Le nom du lauréat du concours d'écriture "Les Talents de demain" 2019 a été dévoilé ! Il s'agit d'Anthony Bussonnais, pour son thriller implacable "Un Samedi soir entre amis". Il succède ainsi à Cedric Lalaury et son thriller psychologique "Il est toujours minuit quelque part", et Coline Gatel et son roman policier historique "Les Suppliciées du Rhône".
Découvrez dès à présent le roman d'Anthony Bussonnais disponible en numérique sur la plateforme Kobo, et à paraître aux éditions Préludes en février 2020 !
Pour en savoir plus :
http://bit.ly/UnSamedisoir
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Son doberman, en revanche, couché dans l’herbe fraîchement tondue, a remarqué le visiteur. Le chien lève la tête, fixe David deux secondes avant de se ruer sur lui. Élancé, musclé, d’un noir luisant contrastant avec les touches de feu : il est magnifique. David s’accroupit pour qu’il se jette dans ses bras, et manque de peu de se faire renverser. Ils s’adorent. Le jeune homme a contribué à son éducation, à son dressage.
Tous les deux très impulsifs. Des sanguins. Pas réfléchis pour deux sous. Ils imposent le respect, mais n’en sont pas coutumiers. Leur vision du monde est très étriquée, ils n’acceptent pas qu’on remette en cause leurs opinions. Quiconque est trop virulent à leur égard risque de se faire cogner dessus. La baston est leur argument favori, et ça depuis tout petits. Leur père est leur modèle. Les garçons ont grandi en l’écoutant narrer ses frasques de jeunesse. Les cassages de dents, de nez, les mises à l’amende… Ils en sont devenus des copies parfaites. Allant jusqu’à adhérer à son idéologie de race blanche supérieure, patriotes jusqu’au bout des ongles, nationalistes à l’extrême.
Cédric, il lui a dit qu’on était pas racistes, que c’est juste qu’on ne veut pas de bougnoules chez nous.
Dans la chambre, la lumière du jour, malgré les volets et les petits rideaux, éclaire déjà la pièce. Ce matin, Arthur est réveillé avant que ne sonne son radioréveil dont les chiffres rouges indiquent 6 h 45. Il tend le bras et pousse le bouton sur off, se tourne vers sa femme qui dort encore, pose délicatement sa main sur son épaule nue, et lui chuchote à l’oreille :
— Betty, il la secoue très légèrement, Betty…
Elle ouvre lentement les yeux. Il l’embrasse sur le front et susurre :
— Debout.
Le fait est que, par ici, dans la France profonde, le racisme est ordinaire. Mehdi l’a maintes et maintes fois constaté. On dit « bougnoule » comme on dit « négro ». Sans gêne. En riant, même. Mais les gens vous diront qu’ils ne sont pas racistes. Non, c’est juste qu' »il y a trop d’immigrés », « trop d’Arabes ». Qu' »ils n’ont pas à nous imposer leur religion », « leur religion de terroristes ». « Mais je ne dis pas ça pour toi », le rassurent ceux osent sortir ces clichés devant lui. Mehdi ne compte plus les fois où on lui a avoué : » Je n’aime pas les Arabes, mais toi je t’aime bien ». Cette phrase résume à elle seule la stupidité de leur raisonnement. Si tant est qu’ils raisonnent. Car en réalité ils ne connaissent pas d’Arabes (ou alors un ou deux, mais qui ne sont pas représentatifs, à leur avis), n’ont aucune idée ni de ce qu’est l’Islam ni du contenu du Coran.
François, fin prêt, fait tourner son trousseau dans sa main gauche, jusqu’à saisir la clé qu’il lui faut pour ouvrir l’arrière de sa voiture. Il se tient à présent devant les portes. Après avoir réglé l’inclinaison de sa frontale, de sa main droite il sort sa matraque télescopique de son étui et, d’un vif coup de poignet, la déplie. François approche la clé de la serrure. Avec son avant-bras, il essuie son nez qui goutte. Il enfonce la clé, lève sa matraque en l’air, prêt à l’abattre si cela s’avère nécessaire. Il n’a pas peur, mais il préfère se méfier. Il tourne la clé : ça remue à l’intérieur. François pose la main sur la poignée de la porte, appuie, et ouvre rapidement tout en faisant un pas en arrière pour prévenir un éventuel bondissement. Rien de tel ne se produit.
L’air est frais, la lune peine toujours à percer. Tout le monde descend de voiture. On n’y voit pas plus loin qu’à trois mètres. François et Sylvie, sa femme, sortent de leur Kangoo. Ils s’équipent de leurs lampes frontales et les allument. François tient son trousseau de clés dans une main et, dans l’autre, sa matraque télescopique, qu’il glisse dans l’étui à sa ceinture. Sylvie, elle, porte sur une petite perche sa GoPro, sa caméra qui, depuis qu’elle lui a été offerte, la suit partout. Ils se dirigent vers le centre de l’intersection où Alfred et David les attendent avec, en main, leurs lampes frontales allumées. Les autres les rejoignent rapidement.
Baptiste reproche à Hélène, sa femme, d’avoir oublié leurs torches. Celle-ci dédramatise en suggérant d’utiliser leurs smartphones. Son mari concède que ça fera l’affaire. Tous les autres, à l’exception de Marie qui tient un phare à main, ont des frontales. Aussi, quand François se dirige vers l’arrière de son utilitaire, le reste du groupe forme spontanément un arc de cercle autour de lui, et les lumières convergent vers les portes de la Kangoo blanche. Tous sont impatients. Impatients que François ouvre ces portes. Ils ont attendu ce moment toute la journée. Vingt-quatre heures, même.
Le clignotant gauche de la première voiture s’allume. Elle quitte la route pour s’engouffrer dans le bois. Par mimétisme, les suivantes, chacune son tour, font de même. La pluie, omni-présente depuis quelques semaines, a détrempé le chemin de terre. Le cortège a ralenti, roulant au pas. Le passage n’est pas large, la végétation effleure les rétroviseurs. Les voitures s’enfoncent dans la forêt, passant une première intersection avant de bifurquer à droite à la suivante, rejoignant alors une allée plus large, plus compactée aussi, mais parsemée de nids-de-poule que l’eau a creusés.

Des souvenirs. De ceux qui remontent à la perte d’un être cher. D’abord cette image de Mehdi, tout petit, ses cheveux noirs frisés, sa dent de devant en moins, assis sur son tricycle aux roues bleues. Puis sa joie, un peu plus tard, quand il avait rapporté sa première coupe gagnée au foot. Sa première fois en Algérie – il avait seize ans. Il se sentait étranger en arrivant sur la terre natale de ses grands-parents, mais en repartant il n’avait qu’une hâte, y revenir. Enfin, il y a quatre ans, au chevet d’Ahmed, à l’hôpital de Saumur. Alors qu’Ahmed se pensait condamné, que plus personne n’avait d’espoir. Mis à part Mehdi. Ahmed le revoit, sa main entre celles de son père. Les larmes sur son visage fermé. Il l’avait sommé de se battre. Lui rappelant cette phrase qu’Ahmed avait pour maxime sans se souvenir d’où elle lui venait : celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. « Bats-toi ! Pour maman, pour Naïma, pour Aïda, pour moi. Bats-toi ! Pour Amine (son petit-fils, l’enfant de Naïma) et tes autres petits-enfants à venir. Pour toi, pour tout le bonheur que tu as encore à vivre ! » Les larmes coulaient sur ses joues creuses. Ahmed était fier de son fils, particulièrement à cet instant. Et Mehdi avait raison : il devait se battre.
Ne pas abandonner. Ne pas laisser la maladie l’emporter.
Près du cimetière, la voiture toujours à l’arrêt, Ahmed pleure à chaudes
larmes. Ces mots que Mehdi avait prononcés résonnent encore dans sa tête. Et ils trouvent un écho aujourd’hui. Ne pas renoncer. Continuer à chercher. Il doit retrouver son fils !