Citations de Annie Cohen-Solal (30)
S'il convient d'éviter toute généralisation hâtive et de considérer que l'effet Veblen n'est pas nécessairement le premier motif d'achat de l'ensemble de ces nouveaux venus, il n'en demeure pas moins que dans certains cas la motivation est patente. Harry Bellet le soulignait lors de l'achat par le milliardaire chinois Wang Jianlin de Claude et Paloma, un Picasso de 1950, pour 28,1 millions de dollars au cours d'une vente considérée comme de qualité toute relative selon les experts, et alors même que l'estimation initiale jugée comme déraisonnablement élevée était de 12 millions de dollars : "Ce n'est plus un Picasso, c'est un Wang Jianlin... Et c'est une première explication à ces prix délirants : la maison de vente a révélé le nom de l'acheteur, c'est donc qu'il voulait que cela se sache. Certains s'offrent ainsi de la notoriété.
Nathalie Moureau, Tout ce qui brille n'est pas or, p. 43
Puisqu’il souhaitait proposer au public non pas un simple tableau mais tout un environnement non pas une simple visite mais une véritable expérience non pas un simple moment passager mais une authentique révélation, il était condamné à innover.
N'est e pas une illustration parfaite, pour cette période, d'une histoire de ces réseaux marchands impliqués dans le capitalisme occidentale au XXe siècle, dans un schéma eschatologique, comme naguère le réseau des juifs sépharades, chassés d'Espagne, assura le commerce autour de la péninsule Ibérique en Europe, en Afrique, et bien au de-là ?
Derniers soubresauts d'un adolescent lucide , orgueilleux et fou : entre douze et quinze ans, attaqué sur tant de fronts, mis à l'épreuve par tant de stigmates, Jean-Paul Sartre, furieux, enragé, lança les fondations d'une personnalité sociale : la sienne. Trouvant une énergie considérable pour s'arracher du personnage de petit garçon singeant l'adulte, de la délicatesse d'enfant gâté, de fils unique, de fleur de serre qu'Anne-Marie avait, en partie, crées. Lucide, il le fut, et fort douloureusement ; peut-être même fut-ce là sa seule vraie force en ces temps difficiles. "Je suis un génie", se dit-il de plus en plus. Haine, violence, maladresse, réflexes de bête traquée, le prince adulé se réveilla crapaud, l'enfant-roi misérable fanfaron, cherchant sa voie dans un indescriptible mélange d'échecs, de rejets, de mensonges et de haine de soi.
En fait, c’est progressivement que Picasso parvient à affirmer son identité dans le labyrinthe parisien, à travers une odyssée en cinq étapes. Et ce sont la plupart du temps d’autres parias- des groupes ou des individus- qui jouent pour lui la fonction de gate- openers: le réseau des Catalans de Montmartre ( dont la générosité devient une malédiction); Max Jacob ( qui donne accès à la langue et aux premiers codes); Guillaume Apollinaire ( qui donne accès à la toute- puissance de la poésie, à l’audace du créateur); les Stein (qui fournissent les moyens financiers et la liberté du choix esthétique); la communauté de Gòsol, enfin (qui permet l’accès à une identité intégrée.
Pour une frange de la société française, Picasso devient l'archétype de !a menace, puisqu'il va représenter de plus en plus, tout ce que les patriotes détestent : il est riche, célèbre indéchiffrable, incontrôlable, cosmopolite.
En fait, c'est progressivement que Picasso parvient à affirmer son identité dans le labyrinthe parisien, à travers une odyssée en cinq étapes. Et ce sont la plupart du temps d'autres parias- des groupes ou des individus- qui jouent pour lui la fonction de gate- openers: le réseau des Catalans de Montmartre ( dont la générosité devient une malédiction); Max Jacob ( qui donne accès à la langue et aux premiers codes); Guillaume Apollinaire ( qui donne accès à la toute- puissance de la poésie, à l'audace du créateur); les Stein (qui fournissent les moyens financiers et la liberté du choix esthétique); la communauté de Gòsol, enfin (qui permet l'accès à une identité intégrée).
En 1886, Gauguin écrivait : j’aime la Bretagne. Quand mes sabots résonnent sur le sol de granit, j’entends le ton sourd mat et puissant que je cherche en peinture.
Cependant, l'oeuvre contemporaine a tendance à transformer notre perception esthétique en fonctionnant comme un "flash", ou "conformément à "l'économie de l'attention" propre à la publicité".
Nathalie Heinich, Le paradigme de l'art contemporain, p. 321
Cristelle Terroni, Comment définir l'art contemporain, p. 57
La règle de cherté affecte notre goût de telle sorte que dans notre estime les signes de cherté s'amalgament inextricablement aux traits admirables de l'objet, et que le résultat de cette combinaison se range sous une idée générale qui porte le seul nom de beauté.
Thorstein Veblen, Théorie de la classe de loisir (1899), Paris, Gallimard, 1970, p. 87
Nathalie Moureau, "Tout ce qui brille n'est pas or", p. 29
Ce que je recherche dans l’art, de quelque période qu’il soit, écrira t-il plus tard, c’est l’énergie imaginative, le rayonnement, l’équilibre, la composition, la couleur, la lumière, la vitalité, l’élégance, le bouillonnement, une capacité à transcender la vie et à s’élever au dessus d’elle, en rejetant tout emprise.
Dans ces conditions, il !e sait, sa marge de manœuvre est réduite et le moindre faux pas peut avoir des conséquences désastreuses. Sa célébrité le protège et l'expose tout à la fois.
Et c'est au cours de ce voyage que le 3 avril 1940, Picasso dépose auprès du garde des sceaux, pour la première et dernière fois de sa vie, une demande de naturalisation, dont à peine quatre ou cinq personnes étaient informées et dont il ne s'ouvrit jamais, plus tard, à personne.
The Steerage (1907) (…) capture des personnages entassés sur deux ponts de bateau, pont inférieur, pont supérieur, classe inférieure, classe supérieure, avec châles de prière, bretelles, fichus de paysannes en bas, canotiers blancs, feutres, femmes élégantes en haut, deux classes sociales séparées par une passerelle longue, blanche, oblique et interdite, avec ses barrières de chaînes, comme une vision paradigmatique de l’immigration.
" je me conduis très mal avec tous mes amis je ne ecris à personne mais je travaille je fais des projets et je ne oublié personne et vous" Extrait. Lettre de Picasso à Kahnweiler le 11 avril 1913
Picasso décide de se soustraire à la temporalité archaïque des rituels familiaux, (le mariage de sa sœur) de se dégager de l'emprise étouffante incarnée par sa mère : il se dédouane à son égard par une transaction financière en achetant sa liberté. Ce n'est qu'au prix de ce double mouvement- émancipation et intégration-, il le sait, qu'il pourra avancer.
Depuis des semaines, je tourne autour du mystère de la rue Vignon : comment une minuscule galerie parisienne de quatre mètres sur quatre, coincée derrière l'église de la Madeleine, dans laquelle un apprenti marchand s'installe dans ces conditions, devient-elle, en seulement sept années, le tremplin unique pour la conquête d'un territoire de vingt-huit millions de kilomètres carrés, aux frontières exaltantes et extensibles ?
Toute sa trajectoire est tendue vers le travail, l'exploration sociale, l'intégration et le dialogue avec les maîtres.
Ainsi, la bénédiction du réseau catalan qui avait accueilli Picasso sur la butte Montmartre- ce territoire parisien où" le monde du plaisir rencontrait le monde de l'anarchie " - allait très vite le marquer comme une véritable malédiction pendant plus de quarante ans.
Le surintendant des beaux-arts de Napoléon III, et directeur des musées, donc la plus haute autorité en matière culturelle rejetait le réalisme et les tendances esthétiques de Barbizon : « une peinture de démocrate, de gens qui ne changent pas de linge ».