Pis vient un temps que tu jongles plusse parce que t’es pus aussi jeune que t’avais accoutume. Ça vient avec les années, ça la jonglerie. C’est peut-être parce que quand c’est que tu viellzis, t’as plusse de temps pour jongler… C’est malaisé à saouère.(p.55)
* jongler : réfléchir

SULLIVAN: Ben c'est-i' pas pour ça qu'un navigueux se bâtit, pour prendre la mer? ... La mer au large. Au large du large. La grand grand mer qui finit pas... Ah! laisse-moi te dire qu'un houme a beau être rien qu'un houme, quand c'est qu'il a vu le monde... et qu'il l'a presquement pogné dans ses mains, coume un caillou, et qu'il l'a viré sus tous les bords, et qu'il l'a pesé, et pis qu'il l'a mordu...
(Il mord dans le caillou et se casse une dent.)
... Marde!
GAPI: Hé Hé Hé... i' est dur, le monde, Sullivan. C'est ça que j'ai tout le temps eu à dire, moi. Fie-toi au monde, pis tu verras qu'i te cassera la goule. J'en ai vu, coume toi, Sullivan, qu'avont parti faire leu vie aux États, pis à Labrador. Au coumencement, ça s'en revenait tous les étés, nous raconter la belle vie que ça menait au loin: ça revenait en bottines blanches pis en chemise fine, assis dans un Chrysler à quatre portes, tout chrômé pis mirant, avec sa tcheue de renard dans le vent, et toutes ses lights allumées en plein jour. Ça traversait le village à quatre-vingts milles à l'heure, sus deux roues, en huchant du borgo pour réveiller les morts. Ben veux-tu saouère, Sullivan? Tous ceuses-là s'en avont revenu.
depuis le premier de la lignée sorti de la Seigneurie d'Aulnay, voilà que les Thibodeau s'étaient passé la forgerie comme on se passe un gobelet d'argent, d'hoir en hoir. Et alors, si vous pensez qu'un forgeron qui a brisé durant toute une vie les fers des chevaux et des bœufs, saura point en une nuit briser ceux de ses frères et compères prisonniers des Anglais !
Les outardes étaient rentrées, les marées hautes avaient lavé les herbes de dunes et les foins des prés, on pouvait larguer les bêtes au champ. On pouvait sécher l'hiver sur la corde, et s'éventer la mémoire et les sentiments. Un siècle avait passé sur l'Acadie cachée au fond des bois et qui n'avait pas dit un mot durant cent ans.
...N'éveillez pas l'ours qui dort.
Mais en 1880, cent ans après son retour d'exil par la porte arrière et sur la pointe des pieds, l'Acadie sortait sur son devant-de-porte pour renifler le temps et s'émoyer de la parenté. De toutes les anses, et de toutes les baies, et de toutes les îles, on sortait la tête et dressait l'oeil.
Et c'est alors qu'on se reconnut.
Ne cherche pas midi à l’aube ou en brunante,
En quittant hier, sache que demain est en attente.
À l’exilé, au sans-abri, offre l’asile
Et si ton ami louche, regarde-le de profil.
C’est la forge qui dit ça, la forge qui s’est tout le temps complue à ce genre de ragots. Tellement qu’au pays on appelle ces commentaires des ragoûts de forge.
(Leméac, p.101)
Les guerres précédentes n'avaient fait qu'émonder l'arbre ; la Déportation risquait de le déraciner.

Parsoune s'en vient non plus laver nos hardes. Ni coudre, ni raccommoder. Ils pouvont, ben nous trouver guénilloux : je portons les capots usés qu'ils nous avont baillés pour l'amour de Jésus-Christ. Par chance qu'ils avont de la religion : ils pensont des fois à nous douner par charité leux vieilles affaires. Leux vieilles affaires et leux vieilles hardes qu'étiont neuves un jour que ça nous faisait rêver d'en aouère des pareilles. Je finissons par les receouère pour nous payer nos journées d'ouvrage, mais quand c'est que j'en avons pus envie. Quand c'est que t'as vu dix ans de temps un chapeau de velours sus la tête d'une femme, au coumencement tu le trouves ben beau et tu voudrais ben l'aouère. Pis il coumence à cobir pis finit pas ressembler une crêpe de boqouite. C'est ce temps-là qui te le dounont. Ils te dounont des châles itou quand c'est qu'ils se portont pus, et des bottines quand c'est la mode des souliers. Ça arrive même qu'ils te dounont deux claques du même pied, ou ben un manteau trop petit où c'est qu'ils avont louté les boutons. Ils pou vont ben trouver que je sons mal attifés.
Lexique :
Bailler : donner
Cobir : bosseler
Capot : veste ou manteau
Boqouite : sarqazin
Guénillou : en guénille
Hardes : vêtements
Louter : ôter
Au dire du vieux Louis à Bélonie lui-même, ce rejeton des Bélonie né comme moi de la charrette, seuls ont survécu au massacre des saints innocents, les innocents qui ont su se taire. N'éveille pas l'ours qui dort, qu'il dit, surtout pas l'ours qui dort sur le marchepied de ton logis. C'est pourquoi l'Acadie qui s'arrachait à l'exil, à la fin du XVIIIe siècle, est sortie des ses langes tout bas, sans vagir ni hurler, sans même se taper dans les mains. Elles est rentrée au pays par la porte arrière et sur la pointe des pieds. Quand le monde s'en est aperçu, il était trop tard, elle avait déjà des ressorts aux jambes et le vent dans le nez.
Non, le chat ne se lamentait pas, il mi-au-lait comme s’il avait du miel et du lait qui lui coulaient le long du gosier.
(Leméac, p.18)