Avec Sabine Huynh & Patricia Godi
Lecture par Dominique Reymond
Rencontre animée par Francesca Isidori
Lecture & rencontre
Figure majeure de la poésie américaine, Anne Sexton (1928-1974) est l'autrice d'une oeuvre poétique composée de plus d'une dizaine de recueils précurseurs.
Prix Pulitzer en 1967, Tu vis ou tu meurs est reconnu comme un chef-d'oeuvre.
« Si l'exploration des liens de parenté occupe une place centrale dans la poésie d'Anne Sexton, sa nouveauté réside aussi, fondamentalement, dans la venue à l'écriture de l'autre relation qui a interrogé la psychanalyse, la relation des mères et des filles. Dès lors que le sujet lyrique se situe en tant que fille dans nombre de poèmes, de même qu'en tant que génitrice, l'oeuvre entreprend doublement de pallier le silence qui a entouré les généalogies féminines »
Patricia Godi
Les quatre recueils présents dans cette édition sont traduits pour la première fois en français par Sabine Huynh, qui a fait de la traduction de l'oeuvre d'Anne Sexton un projet de vie.
À lire - Anne Sexton, Tu vis ou tu meurs, trad. de l'anglais (États-Unis) par Sabine Huynh - présenté par Patricia Godi, éditions des femmes Antoinette Fouque, 2022.
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Fille ou garçon, chacun de nous est né d’un corps de femme. J’affirme depuis longtemps que c’est là « le premier environnement de l’être humain ». Il nous aura non seulement offert l’hospitalité charnelle, le gîte et le couvert, mais il nous aura fait grandir, nourris de sa chair, transmis son héritage : en même temps qu’il aura sculpté notre corps intégral, parfait, il l’aura équipé pour penser et parler. Ce n’est pas un miracle. C’est une œuvre d’être humain, un perfectionnement depuis des millénaires d’une espèce par ses femelles intelligentes.
« La démocratie reconnaît l’individualisme : c’est parce que nous reconnaissons que tous les gens sont différents, et que tous ont des points de vue distincts, que nous acceptons aussi qu’il y a un besoin d’institutions qui nous permettront de travailler ensemble malgré nos différences et d’arriver à des réponses. Je pense que c’est ce que la démocratie apporte. Vous connaissez ce proverbe anglais qui dit : nous devons être d’accord pour être différents (« We must agree to differ »). C’est un proverbe démocratique. »
Aung San Suu Kyi
Permettez-moi d'exprimer quelques souhaits : plutôt que les mythologies de la Bible et de la Grèce qui falsifient l'origine en substituant à la gestation femelle des genèses fabuleuses et amatrides, plutôt que des démocraties unisexes et matricides, nous voulons un processus de démocratisation qui reconnaissent l'irréductible différence des sexes, la dissymétrie et le privilège des femmes dans la procréation, qui fasse de la procréation un droit universel, qui rétablisse la réalité, la vérité de l'origine humaine, charnelle et sexuée, qui exprime sa gratitude envers les femmes pour leur apport unique à l'humanité dans sa généalogie, sa mémoire, sa transmission en progrès, sa capacité de penser.
A partir de l’expérience génésique qui a fait de moi à mon tour un corps natal, je lis dans tous ces récits judéo-grecs dont Levinas dit qu’ils sont l’Europe, dans toutes les fables dans lesquelles nous avons été élevés, le même fantasme auto-érotique des hommes. J’y vois l’évidence de leur appropriation de la procréation comme création suprême, avec anéantissement des femmes et de leurs compétences, qu’il s’agisse de la Bible avec Eve ou de la Grèce avec Athéna, qui naît toute armée de la tête de Zeus.
La pulsion épistémophilique, dont l’aboutissement serait l’utérus artificiel, la reproduction des espèces animales sans les femelles et de l’espèce humaine sans les femmes, est la pulsion qui, à la fois, fait aller sur la Lune et fait détruire l’Amazonie. C’est l’ambivalence de la création destructrice, de la pulsion de mort dominant indéfiniment la pulsion de vie. Jusqu’ici, c’est quand même, me semble-t-il, la pulsion de vie qui a dominé la pulsion de mort, puisque nous sommes encore là.»
Je crois que le propre des femmes, souvent, c’est de ne pas avoir pris conscience de leur situation, d’avoir cru que leurs problèmes étaient des problèmes individuels, des problèmes de couple, des problèmes de classe. Grâce au MLF, certainement, elles ont pris conscience qu’il y a un problème féminin, qu’elles ont des intérêts communs.
La gestation, pendant des millénaires, a été un processus d’hystérisation, de transfert d’angoisse et d’angoisse de transfert. Il y a là un paradoxe de la création du vivant, un refoulement de l’utérus et un enfermement dans une économie de la loi. Une loi mâle au-dessus des lois, gérant la gestation comme un ensemble de lois vitales pour le renouvellement de l’espèce. D’où le transfert d’angoisse de la domination masculine sur toute femme.
La face lumineuse de la procréation n’a pas été gratifiée. Les femmes sont le terroir de l’espèce, corps d’accueil, mémoire et généalogie de la ressource humaine, du capital pensant, qu’elles renouvellent et restaurent, grossesse après grossesse, génération après génération, sens, à la fois direction et signification, de l’Histoire dans le futur.
L’économie du profit et de la capitalisation est une économie de gaspillage, masculine. On sème à tout vent du sperme, qui se perd à chaque éjaculation. On le gaspille comme on gaspille les ressources.
[…] l’homosexuation à la mère est structurelle et je pense qu’elle structure chez la fille la volonté de pro-création que j’appelle libido creandi. Malheureusement, la plupart des femmes ne savent pas qu’elles ont en commun avec leur mère cette fonction génitale à symboliser. Elles le savent au niveau réel, mais comme ce savoir est forclos d’une civilisation patriarcale, elles restent souvent sur la division et la haine avec la mère, ce dont témoignent quasiment tous les textes psychanalytiques.