fourrés de roseaux d’une nature qui reprenait ses droits, ne parvenait pas à annuler l’impression d’un récent drame obscur.

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Une touche de vert et de rouille,
La nacre .d'un gris sale où transpire
la palette de l'Iris:
c'est le bain des buffles dès que le soleil frappe,
un oiseau debout sur chaque dos .

Dans le village un barbier
rasait le crâne d'un vieillard au teint clérical,
ne lui laissant qu'un toupet
pour le lier avec le ciel .
P65 Eros
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L'automne arrivait. Je regardais le ciel changer.
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Jade le savait-il ?
Un jour, quelqu’un
percevrait ce duo de cithares
sur le tombeau des Ming.
Quelqu’un, feu et glace,
chercherait sa trace
dans la fièvre grise,
le tumulte des rues.

Le siècle basculerait encore
dans un vide éperdu.
Murmures, halètements,
rires, étoffes froissées,
frottements de pieds nus
sur les dalles ?

Plutôt les cris,
le mouvement machinal
de milliers de pas
sur le quai,
l’orage
des foules hagardes.
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(Joseph ! Pourquoi l’avait-il emmenée faire une promenade dans la réserve ? Il se sentait le cœur pris d’une indolence heureuse, disait-il, tellement nouvelle. Peut-être l’arrivée de l’été. Quelque chose dans le poudroiement de la lumière qui transmuait la végétation, lui dictait son point d’équilibre. Elle marchait sur la route en faisant claquer ses chaussures plates, indifférente au son commun qui couvrait à intervalles réguliers le bruissement des roseaux, de la folle avoine et des roses sauvages. Peut-être son regard était-il aimanté par la silhouette de l’ancienne cité portuaire, comme un point de repère pour le maintien de sa démarche hautaine. Il l’avait attrapée par le poignet, tenait sa main prisonnière puis l’ouvrait, la déplissait en la caressant avec la sienne. Avec l’ongle de son index, il parcourait les lignes qui la sillonnaient.
- Il vaudrait mieux s’arrêter au pied des murailles.
- Pourquoi ?
- Une superstition. Je ne veux pas prendre le risque.
Le vol d’un héron stria le bleu. Il cligna des yeux du côté de Brouage qui lui apparaissait tout à coup comme le mirage d’une ville après une longue traversée de désert. Il cilla sur la violente explosion des couleurs autour d’eux, eut la brutale impression que les rouges hurlaient. Il se rendit compte tout à coup : “Mon Dieu, il n’y a pas un seul arbre ici !” Elle soupira, s’épongea à son tour le front d’un air accablé : “Les rêveurs, moi, à la longue, qu’est-ce que ça me barbe !”)
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La République triomphante, c’était selon l’allégorie d’un affichiste en vue chez ces Messieurs de la Chambre, une femme blonde vêtue de gaze, portant dans ses bras écartés des palmes et des couronnes de laurier en or. Elle était dressée sur un socle au pied duquel se trouvaient des représentants féminins de l’Empire, venus des lointaines colonies de la Cochinchine et du Tonkin, l’une assise, l’autre penchée, munie d’un éventail au bout d’un manche qu’elle tenait à l’épaule. En contre-plongée de cette apothéose, la Seine et ses ponts, puis au loin la tour Eiffel et, esquissés, les fameux pavillons qui s’échelonnaient jusqu’aux confins. Ce qui se détachait de cette perspective, c’était la Porte monumentale de l’Exposition, à la structure élancée et surchargée de fresques et de sculptures comme si on avait voulu prendre pour référence un palais des Mille et Une Nuits. Pour ces travaux d’Egypte, on avait d’ailleurs fait venir plus de quatre mille ouvriers, dont certains Russes originaires d’Irkoutsk, près du lac Baïkal, mais aussi autant de manœuvres de cet Extrême-Orient reculé qui faisait rêver les opiomanes. C’étaient des Laotiens et des Annamites que les Parisiens voyaient déambuler les jours d’intempérie comme autant de “chinois” dans les rues de la capitale, donnant ainsi un avant-goût exotique du spectacle promis. On avait dit beaucoup de bien de la Porte de la Manufacture de Sèvres, un monument de céramique émaillée, mais aussi du Pavillon du Creusot et, au-delà de l’avenue de Suffren, on racontait que se bâtissaient les non moins curieux Pavillons de la Chasse, de la Pêche et des Forêts, offrant ainsi au regard l’étalage le plus divers de ces techniques millénaires, ce qui n’aurait pas déplu au regretté Ferdinand, amateur de nature, de botanique et de cette science nouvelle de la vie qu’on appelle, je crois, l’écologie. Mais le plus extraordinaire, - on était dans une telle surenchère que rien, d’ailleurs, ne pouvait plus étonner -, c’était une grande roue qu'on allait placer à l’angle de la Motte-Picquet. Enfin, comment les masses ne seraient-elles pas éblouies à la vue de l’allure que prendraient le Palais de la Fée Electricité et sa colossale fontaine lumineuse, qui répandrait des flots multicolores sur les faces médusées, d’une manière plus époustouflante que ses devancières, ignorantes de cet artifice révolutionnaire ou, encore, comme dans une machine à remonter le temps, le “Vieux Paris” qui se proposait de reconstituer sur les bords de la Seine, les quartiers populaires de la capitale au Moyen Age, avec leurs échoppes, leurs tavernes, le dédale de leurs coupe-gorges ? Est-ce que 1900, se dit la Duchesse, ne s’ouvrira pas, au bout du compte, comme un rideau de théâtre sur un décor tragique ? Est-ce que ce ne sera pas une nouvelle galerie des glaces déformantes, un énième cabinet des curiosités ? Voyagera-t-on vraiment dans une illusion féérique tel Gulliver dans un univers rapetissé, où tout serait à portée de la main, ou n’assistera-t-on pas, plutôt, à un dangereux simulacre de puissance ?
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«D’abord, elle avait tourné autour de la table avec de petits cris. Ses bras avaient esquissé les mouvements d’une danse gênée et un peu ivre. Elle s’était mordu la joue : « Quelle folie ! Vous allez encore me faire rire ! Vous vous êtes surpassé, ce soir ! Mais, aujourd’hui, pourquoi ? Vous savez en outre que, dernièrement, je mange si peu ! » « Et comment le saurais-je, il y a une éternité ! » Puis elle s’était enfin assise, avait commencé à picorer. « Ne faites pas de manières ! Il y a si longtemps !» La lumière des chandelles ravivait son teint. Des ombres bougeaient autour d’elle et sa robe, encore légère et comme libérée de tout ce qui pouvait sangler, lacer et comprimer, interdire au toucher les formes souples du corps, laissait bailler une manche le long de son bras. « J’ai tant de choses à vous dire ! avait-il murmuré. Ce soir, c’est moi qui dois vous parler ! Vraiment, une éternité ! » « Trois semaines à peine, mon ami, peut-être un mois ! » « La dernière fois que votre femme de chambre est passée me faire savoir, comme à l’habitude... » Lui annoncer que Madame serait au Bois à moins que, avait-elle ajouté, ce ne fût le jour où elle s’était rendue à Versailles. Oui, il savait qu’elle aimait son parc. Comment l’aurait-il ignoré ? Elle aimait son parc, avait-elle tenu à lui rappeler. Trianon, de plus en plus enchanteur, vous ne trouvez pas, et la saison, ces splendides soirs d’automne, la joie dont ils vous emplissaient le cœur sans jamais y instiller leur arrière-goût de mort ou, du moins, si cela venait à se produire, c’était plutôt comme une impérieuse envie que la mort vînt, foudroyante, d’une jouissance inconnue, phénoménale… Oui, peut-être Versailles, la dernière fois. Le marquis y avait une vieille amie. S’éloigner de temps à autre de l’infernal tourbillon. Mais n’était-ce pas plutôt à l’Opéra ? On jouait l’Orfeo de Monteverdi, n’est-ce pas ? L’avait-il rejointe dans sa loge ? Il faisait chaud encore, se souvenait-il. C’était à la fin de l’été, un bouillon ! Il n’avait pu rester jusqu’au bout, à moins qu’elle n’eût finalement, comme cela lui arrivait souvent, changé d’avis. Non, plutôt lui, avait-elle corrigé, qui avait décliné. Voilà pourquoi ils ne parvenaient plus à se souvenir du dernier rendez-vous. Ne disait-il pas souffrir tout récemment de petites indigestions ? Elle s’inquiétait de son état. »
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- Pour des gens comme moi, avait-il repris avec une grimace, toute déchéance dans une société déchue est bonne à priori. Mais, pour un barbare tel que vous...
Un flux de sang lui était monté aux joues, suivi d’un accès de toux qui avait couvert l’agitation pendant quelques secondes. Puis, se reprenant :
- Moi, je vous voyais plutôt dans un environnement qui permettrait à vos sens… de se régénérer. Que diriez-vous d’une escapade en forêt ?
C’est alors qu’il lui avait parlé du Harvouët, la propriété familiale en lisière de Brocéliande. Le printemps approchait. Les jours s’annonçaient plus cléments. C’était là-bas la saison des camélias. Le lilas, aussi, s’apprêtait à refleurir. « Le paysage, Marvillèse ! Vous n’y avez jamais pensé ? La futaie de Paimpont ou la lande, les tourbières et les ajoncs de l’intérieur, le tapis mauve des bruyères, c’est comme vous voudrez et, pour ne pas perdre la main, je vous offre un cadeau en prime, l’occasion d’un bien touchant portrait. Ma jeune sœur va sur ses dix-huit ans. Une femme, déjà ! »
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Annick Le Scoëzec Masson
Puis, les ans passant, ce furent aussi de ces poètes à la langue fleurie, montés des autres bouts du royaume des Francs, et dont le chant se répandait, rivière au dégel, rhétorique langoureuse, non pour dire les joutes, la charge, choc et mêlée sous une pluie de flèches, non plus les veines tranchées, les cercles décrits par l’épée, la boue et les destins s’achevant sous les cabrements, mais la vie bouillant dans les corps et les cœurs, le sentiment habituellement dû au seul Seigneur, le fluide poussant l’une vers l’autre les âmes, dans une maîtrise qui n’était plus celle des armes, mais des plus hautes envolées de l’esprit.
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À vous attendre, le premier mitan de nuit
passa tel un frisson
le temps qu’il parcourt la ligne
allant de mes reins à mon front.
Le reste fut longue errance
dans les sables infinis
de mon chagrin.
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Oh, chut, tais-toi, ne dis mot !
C’est bien moi le voleur, l’ingrat !
Moi qui flirtais avec les filles,
dans les eaux folles de la Yamouna.
Je t’ai laissée trop longtemps,
guettant en pleurs derrière les grilles
du palais d’été quand le vent
descendait mugissant, en vrille,
depuis les sommets encore blancs.
Je t’ai laissée errer, honte à moi,
dans Vrindâvan, seule, ses dangers,
quand tu allais guidée par le regret
de tous nos plus joyeux émois.
Quant au mépris de ta renommée,
tu interrogeais fière les vieilles
non pour leur demander conseil
mais si d’aventure elles avaient vu dans l’air
pieux passer le souffle du dieu bleu.
Hélas, nul n’osait te le dire.
Personne, l’entendras-tu sans rougir ?
Car ces propos sont pur mentir.
N’as-tu pas rêvé, Râdhâ,
l’émouvant repentir
de ton amoureux Krishna ?
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C’est le miel soyeux de ta bouche
Madhava, que je sentais sur ma peau
en marchant,
pareil à l’air de la nuit,
à ce flottement de lune
entre les branches du cannelier,
enveloppant toute chose
de l’infini bruissement
de ton être vivant.
C’est le murmure de tes lèvres
que j’écoutais dans la dense obscurité,
la chaleur de ton haleine
à mes oreilles.
Et pourtant,
j’avais beau te chercher sans crainte aucune
dans les bois sauvages de Vrindâvan,
parmi les ronces et les taillis,
je me retrouvais seule, une ombre longue à mes côtés,
au milieu de la verte, de la plate
immensité.
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Cette fois, c’était elle qui était mordue, faisaient les observateurs, et cela excitait plus encore leur curiosité car, à l’allant de sa personne, à cet éclat qui s’en dégageait toujours, ces amours avaient ajouté un je ne sais quoi de mélancolique auquel la maturité apportait ses atouts. Personne, alors, ne regretterait les soirées où elle harponnait ses galants de la manière qui avait fait écrire dans ses Mémoires à l’un de ses admirateurs : «Ses amants, Mme de C. les choisit le plus souvent parmi les bohèmes de la Butte Montmartre, les assidus du Chat Noir ou de L’Âne-Rouge, les farceurs du cirque Medrano, les débauchés du Bal des Quat’z’Arts, les adorateurs de la Goulue, ceux que l’on voit jaillir dernièrement comme des coquelicots dans un salon à la mode de la Nouvelle Athènes, comme chez cette Mme de R., par exemple. Ancienne lorette ambitieuse, notre « éberluée d’alcôve », ainsi dénommée par un chroniqueur opiomane et nyctophile, est devenue, une fois les boiseries de son home refaites avec un luxe tapageur et juste ce qu’il faut de japonaiserie, la poétesse « pélléastre et saphique de l’avenue Frochot ». Mme de R. taquine la muse. Au fond, qui s’en plaindrait puisque personne ne l’écoute et que l’on rit à ses dépens. À défaut de gâter ses hôtes de nourritures authentiquement spirituelles, ce sont de vrais festins des dieux qu’elle offre en échange d’un semblant d’attention. Tout le monde sait que tout le monde y va, que le lieu est inévitable et que la représentation se trouve dans la salle. Le samedi soir au son du piano, Mme de R. décline ses litanies pendant que, derrière les rideaux, s’ourdissent les drames les plus sombres, - dénonciations politiques, avalanches de carrières dégringolant à la lueur d’un délit d’initiés - tandis que les oreilles se tendent vers la trahison d’un secret d’alcôve ou le récit de l’une ou l’autre coucherie. Dans le théâtre élisabéthain qui se joue en coulisses, pendant que la morne voix s’enfle soudain comme la promesse d’un orage, les faces-à-main se posent sur des visages goguenards, dissimulant joutes et fusées, persiflages et railleries les plus garces. On entend alors s’élever la parole suave de celle qui excelle dans l’art du spectacle : « Où donc se trouvent les water closets, cher Johnson ? Ces ‘roses moribondes dans le soir effondré’, ces ‘amours mûrissant sous l’aube parfumée’, j’en ai la vessie toute émotionnée. » Qui doute alors un seul instant que l’intérêt pour le sieur tellement flatté qui repart dans ce beau sillage ne s’effondrera pas aussi vite que le parfum des roses poétiques de la maîtresse de maison ? Mais qu’importe, parce que M. de C. possède le talent d’offrir au monde, sans jamais lasser, une plastique qui le dispute seulement au piquant d’un esprit que l’on s’arrache en tout lieu. »
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Fu de Wang Weï

Les courbes d’un relief
au-dessus des nuées.
La vapeur de rivières
parmi les rizières.
Des villages au flanc
de montagnes grasses.
Hérons au vol bas.
Quelque aurore,
une soirée automnale
sur l’enclos
à l’arrière-saison.
Le pavillon retiré sur une éminence.
Le « il y a »,
le « ce qui est ».

Et puis,
la mélancolie des amis partis,
qu’on ne verra plus,
et cette envie
de flâner sans fin,
ne plus vouloir rentrer,
retourner toujours aux bois familiers
me font penser
aux miniatures
de très riches heures,
celles des frères de Limbourg,
pour le duc de Berry.
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Pourtant, à mesure qu’il avançait, que les souvenirs surgissaient en rafales - des images, des voix, la voix de tous ses disparus -, il pensait aussi aux autres, les morts en sursis dont il partagerait bientôt le sort. Tout cela, se disait-il, pour quelle victoire ? Il n’y a pas de victoire. Qu’en ai-je à faire, d’ailleurs ? Rien qu’une énième guerre dont le sens nous échappe, loin qu’il est de nous, placé entre les mains de la postérité. Rien qu’une énième avancée dans l’aventure des techniques, une nouvelle formidable accélération de l’histoire, un moyen radical de faire changer les choses. Après, évidemment, plus rien ne serait comme avant. Mais de quelle platitude mensongère pouvait-il se prévaloir quand le drame de tous ces gosses, se faisait-il, c’est qu’ils vont au casse-pipe dans un mécanisme de régulation qui requiert leur peau. Ils les sentait marcher autour de lui, de ce pas aussi ferme et décidé, la tête pleine de chimères, et pensait au moment où certains pleureraient comme les enfants qu’ils sont et que lui, il ne pourrait pas leur expliquer que tout avait été prévu avant même leur naissance. « Moi, leur disait-il en imaginant la conversation qu’il n’avait pu avoir, en perdant la vie, je la gagne ! Je la gagne, nom de D… ! » Si seulement, il avait pu leur faire savoir qu’ils pourraient s’abriter derrière lui, qu’il leur offrirait son corps en guise de bouclier, que lui, il était vraiment venu pour cela, pour se laver de tout un tas de vieilles dettes, et d’une obligation aussi, peut-être, à l’égard de celui par qui il avait vu le jour, parce que plus rien, dans ce monde borné de la jouissance, ce cénacle de géants furieux, d’aigles et de poissons voraces, rien n’avait de sens et que, même ceux qui en profitaient, ceux qui n’y croyaient pas, eh bien…. « Moi, les gars, je ne vais pas vous dire que ça sert à quelque chose, non, je ne vais pas vous raconter ça. Ni vous chanter : que sont les guerres devenues ? Parce que son temps, on est bien obligé de se le coltiner. Alors, cherchez en vous, les mômes ! Appelez-ça devoir si ça vous va. Oui, devoir, c’est ce que l’on doit ! Moi, en perdant la vie, je la gagne. Je gagne une terre pour mes os, une terre, c’est ce qu’on appelle… »
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Dans cette orgie de blancheur je me suis
assise
et Mahâvîra, je l’ai vu :
c’était ce tremblement
dans la vapeur dorée d’un jardin
immobile,
les herbes folles et bleues,
la masse charnue d’une poignée de
glaïeuls,
le vibrato d’un après-midi
où tu posais dans l’ombre pour la photo,
entre les canaux
sous un feuillage liquide
quelque part
du côté de Shâlimâr.
("Le Brahmine", p.61)
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Une jambe repliée sous la cuisse,
l’autre en suspens,
il trône
dans la moirure que glisse
la pénombre.
Il regarde, tourne et retourne ses doigts
où poussent les rubis,
ses ongles, coquillages
du fond des océans.
À son oreille tremble une perle
couleur de lune et ses yeux sont
salamandres.
("Rasamanjari", p.
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Annick Le Scoëzec Masson
Elle arrive pieds nus sur la mousse,
cliquetis à son bras,
froissement de hanches.
Son voile accroché aux branches
dénude son front haletant.
Sans un mot elle étend
son corps lourd sur la rive.
L’attente a pris un goût de rien.
Un rire soudain
crève son tympan.
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