Les petites gens mènent une vie de misère totalement inhumaine, dans laquelle grouillent la maladie et la faim. Le besoin démolit la morale. De jeunes gens squelettiques s'ébattent joyeusement dans la fringale. Ils pavanent dans des haillons leurs fesses souvent couvertes d'ecchymoses, et jouent à cache-cache avec les lambeaux de vêtements qu'ils portent sur le dos. De leurs narines fuient de continuels ruisseaux morveux.
Ecoutez-moi donc vous deux. J'ai beaucoup vécu, moi ; j'ai connu des jours qu'on appelle heureux. Le bilan, si on le fait, ne vaut pas grand chose. Mais qu'est-ce qui compte à la fin ? La richesse ? Le pouvoir ? La renommée ? Non, certes. Tout ça s'envole comme autant de fumée dans l'air. Ca s'atténue et disparaît comme une vibration. Ce qui vaut quelque chose, ce qui s'inscrit dans le temps et dans la mémoire des hommes, c'est le bien qu'on a pu faire autour de soi. Mais les récoltes sont maigres ; c'est le malheur qu'on a pu détourner du voisin pour qu'ensuite il devienne son propre mal ; c'est le dépouillement de soi, mental et physique, qui permet de se présenter nu devant le monde, qui spécule sur chaque chose.
Mais, le fœtus, trop vieux, se cabre, ne veut pas être délogé... Il veut un rôle sur la scène de la vie, dans l'histoire des hommes. Alors, il retombe, il riposte à sa manière, il se cramponne. Il mourra sur le front...
Les hommes ne sauront jamais, malgré leurs inventions, la science la plus élémentaire qui est pourtant inscrite dans les pierres d'un cours d'eau ou dans le granit des falaises près des plages. Si seulement ils savaient ! Un million d'années avant le bouleversement tectonique qui devait lentement séparer les continents, les tortues savaient déjà tout cela. Nos ancêtres reçurent alors l'ordre de se disséminer dans tous les coins de Verdure : voilà pourquoi aujourd'hui il y a des tortues de terre aux îles Galápagos !!!
Ma vie, quoique pauvre, n'était pas sans consolation. Je la rendais fructueuse en essayant à maintenant reprises de faire du bien à tous comme je le pouvais.
Les oiseaux furent ceux qui décampèrent les premiers mais, comme ils étaient les avions de la préhistoire, ils purent toujours revenir dans la patrie des ancêtres.