Citations de Antonio Machado (101)
Voyageur, le chemin
Ce sont les traces de tes pas
C’est tout ; voyageur,
Il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Vois le sentier que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur! Il n’y a pas de chemin
Rien que des sillages sur la mer.
Tout passe et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Un jour tu la verras,
dit l'espérance,
si tu sais espérer.
Et la désespérance :
elle n'est rien
que ta souffrance.
Et le cœur bat…
La terre n'a pas
tout emporté...
Et quand viendra le jour du dernier voyage,
Quand partira la nef qui jamais ne revient,
Vous me verrez à bord, et mon maigre bagage,
Quasiment nu, comme les enfants de la mer.
Nuage déchiré...l'arc-en-ciel
brille déjà dans le ciel,
et d'un fanal de pluie
et de soleil le champ est enveloppé.
Je me suis éveillé. Qui trouble
le cristal magique de mon rêve?
Mon coeur battait,
pâmé et diffus.
... Le citronnier fleuri,
les cyprès du jardin,
le pré vert, le soleil, l'eau, l'arc-en-ciel! ...
l'eau dans tes cheveux!...
Et tout se perdait dans la mémoire
comme une bulle dans le vent.
(" Champs de Castille")
Tout passe
Et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Voyageur, le chemin
C'est les traces de tes pas
C'est tout ; voyageur,
Il n'y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur ! Il n'y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer
(Cité par Antoni Casas Ros dans Enigma, p31 )
"Inventaire Galant
Tes yeux me rappellent
les nuits d’été,
nuits noires sans lune,
sur le bord de la mer salée,
et le scintillement des étoiles
dans le ciel noir et bas.
Tes yeux me rappellent
les nuits d’été.
Et ta chair brune,
les blés brûlés,
et le soupir de feu
des champs mûrs.
(...)
De ta grâce brune,
de ton songe gitan,
de ton regard d’ombre
je veux emplir mon verre.
Je m’enivrerai une nuit
de ciel noir et bas,
pour chanter avec toi,
au bord de la mer salée,
une chanson qui laissera
des cendres sur les lèvres…
De ton regard d’ombre
je veux emplir mon verre."
J'ai rêvé que tu m'emmenais
sur un blanc sentier,
parmi la verte campagne,
vers l'azur des sierras,
vers les montagnes bleues,
par un matin serein.
J'ai senti ta main dans la mienne,
ta main de compagne,
ta voix d'enfant à mon oreille,
comme une cloche neuve,
comme une cloche vierge
d'une aube de printemps.
Ta voix et ta main, en rêve,
étaient si vraies!...
Vis, mon espérance ! qui sait
ce qu'emporte la terre!

"LES MOUCHES
Mouches familières,
inévitables et goulues,
mouches vulgaires, vous
évoquez pour moi toutes choses.
Oh ! vieilles mouches voraces
comme abeilles en avril,
vieilles mouches tenaces
sur mon crâne chauve d'enfant !
Mouches du premier vague à l'âme
dans le salon familial,
en ces claires soirées d'été
quand je commençais à rêver !
Et à l'école détestée,
mouches folâtres et rapides,
poursuivies
par amour de ce qui vole,
— car tout n'est que vol — bruyantes,
rebondissant sur les vitres,
les jours d'automne…
Mouches de toutes les heures,
d'enfance et d'adolescence,
de ma jeunesse dorée,
de cette seconde innocence
qui se targue de ne croire en rien,
de toujours… Mouches vulgaires,
si familières que nul ne saura
dignement vous chanter :
je sais, vous vous êtes posées
sur le jouet enchanté,
sur le bouquin fermé,
sur la lettre d'amour,
sur les paupières glacées
des morts.
Inévitables et goulues,
non pas diligentes comme les abeilles,
ni, comme les papillons, brillantes;
petites, espiègles,
vous, mes vieilles amies,
évoquez pour moi toutes choses."

Solitudes, Le voyageur, II
J'ai connu beaucoup de chemins,
j'ai tracé beaucoup de sentiers,
navigué sur cent océans,
et accosté à cent rivages.
Partout j'ai vu
des caravanes de tristesse,
de fiers et mélancoliques
ivrognes à l'ombre noire
Et des cuistres, dans les coulisses,
qui regardent, se taisent et se croient
savants, car ils ne boivent pas
le vin des tavernes.
Sale engeance qui va cheminant
et empeste la terre…
Et partout j'ai vu
des gens qui dansent ou qui jouent,
quand ils le peuvent, et qui labourent
leurs quatre empans de terre.
Arrivent-ils quelque part,
jamais ne demandent où ils sont.
quand ils vont cheminant, ils vont
sur le dos d'une vieille mule ;
Ils ne connaissent point la hâte,
Pas même quand c'est jour de fête.
S'il y a du vin, ils en boivent,
Sinon ils boivent de l'eau fraîche.
Ce sont de braves gens qui vivent,
qui travaillent, passent et rêvent,
et qui un jour comme tant d'autres
reposent sous la terre.
Caminante no hay camino, se hace camino al andar.
Galerie de l'âme.. ..l'âme enfant!
Sa claire lumière rieuse;
Et la petite histoire,
Et la joie de la vie nouvelle...
Ah! Renaître à nouveau, parcourir le chemin,
En ayant retrouvé le sentier perdu!
Et de nouveau sentir dans notre main
Cette palpitation de la bonne main
De notre mère ...Et cheminer en rêves
Par amour de la main qui nous mène...
Une claire nuit
de fête et de lune,
nuit de mes rêves,
nuit d'allégresse,
la plus jeune fée
m'emmena dans ses bras
à la fête joyeuse
qui flambait sur la place.
Sous le crépitement
des lampions ,
l'amour tissait
l'écheveau des danses.
J’aime les mondes fragiles
Je n’ai jamais recherché la gloire
Ni voulu laisser ma chanson
dans la mémoire des hommes ;
mais j’aime les mondes fragiles,
légers et gracieux
Comme bulles de savon.
J’aime les regarder se colorer
de soleil et d’écarlate, voler
sous le ciel bleu, trembler
soudainement et se disloquer.
Le printemps
Le printemps est arrivé
personne ne sait comment.
Il a réveillé les branches
l’amandier a fleuri.
Dans les champs on écoutait
le gri-gri du grillon.
Le printemps est arrivé
Tout passe
et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Voyageur, le chemin
C'est les traces
de tes pas
C'est tout ; voyageur,
il n'y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier
Que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur! Il n'y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer
Caminante no hay camino Tout passe et tout demeure
Pero lo nuestro es pasar Mais notre affaire est de passer
Pasar haciendo caminos Passer en traçant des chemins
Caminos sobre el mar Des chemins sur la mer
Nunca persegui la gloria Je n'ai jamais cherché la gloire
Ni dejar en la memoria Ni cherché à rester en mémoire
De los hombres mi cancion Des hommes ma chanson
Yo amo los mundos sutiles j ' aime les mondes subtils
Ingravidos y gentiles Légers et aimables
Como pompas de jabon Comme les bulles de savon
............
Et tu pourras te connaître, en te rappelant
les images troubles des rêves passés,
en ce jour triste où tu chemines,
les yeux ouverts.
De toute la mémoire, rien ne vaut
que le don merveilleux d'évoquer les rêves.
XXXIX COPLAS ÉLÉGIAQUES
Extrait 3
Et aux jardins secrets,
aux paradis rêvés,
et aux songes peuplés
de sages intentions !
Malheur au galant sans fortune
qui tourne, tourne au clair de lune ;
à ceux qui tombent de la lune,
à ceux qui s'envolent vers elle !
Malheur à qui n'a pas atteint
le fruit à la branche pendu ;
à qui dans le fruit a mordu
et savouré son amertume !
Et à notre premier amour,
à sa loyauté maltraitée,
et malheur aussi à l'amant
véritable de notre aimée !
/Traduction de Sylvie Léger et Bernard Sesé
L'étoile est une larme
dans l'azur céleste
Sous l'étoile claire
flotte, flocon échevelé ,
un chimérique nuage d'argent.
Le poète et la mort
On le vit s'avancer seul avec Elle,
sans craindre sa faux.
- Le soleil déjà de tour en tour ; les marteaux
sur l'enclume – sur l'enclume des forges.
Federico parlait ;
il courtisait la mort. Elle écoutait
« Puisque hier, ma compagne résonnait dans mes vers
les coups de tes mains desséchées,
qu'à mon chant tu donnas ton froid de glace
et à ma tragédie
le fil de ta faucille d'argent,
je chanterai la chair que tu n'as pas,
les yeux qui te manquent,
les cheveux que le vent agitait,
les lèvres rouges que l'on baisait…
Aujourd'hui comme hier, ô gitane, ma mort,
que je suis bien, seul avec toi,
dans l'air de Grenade, ma grenade ! »
III
On le vit s'avancer…
Élevez, mes amis,
dans l'Alhambra, de pierre et de songe,
un tombeau au poète,
sur une fontaine où l'eau gémira
et dira éternellement :
le crime a eu lieu à Grenade, sa Grenade !