AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Antonio Muñoz Molina (509)


Je commence à lire et voilà que je m'immerge , et je n'entends ni les voix qui m'appellent , ni les pas qui montent l'escalier pour venir me chercher , ni la sonnerie de l'horloge de la salle à manger que mon grand-père remonte tous les soirs , ni les hennissements des mulets dans l'écurie , ni le caquetage des poules au fond de la basse - cour . Je glisse silencieusement au-dessus de l'Afrique avec les passagers de Cinq semaines en ballon ......
Commenter  J’apprécie          190
Le passé des adultes est un monde sur lequel on ne peut se pencher que par d'étroites fentes, une maison sombre où presque toutes les pièces sont fermées à clef et dont les volets des fenêtres sont clos, et qui laissent passer à l'occasion un filet de lumière [...].
Commenter  J’apprécie          190
Pour ce qui est de ce surnom, Bloom, j'ai de bonnes raisons pour penser que c'est Santiago Biralbo qui le lui a donné parce qu'il était gros et placide et qu'il affichait toujours sur ses joues une plénitude rose, très semblable à celle des pommes. Il était gros et blond et on aurait vraiment dit qu’il était originaire du Canada ou de Suède. Ses souvenirs, comme sa vie apparente, étaient d’une confortable simplicité : un ou deux verres lui suffisaient pour se rappeler un restaurant du Québec où il avait travaillé quelques mois, une espèce de guinguette au milieu d’une forêt où les écureuils venaient finir les assiettes et ne prenaient pas peur en le voyant : ils remuaient leur museau humide, leurs ongles minuscules, leur queue, puis ils s’en allaient à petits sauts sur le gazon et savaient exactement à quelle heure ils devaient revenir, le soir, pour finir le reste du dîner. Parfois, quand on y mangeait, un écureuil sautait sur la table. (p.72)
Commenter  J’apprécie          184
Cela arrive une fois et de nombreuses autres fois. Les dates changent, de même que la lumière des saisons, les états d'âme, mais la scène est immuable. La fenêtre, la rue sous les arbres tantôt feuillus, tantôt nus, de jeunes feuilles ivres de chlorophylle ou jaunes en automne, le soleil couchant sur les façades et les corniches des immeubles d'en face, son déclin doré et rougeoyant, les fenêtres qui s'éclairent ensuite à mesure que la nuit tombe, et moi qui ne cesse de regarder les trottoirs, les feux d'un taxi, les voyants rouges, des braises dans le noir. La mémoire ne conserve guère les faits singuliers, elle privilégie des séquences réitérées, des patrons, des modèles, des concentrés d'expérience qui aident à prédire des répétitions à venir.
Commenter  J’apprécie          180
Bien qu'elle ne soit presque plus jamais visible dans ses rêves, Judith Biely y rôde telle une absence impérieuse, celle d'une personne qui, du fait de son départ, semblera plus présente encore dans la révélation du vide qu'elle a laissé, comme le tranchant d'une lame est révélé par la blessure ouverte, et un inconnu par les traces qu'il a laissées sur le sable humide.
Commenter  J’apprécie          180
Comme il sortait, il la vit de profil, silhouette sombre et cheveux blancs éblouissants contre la pâle clarté de la baie vitrée et le bleu opaque et pourpré du crépuscule sur les toits.
Commenter  J’apprécie          180
En d'autres temps, En Égypte ou à Rome, dans l'Espagne que peignait Velasquez, dans la Hollande de Rembrandt ou de Vermeer, la peinture et la sculpture se consacraient à invoquer l'existence humaine, le mystère de l'identité, ce qui se révèle ou demeure indéchiffrable dans des yeux ouverts. Cette tâche, que pour quelque raison l'art moderne semble avoir abandonnée, seule la photographie continue de l'assumer. Ainsi la photographie, inventée si tard, est en définitive l'art le plus primitif et qui s'immerge le plus dans le sacré : le studio du photographe est aussi plein de sortilèges qu'une chambre funéraire égyptienne, et ses outils ressemblent, par la compétence et le secret qu'on met à les manipuler dans le noir pour préserver de la mort une présence humaine, à ceux qu'utilisaient en Égypte les embaumeurs et les sculpteurs des tombes.
Commenter  J’apprécie          180
Il n'y a pas de monstre venu d'un autre monde qui soit plus fantastique ni plus effrayant qu'une simple mouche domestique ou qu'une fourmi regardée au travers d'une loupe, même de faible grossissement.
Commenter  J’apprécie          182
De manière aussi disproportionnée que mon nez a grandi, mes bras et mes jambes se sont allongés, des bras et des jambes poilus d'anthropoïde qui régresse dans l'échelle de l'évolution, et soudain ma culotte courte de l'été précédent devenait ridicule et faisait rire ma mère et ma grand-mère quand je l'essayais au début du nouvel été. «On dirait un de ces étrangers qui viennent faire du tourisme, a dit ma grand-mère. Il ne lui manque plus que la machine à portraits.»
Commenter  J’apprécie          180
Ce qui dérange le plus les croyants d'une religion, ce ne sont pas les croyants d'une autre, et pas même les athées, mais quelque chose de pire, les sceptiques, les tièdes.
Commenter  J’apprécie          180
Elle me dit qu'elle jalouse les gens tels que moi et je tarde à comprendre ce qu'elle entend par là: "Ceux qui ont une profession ou une vocation qui remplit leur vie, leur donne une direction, leur permet une progression qui peut s'évaluer de manière objective, comme c'est le cas de la science pour toi".
Commenter  J’apprécie          170
À mesure que le bateau s'éloignait du quai, il laissait derrière lui les stigmates de la guerre, la pestilence de l'Europe était effacée au moins provisoirement par le soulagement du départ, comme une écriture que l'eau délave, ne laissant que de vagues traces sur le papier blanc. La guerre était encore trop proche, à la frontière française, dans les cafés et les hôtels bon marché de Paris où se réunissaient les Espagnols, tels des malades rassemblés par la honte d'une affection infamante mais qui, comme ils la partageaient, leur paraissait moins monstrueuse.
Commenter  J’apprécie          172
Des morceaux de toi-même demeurent dans d’autres vies, comme des chambres où tu as vécu et que maintenant d’autres habitent, des photos, ou des souvenirs, ou des livres qui t’ont appartenu et que maintenant un inconnu touche et regarde, des lettres qui continuent d’exister alors que celui qui les écrivait et celui qui les recevait et les conservait sont morts depuis longtemps. Très loin de toi, on raconte des scènes de ta vie, dans lesquelles tu es quelqu’un d’aussi imaginaire qu’un personnage secondaire dans un livre, de passage dans le film ou dans le roman de la vie d’un autre.
Commenter  J’apprécie          174
Seul celui qui choisit sa mort et l'heure de mourir acquiert en échange le droit magnifique d'arrêter le temps.
Commenter  J’apprécie          175
Il ne l'a pas vue en descendant du taxi. Les réverbères des angles ne parvenaient pas à éclairer l'intérieur des galeries, sombre et humide. Il a entendu le taxi s'éloigner et il est resté immobile tandis que sa stupeur dissipait sa hâte en néant. Pendant un instant, c'était comme s'il ne se rappelait plus pourquoi il était venu sur cette place si noire et déserte.
- C'est alors que je l'ai vue, a dit Biralbo. Sans surprise aucune, comme si maintenant je fermais les yeux, que je les rouvre et que je te voie. Elle était appuyée contre un mur, à côté du grand escalier de la bibliothèque, presque dans le noir, mais de loin on apercevait son chemisier blanc. C'était un chemisier d'été mais elle portait par-dessus une grosse veste bleu sombre. A la manière dont elle me souriait j'ai compris que nous n'allions pas nous embrasser. Elle m'a dit : "Tu as vu comme il pleut?", je lui ai répondu que c'était comme cela qu'il pleut dans les films quand les gens vont se quitter.
- C'est comme ça que vous avez parlé? ai-je dit. - Mais Biralbo ne semblait pas comprendre mon étonnement. - Après deux semaines sans vous voir, c'est tout ce que vous trouviez à vous dire?
- Elle aussi avait les cheveux mouillés mais cette fois ses yeux ne brillaient pas. Elle portait un grand sac de plastique parce qu'elle avait dit à Malcolm qu'elle devait aller chercher un vêtement, de sorte qu'elle avait à peine quelques minutes à passer avec moi. Elle m'a demandé pourquoi je savais que cette rencontre était la dernière. "Mais à cause des films, lui ai-je dit. Quand il pleut autant, c'est que quelqu'un va partir pour toujours."
Commenter  J’apprécie          170
- [...] On dit quelque chose sans en être au fond très convaincu, ou en pensant que cela n'a guère d'importance, mais du fait d'avoir été dit cela commence déjà à être la vérité.
Commenter  J’apprécie          170
Antonio Muñoz Molina
Nous sommes ce que nous racontons...La vérité, nous la disons inconsciemment. Si vous voulez savoir la vérité d'un auteur, lisez ses romans.
Commenter  J’apprécie          170
Comment sera le monde en mille neuf cent quatre-vingt-quatre, en mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, en l'an deux mille ? Une série télévisée que je ne manque jamais s'appelle Espacio 1999 : la seule énonciation de cette date procure déjà un vertige de temps lointain, situé très au-delà de la réalité vraisemblable. Il y aura des stations spatiales permanentes, des vols réguliers vers la Lune et probablement vers Mars. Des vaisseaux robots auront traversé l'atmosphère dense et toxique de Vénus et établi des bases d'observation permanente sur une des lunes de Jupiter.

[nous sommes en juillet 1969, quelques jours avant l'alunissage d'Apollo XI]
Commenter  J’apprécie          170
Il se rappelait sa mélancolie lors de ses premiers voyages hors de son pays : la sensation d’un saut dans le temps dès la frontière franchie ; il revivait la honte qu’il avait ressentie dans sa jeunesse à voir dans un journal français ou allemand des images de courses de taureaux : misérables chevaux éventrés par un coup de corne et convulsés dans leur agonie au milieu d’un bourbier de viscères, de sable et de sang ; taureaux à la langue pendante qui vomissaient du sang, une épée plantée dans leur garrot transformé en bouillie rouge par de maladroites tentatives de coup de grâce. Désormais ce n’étaient plus des taureaux ou des chevaux morts qu’il voyait dans les journaux de Paris ou aux actualités d’un cinéma où lui avaient manqué sans espoir la proximité de Judith Biely, ses mains dans la pénombre, son souffle à son oreille, la salive de ses baisers au goût de rouge à lèvres, au léger parfum de tabac ; cette fois c’étaient des hommes, des hommes qui s’entre-tuaient, cadavres jetés comme des guenilles dans les fossés, ouvriers agricoles en béret et chemise blanche, les mains levées, conduits comme du bétail par des militaires à cheval, soldats noirs de peau, aux uniformes grotesques, aux attitudes d’une cruauté, d’un enthousiasme et d’une vantardise insensés, d’un exotisme aussi sinistre que celui des bandits sur les photos sépia et les lithographies du siècle précédent, aussi étrangers au digne public européen qui assistait de loin au massacre que ces Abyssins armés de lances et de boucliers que le corps expéditionnaire de Mussolini avait mitraillés et bombardés depuis les airs pendant des mois dans une parfaite impunité.
Commenter  J’apprécie          168
Comme l’amour, parfois, et la musique, presque toujours, ce tableau lui révélait la possibilité morale d’une justice étrange et inflexible, d’un ordre presque toujours secret qui modelait le hasard et rendait le monde vivable, bien qu’il lui soit étranger, une chose sacrée mais néanmoins quotidienne et présente dans chaque souffle d’air, comme la musique de Billy Swann quand il jouait de la trompette sur une tonalité si basse que le son allait se perdre dans le silence, comme la lumière ocre, rose et grise des crépuscules de Lisbonne : non pas le sentiment de déchiffrer le sens de la musique, des taches de couleur ou du mystère immobile de la lumière, mais celle d’être compris et accepté par eux.
Commenter  J’apprécie          160



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Antonio Muñoz Molina (1009)Voir plus

Quiz Voir plus

Riverdale

Comment s’appelle le père de Chuck ?

Pop
F.P
Hiram
Al

20 questions
39 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}