Antoine Vergote

Dans la grande histoire de l'athéisme moderne, la psychologie occupe une place éminente. Voulant rendre l'homme à lui-même, elle a éminemment contribué à la démythisation et à la désaliénation religieuse de l'homme. (...)
Par principe donc la psychologie religieuse ne pose pas la question de l'existence de Dieu, et elle ne fait pas appel à son intervention. En ce sens elle est neutre; ou, pour employer une expression paradoxale : elle est a-thée. Mais elle n'est évidemment pas anti-théiste pour autant. Elle ne fonde le religieux ni sur Dieu ni sur l'humain pur.

Chapitre préliminaire
Le psychologue face aux phénomène religieux.
§ Dieu n'est pas un principe de compréhension psychologique

Comme le titre général le donne à entendre, il s'agira ici de la confrontation entre la religion chrétienne et la modernité. cette confrontation domine les quatre derniers siècles de notre civilisation européenne. Elle a son lieu natal en Europe, elle est largement propre à l'Europe, mais elle s'est diffusée depuis notre continent. (...)
L'histoire de l'Europe a, en effet, été façonnée par la rencontre des trois composantes majeures que sont la pensée rationnelle grecque, la civilisation juridico-politique romaine et la religion chrétienne. La lente compénétration de ces trois facteurs a déterminé pendant quinze siècles la civilisation de l'Europe et elle a eu une immense importance pour l'histoire universelle de l'humanité. Au XVIIe siècle une nouvelle manière de penser, de juger, de sentir, de voir le monde, s'affirme en plusieurs domaines. On a qualifié cette nouvelle culture de "moderne". Elle a profondément boulversé la civilisation chrétienne, même si les premiers penseurs de la modernité n'étaient pas hostiles à la religion chrétienne, loin de là. Ni Grotius, ni Descartes, ni Galilée ne voulaient s'en séparer. Mais il y avait dans la modernité un dynamisme interne qui a provoqué de très graves conflits, non seulement et sans doute pas d'abord avec les autorités religieuses, mais avec ce que résume l'expression "la mentalité chrétienne"; même avec la foi chrétienne comme telle.

Notre but sera donc d'inventorier les comportements religieux, d'en explorer les différences significatives, de les comprendre dans leurs rapports avec les autres phénomènes humaines. Nous voulons connaître les structures intérieures des expériences et des comportements religieux. L'exploration systématique des faits religieux dans leur contexte humain doit nous en livrer le contenu et le sens. Mais pas leur ses ultime et leur vérité dernière. Il revient à la psychologie d'examiner leur sens humain, et leur vérité relative par rapport à leur inhérence aux multiples vecteurs qui composent l'humain.
La psychologie porte donc un jugement de vérité sur les faits religieux. Par son objectivation au niveau de l'homme religieux, elle poursuit inévitablement son effort de discernement de l'attitude religieuse apparente et de la religion humainement vraie. Aux yeux du psychologue, la religion peut n'être, finalement, qu'une illusion, un rêve sans consistance. Il n'empêche qu'en deçà de cet énoncé ultime, il devra malgré tout distinguer entre pseudo-religion et religion véritable. l'étude de la motivation, nous le verrons, conduit inéluctablement à un énoncé de vérité humaine. Du moment que l'on pose la question du pourquoi du comportement, on engage nécessairement le problème de sa vérité.

Chapitre préliminaire
Le psychologue face aux phénomène religieux.
§ Le jugement psychologique de la vérité

Le psychologue se gardera d'introduire Dieu en tant que phénomène observable. Par définition même, Dieu n'appartient pas au champ de psychologue. Aucune méthode empirique, en effet, n'est en mesure d'observer Dieu. Il n'est présent au psychologue que pour autant que l'homme s'y réfère par des actes proprement humains. d'autre part, le psychologue ne peut pas non plus faire coincider la vie religieuse avec la vie psychologique. Il doit maintenir le caractère référentiel, ou intentionnel, de la conscience et de l'acte religieux. l'étude du psychique doit respecter le caractère propre de la conscience humaine, qui est d'être conscience ouverte : au monde, aux autres, ou à Dieu. (...)
Il faut donc à la fois explorer la religion telle qu'elle est présentée dans le langage et dans les gestes, et se garder d'accomplir le mouvement de l'affirmation religieuse, pour lequel ces paroles et ces gestes renvoient effectivement à une réalité transhumaine.

Chapitre préliminaire
Le psychologue face aux phénomène religieux.
§ Exclusion méthodologique du Transcendant

Beaucoup de gens attendent de la psychologie qu'elle nous introduise à l'intérieur même de la religion, qu'elle nous en révèle le sens intime. Ce fut aussi l'espoir des premiers psychologues de la religion, Starbuck et James; obéissant à une préoccupation d'ordre nettement philosophique ils se proposaient d'atteindre, par le moyen de leurs recherches psychologiques, l'essence particulière de la religion. Mais nous devrons décevoir cette attente d'une révélation quant à la nature intime de la religion. En effet, cette question de la nature profonde et du sens ultime n'est pas d'ordre psychologique mais métaphysique, ou théologique. Seule, la philosophie est appelée à penser l'être du phénomène, et à en déceler les structures essentielles et nécessaires. En tant que science positive, la psychologie ne s'attache qu'aux phénomènes : la religion telle qu'elle se manifeste et se structure dans l'homme.

Chapitre préliminaire
Le psychologue face aux phénomène religieux.
§ Exclusion méthodologique du Transcendant

Le principe scientifique d'exclusion méthodologique du Transcendant interdit également au psychologue d'en appeler à l'intervention du Transcendant comme facteur d'explication. Tout d'abord, le Transcendant n'est pas accessible, en tant que tel, à l'observation scientifique. Nulle part le regard objectif ne peut découvrir la manifestation visible, dans les gestes et dans l'expérience de l'homme, d'une puissance surnaturelle. Si celle-ci intervient, c'est en prenant corps dans le réseau des comportements humains. Le surnaturel se donne seulement à qui sait déchiffrer les signes qu'il inscrit dans l'humain. Mais pour se faire, l faut en appeler à des principes d'interprétation qui sont d'un autre ordre que celui de la psychologie. Seules les références proprement métaphysiques ou théologiques permettent de reconnaître les indices de l'invisible surnaturel dans le visible humain.

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Le psychologue face aux phénomène religieux.
§ Dieu n'est pas un principe de compréhension psychologique

(...), les théologiens catholiques se sont souvent méfiés de la psychologie religieuse, pour laquelle ils redoutent le risque inhérent à son hypothèse de travail, de réduire toute visée religieuse à ses particularités proprement humaines.

Chapitre préliminaire
Le psychologue face aux phénomène religieux.
§ Neutralité bienveillante

La psychologie religieuse est d'abord investigation des expériences, attitudes et expressions religieuses. Elle les observe et les analyse, à l'aide des diverses techniques auxquelles toute psychologie a recours : analyses codifiées des documents personnels, questionnaires et échelles d'attitude, tests projectifs, observations systématiques des comportements, interviews, échelles d'analyse sémantiques , et même analyse en profondeur par les méthodes cliniques. (...)
Dans les phénomènes religieux, on distingue maintenant plus nettement les différentes dimensions et les vecteurs, et l'on s'attache à saisir leurs corrélations et leurs interactions; ce sont : les opinions, les croyances, les jugements de valeurs, les expériences, les attitudes, les comportements, les rites.

Chapitre préliminaire
Le psychologue face aux phénomène religieux.
§ Science positive de la religion

La psychologie religieuse n'introduit donc pas un facteur d'explication surnaturelle dans l'enchainement des faits et des causes. Elle ne se place pas hors des situations proprement psychologiques. Elle considère la religion pour autant qu'elle affecte la personnalité et la société. (...)
La psychologie reste ouverte dans deux sens au moins : vers le physiologique et vers la métaphysique. Souvent, elle a cédé à la tentation de boucler sur elle-même, son intention d'explication. Par principe heuristique, elle tend à être totale, à ne plus laisser de blanc. A la question : "Pourquoi l'homme est-il religieux ?", elle désire apporter une réponse décisive.

Chapitre préliminaire
Le psychologue face aux phénomène religieux.
§ Dieu n'est pas un principe de compréhension psychologique

Mais n'est-ce pas l'intention même de la psychologie religieuse que de nous faire découvrir les structures et les facteurs humains qui portent l'attitude religieuse ? Dans l'attitude qui lui naturelle, l'homme religieux oublie sa situation humaine. Il n'est que de citer les mythologies, ou la Bible; n'attribuent-elles pas à Dieu des pensées très humaines, nourries par le milieu culturel où s'enracinent ces croyances ? Il est difficile d'étudier scientifiquement les mythes, et de leur accorder en même temps une valeur de réalité. Il semble qu'en les nommant, on en dissipe les mirages, tout comme l'homme exorcise les esprits et les met en fuite, du moment qu'il les nomme.

Chapitre préliminaire
Le psychologue face aux phénomène religieux.
§ Neutralité bienveillante