Citations de Anselme Baud (28)
La montagne est souveraine, imprévisible, magnifique, inhospitalière, infiniment précieuse, nécessaire, mortelle : elle est tout cela selon qui la regarde. Et les hommes qui l'aiment le savent au prix du deuil.
« Je pris possession de mon métier de guide [...]. Il me sembla devenir tout à fait le capitaine de mon existence. »
Gaston Rébuffat
« L'esprit vient de la vie : il est dans les montagnes, les rivières, l'herbe et les arbres. »
Gao Xingjian, "La montagne de l'âme"
La montagne vit. Elle a ses bons et ses mauvais jours, des colères latentes et des menaces en germination. Tantôt elle épargne le présomptueux, tantôt elle frappe aveuglément, à croire qu'il existe une succession d'erreurs au-delà desquelles il n'y a plus de grâce possible, trop de piétinements imprudents, trop de désinvolture, trop d'hommes encombrés et fragiles à l'assaut de ses flancs, qui grimpent en oubliant ses humeurs de colosse.
Il se met à genoux, brise une motte de terre gelée et réalise que son labeur n’est pas si différent de son devoir de père. Planter, nourrir, soigner et faire germer.
Les montagnes sont mes marraines de berceau et me soufflent leurs sortilèges depuis que je sais me tenir debout, alors il faut que je grimpe partout, sur les talus, les rochers, dans les arbres, à l'assaut des sentiers ou sur le toit des remises. Chaque fois que je lève le nez, elles sont là, solides, immenses, changeantes, tantôt lustrées, comme nimbées de lumière, tantôt sombres, la face rembrunie, et leur froid me pénètre tout entier. C'est comme si le vertige m'aspirait à l'envers, un appel à aller voir plus haut !
Dès que la nuit tombe, je suis saisi par le froid des hauteurs qui me coupe le souffle, comme si la pureté des l'air était trop aiguë pour mes poumons. Cela me rend absurdement heureux, parce que l'aventure s'accompagne nécessairement d'un peu de souffrance...
Respirer, garder l'équilibre, écouter la rumeur du vent, ouvrir son regard à la mesure de l'infini qui se déploie, grimper, se dépasser. C'est une danse sur un fil, une aventure qui ne dit pas toujours son nom, un émerveillement que l'on va chercher tout au fond de soi et qui déborde, face au vide des sommets.
Guider, c'est avoir l'intuition de l'autre et du monde qui nous entoure. C'est être attentif aux signes, à la lumière du ciel, à la forme d'une montagne, à la fatigue qui alourdit le pas, à l'appréhension qui fait trébucher. C'est choisir de s'engager ou bien de renoncer au sommet. Et, quelquefois, c'est faire silence au milieu de l'allégresse pour choisir sa voie, prendre une décision en conscience et non dans le tumulte du moment.
« Plus haut je monterai, plus je plongerai mon regard dans les profondeurs de mon être. »
Reinhold Messner, "Everest sans oxygène"
« Je me suis toujours senti extrêmement fragile face aux éléments : d'un côté, un squelette avec de la chair autour ; de l'autre, les forces auxquelles on se frotte, le rocher, la glace, la tempête. »
René Desmaison
« C'est la sagesse ultime de la montagne que l'homme n'est jamais plus homme que quand il se bat pour ce qui est hors de sa portée. »
James Ramsey Ullman
Ces montagnes qui m’entouraient étaient aussi familières que la figure de mes ancêtres.
Je songe à l'enfant qui voulait courir sur les cimes, toujours plus haut, et je me dis que je ne l'ai jamais trahi.
J'ai tenté de t'apprendre l'essentiel, faire ce qu'on aime et le faire bien, parce qu'il y a plus de grandeur chez un modeste que chez les héros avides de louanges...
[Conseils de l'auteur à son fils Édouard]
L'intimité qui se crée durant une ascension implique un lien difficilement explicable. L'accident est toujours possible en montagne. On le sait, même si on l'« oublie » en partant, de la même façon qu'on oublie que la mort peut frapper à tout instant. Ainsi, le danger fait partie du contrat tacite que le guide et son client prennent en s'engageant sur la piste qui mène vers les hauteurs. L'un confie sa vie, l'autre en accepte la responsabilité.
Une fois de plus, on peut parler de chance, mais aussi de la prudence indispensable dont doit faire preuve un guide dans nombre de situations lors de randonnées à ski. Ne pas toujours faire confiance aux traces précédentes. Plutôt se fier à ses intuitions, ses propres connaissances pour éviter le pire. L'observation des pentes et surtout des reliefs convexes est essentielle. [...]
La plupart des accidents dus aux avalanches sont causés par des skieurs ou surfeurs qui les déclenchent eux-mêmes soit par surcharge, soit par rupture de la couche. Soyons dignes et responsables, n'accablons pas à chaque fois la "fatalité" dans ce genre de circonstances.
Il est souvent plus difficile de choisir la voie du renoncement. Renoncer, c'est perdre son but, une place dans le classement ou une chance d'exploit et admettre que la montagne se refuse et qu'on ne maîtrise pas tout. Ce genre de décision peut entraîner des doutes, quelques regrets ou un surcroît de force. Pour ma part, j'y vois une manifestation de la vie. Rien n'est acquis, aucune leçon n'est parfaitement apprise durant une escalade. Il m'arrive de lutter pour saisir ma chance, aveuglé ou mis au défi, la frontière est infime, fuyante... Et quelquefois je lâche prise, j'abandonne, je me laisse enseigner.
Néanmoins, une loi implicite prévaut, presque trop simple, comme ces petites vérités qu'on oublie à force d'évidence : personne ne peut tricher avec les rigueurs de la nature ou s'illusionner sur les capacités humaines. Négliger cela revient à nier ce qui tient à un équilibre mystérieux : d'un côté, la puissance de la montagne ; de l'autre, la fragilité de l'homme, sa complexité faite d'endurance, d'humilité, de vantardises, de dépassement, d'effroi, d'audace... Or, ce mélange de paradoxes, le guide doit savoir l'estimer. Ce n'est que de cette façon qu'il pourra donner à voir la vraie montagne et faire émerger le meilleur de soi.
Le groupe se resserre et contemple le paysage déroulé à l'infini. Il n'y a pas de mots pour décrire ça, trop de démesure, trop d'air, trop d'espace, trop d'altitude ! Le calme m'envahit, une forme de tranquille certitude qui résonne avec l'immensité. Je suis tellement petit et dérisoire sur cette montagne que, paradoxalement, cela m'apaise.