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Citations de Antonio Muñoz Molina (509)


[...] lui, Mario, s'était transformé en un fonctionnaire mental, avait pensé que se marier était comme décrocher un poste de titulaire, comme cet emploi de dessinateur qu'il occupait au Conseil général où il accumulait peu à peu expérience, routine, et triennats.
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J'ai senti qu'un seul mot aurait suffi pour retenir un moment Lucretia, mais je ne le connaissais pas : c'était comme bouger les lèvres en silence face à elle. Sans rien dire d'autre elle a fait demi-tour et j'ai entendu le bruissement de sa gabardine dans l'air, puis le bruit lent de l'ascenseur.
J'ai fermé la porte et j'ai rempli le verre de bourbon. Derrière les vitres, par la fenêtre, je l'ai vue apparaitre sur le trottoir, de dos, un peu penchée, sa gabardine blanche écartée par le vent de décembre, luisante de pluie sous les lumières bleues de l'hôtel. J'ai reconnu sa manière de marcher tandis qu'elle traversait la rue, déjà transformée en une lointaine tache blanche au milieu de la foule où elle s'est perdue, invisible, soudain effacée derrière les parapluie ouverts et les voitures, comme si elle n'avait jamais existé.
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... certains Indiens de l’ouest du Canada, quand ils avaient voyagé trop vite en guidant une expédition d’Européens, s’arrêtaient pour se reposer un ou deux jours entiers, pour s’assurer que leurs âmes, beaucoup plus lentes que leurs corps, les avaient rattrapés. 
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On découvre sur les visages des autres les progrès de l’âge qu’on ne sait ou ne veut pas voir sur soi-même. 
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A elle, j'ai raconté ce qu'avaient été ma vie et celle de ma mère après la fin de la guerre civile, et même que la Pasionaria m'avait prise sur ses genoux et m'avait chanté une berceuse, et la peur que j'ai eue le jour où nous est arrivée cette lettre de l'ambassade d'Allemagne, avec des mois de retard, après qu'elle avait fait plusieurs fois le tour de Madrid. J'avais peur que mon mari se fâche si je la lui montrais et ta mère a ri quand je le lui ai raconté, après tant d'années : mais écoute, comment aurait-il pu se fâcher avec le bon caractère qu'il a. Je n'osais pas me faire le plaisir de penser que dans la lettre on disait que mon père était vivant. Dès que mon mari est rentré du travail, ce soir-là, je lui ai montré la lettre, et il m'a tranquillisée tout de suite, il ne pouvait pas nous arriver quoi que ce soit de mauvais d'un gouvernement étranger, parce que le gouvernement que nous devions craindre, c'était le nôtre, mais il vaut mieux ne rien dire encore à ta mère, jusqu'à ce que nous sachions de quoi il s'agit.

page 257
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Dans l'inattention d'une seconde est contenue toute une catastrophe.
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Quand j'étais petit et que je voyais les images des planètes tournant sur leur orbite autour du Soleil, je m'imaginais que chacune d'elles était un fruit, à proportion de sa taille : Mercure une cerise, Vénus une prune, la Terre une pêche, Mars une tomate, Jupiter une pastèque, Saturne un melon jaune et rond, Uranus une pomme, Neptune un abricot, Pluton un lointain petit pois, tous évoluant harmonieusement dans le vide, tournant comme les nacelles volantes des attractions de la fête.
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... chacun porte en lui son propre remords, sa variété personnelle de honte. 
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Une nuit de janvier mille neuf cent trente-huit, les coups résonnent enfin à sa porte. Mais ils ne sont pas venus pour l'emmener seulement pour confisquer les derniers biens du renégat Heinz Neumann. Les policiers en uniforme rassemblent les derniers livres que Greta n'a pas encore mal vendus pour acheter de quoi se nourrir, quelques vieilles chaussures de son mari et en partant, ils lui donnent un reçu. Quelqu'un lui raconte que l'ami qu'elle retrouvait dans le parc a été arrêté quand il essayait de prendre un train pour la Crimée.

Ils sont arrivés un matin très tôt, le dix-neuf juillet, et en s'apercevant que cette fois c'était vraiment pour elle qu'ils venaient, Greta (Beuber-Neumann) n'a pas été saisie de panique mais plutôt de soulagement. On l'a conduite à la Loubianka sur le siège arrière d'une petite camionnette noire, entre deux hommes en uniforme bleu clair qui ne la regardaient pas et ne lui adressaient pas la parole. Cette fois ses genoux ne tremblaient pas et à ses pieds se trouvait la valise qu'elle avait préparée depuis si longtemps. Elle s'est rappelé la dernière chose qu'elle avait vue dans les rues de Moscou avant que la camionnette ne franchisse la porte de la prison : une horloge lumineuse qui dans l'aube avait un éclat faible et rougeâtre.

Le douze juillet, le professeur Klemperer se souvient dans son journal de quelques amis qui ont quitté l'Allemagne, qui ont trouvé du travail aux Etats-Unis ou en Angleterre. Mais comment partir sans rien, lui, un vieux, et sa femme malade sans connaître de langues étrangères, sans aucun savoir-faire pratique, comment abandonner la maison qu'ils ont fini par construire avec tant de difficultés, le jardin qu'Eva a presque transformé en un verger. Nous sommes restés ici dans l'ignominie et la gêne, comme des laissés pour compte, des enterrés vivants, enterrés pour ainsi dire jusqu'au cou en attendant d'un jour à l'autre les dernières pelletées.

pages 75/76
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"Comment sais -tu que cette rencontre est la dernière ?" me demanda-t-elle. "Dans les films, quand il pleut autant, un des personnages s'en va pour toujours."
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Il ne peut exister de bâtiment qui soit aussi beau qu'un pont, une forme aussi pure et en même temps aussi artificielle, superposée à l'immensité de la nature comme une feuille de papier transparent où l'on aurait tracé une esquisse. Pendant quelques secondes il peut apprécier de très près, par la fenêtre, la surface travaillées des grosses pierres de taille, aussi superbes que celles d'un palais de Florence ou de Rome, ou que des blocs de roche primitive, [...]. L'échelle du pont est à la mesure de celle du fleuve, large et puissant comme une mer, de celle des rives escarpées et des forêts où le train pénètre maintenant, plus vite à mesure que la ville s'éloigne derrière lui.
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La gêne vous rend conformiste et timoré : c'est la présence assurée de l'argent, soupçonnait Mario, qui éveille et encourage l'audace.
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Chaque livre est la dernière des chambres d'une série, la plus sûre et la plus profonde, à l'intérieur de mon refuge. Un livre est une tanière où se dissimuler, une île déserte où se retrouver à l'abri, et aussi un véhicule pour s'enfuir. Je lis des romans mais aussi des manuels d'astronomie, de zoologie et de botanique, que je retrouve à la bibliothèque municipale. Le voyage de Darwin à bord du Beagle, ou celui de Burton et de Speke à la recherche des sources du Nil sont parvenus à m'émouvoir plus que les aventures des héros de Jules Verne, avec beaucoup desquels je vis dans une fraternité fantasmatique plus excitante et consolatrice que mes relations avec les camarades du collège.
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Je me suis installé dans cette ville pour y attendre la fin du monde. Les conditions y sont inégalables. L’appartement se trouve dans une rue silencieuse. Du balcon on voit le fleuve au loin. On le voit aussi de la petite terrasse de la cuisine, qui surplombe des jardins et des balcons, à l’arrière des immeubles de la rue contiguë, et des belvédères avec des balustrades en fer forgé où du linge ondule sous la brise. Au bout de la rue, au-delà du fleuve, s’étend la ligne des collines de l’autre berge et le Christ aux bras ouverts qui semble vouloir prendre son envol. En Sibérie il règne à présent des températures d’une quarantaine de degrés. En Suède, alimenté par une chaleur sans précédent, le feu dévaste des forêts situées au-delà du cercle polaire arctique. En Californie, des incendies auxquels on donne des noms, comme pour les ouragans des Caraïbes, ravagent depuis plusieurs mois des centaines de milliers d’hectares. Ici les journées débutent dans la fraîcheur et la sérénité. Chaque matin se lève une brume humide et très blanche que le soleil transperce peu à peu, et qui apporte en amont du fleuve l’odeur intense de la mer. Les hirondelles sillonnent le ciel et volent au-dessus des toits, comme dans les matins frais des étés de l’enfance. Une fois Cecilia arrivée, je serai comblé.

(Incipit)
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Il se rappelle la peur primitive, la peur qui revient avec la nuit, obscurité plus profonde et plus chargée de dangers que dans les histoires qu'on lui racontait dans son enfance. Non seulement rentrer chez soi lorsqu'il faisait encore jour et fermer les portes, en tirant targettes et verrous ; mais aussi se pelotonner comme un enfant sous les couvertures, fermer les yeux en serrant les paupières et se boucher les oreilles pour ne pas entendre, comme s'il suffisait d'avoir vu ou entendu pour attirer le malheur.
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La lettre était une confession et un récit du désir et aussi une manière éhontée de le provoquer chez l'autre : tandis que tu me lis, fais ce que je m'imagine te faire ; que ta main avance guidée par la mienne, que ce soit ma propre main qui te caresse même si tu n'es pas auprès de moi. Comme il était étrange qu'ils aient mis si longtemps à prendre conscience du danger, à découvrir qu'il y avait un prix et un préjudice et qu'il n'y a pas de réparation pour l'outrage une fois infligé. Chaque mot : une offense ; le filet d'encre : une trace de poison.
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... dans quels labyrinthes vont s’égarer les sentiments des hommes et des femmes, en vertu de quelle loi se convertissent-ils alternativement en anges et en exécuteurs, en bourreaux et en victimes les uns des autres, régulièrement, sans apprentissage ni repos, sans que leur serve de rien l’expérience de la douleur ni que les décourage jamais complètement la répétition de l’échec. 
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Ce qui est le plus solide s'évapore, le pire comme le meilleur, le plus banal comme ce qui était nécessaire et décisif, les années que quelqu'un a passées à travailler tristement dans un bureau ou a cultiver des remords pour l'indifférence et la froideur de son couple, le souvenir d'un voyage vers une ville où l'on a vécu et où l'on s'est promis de revenir à la fin d'un séjour unique et mémorable, l'amour et la souffrance, même certains des plus grands enfers sur terre se trouvent effacés au bout d'une ou deux générations, et un jour arrive où il ne reste pas un seul témoin vivant qui puisse se souvenir.

page 114
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Dans les livres d'histoire, les sons ont une sonorité évidente et les faits se succèdent comme un enchaînement sans appel de causes et d'effets. Dans le pur présent qu'on voudrait être capable d'imaginer, dans la palpitation intime et véritable du temps, tout ressemble à une méticuleuse agitation, à un étourdissement de voix qui se superposent, de pages de journaux précipitamment tournées et lues à moitié, aussitôt oubliées, mélangées entre elles, se désagrégeant presque au moment où elles semblaient s'ordonner pour prendre un sens intelligible, un jour puis un autre, des vagues de mots qui viennent l'une après l'autre se briser contre la frontière de ce qui est encore inconnu, de ce qui arrivera le lendemain même et que personne ne peut prévoir.
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Pour faire allusion aux gens qu'elle détestait le plus, les routiniers, les monotones, ceux qui étaient incapables du moindre trait d'imagination, elle disait:
- Ce sont des fonctionnaires mentaux.
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