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Critiques de Antonio Tabucchi (284)
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Pereira prétend

Pereira prétend…Anaphore avec laquelle un bon nombre de phrases commencent ou se terminent dans ce livre surprenant, peut-être le plus portugais des livres italiens. Comme si l'histoire était racontée avec une certaine distance, comme si l'auteur mettait quelque peu en doute les dires de ce Pereira. Qui est-il d'ailleurs ce scribe ? Un journaliste ? La police ? Antonio Tabucchi lui-même qui aurait vraiment rencontré un tel personnage ? Est-ce une déposition ? Un réquisitoire à charge ? Un commérage ? Un indicateur tapant son rapport ? Nous ne saurons pas mais c'est un procédé narratif intéressant pour raconter l'histoire en lui donnant de la perspective et de la profondeur.



Le plus portugais des livres italiens ? En réalité, je n'en ai aucune idée, mais en tout cas l'auteur semble bien connaitre le Portugal et sa capitale tant Lisbonne est un personnage à part entière de ce livre. Sa chaleur, ses scintillements de lumière, ses courbes généreuses, ses caresses nostalgiques, ses couleurs éclatantes, ses souffles iodés…ses points sensibles et névralgiques comme L'orchidée, café dans lequel Pereira a ses habitudes, Lisbonne sensuelle et accueillante, réconfortante, maternelle pour ce Pereira veuf.



Veuf donc, cardiaque avec des problèmes de poids, seul et quelque peu malheureux, obsédé par l'idée de la mort, Pereira aime la littérature française, en particulier les écrivains catholiques de l'entre-deux-guerres, comme Mauriac et Bernanos. Il vit un petit appartement rue de la Saudade la bien nommée pour notre homme, qui reste en effet profondément ancré dans son passé, toujours enveloppé d'une douce nostalgie, telle Lisbonne enveloppée de son « suaire de chaleur » en ce mois d'aout 1938. Son meilleur confident est un franciscain, Père Antonio, à qui il confesse, dérouté, ne pas croire à la résurrection de la chair. Journaliste au Lisboa, dont il a la responsabilité des pages culturelles, il va voir sa vie bouleversée en acceptant de prendre un stagiaire afin de s'occuper des nécrologies anticipées de grands écrivains qui pourraient mourir d'un moment à l'autre, un certain Monteiro Rossi, jeune thésard d'origine italienne. Les textes de cet étrange Monteiro Rossi sont impubliables car de mauvaise facture et surtout d'idées contraires à ce que pense Pereira, pourtant il ne le licencie pas, l'aidant même, lui donnant de l'argent, sans trop savoir pourquoi il le fait. Comme s'il suivait une intuition. Comme si cela était une résurgence de son moi profond. Une intuition humaniste qui va devenir acte volontaire. Un engagement.



« J'ai remarqué que vous lisiez un livre de Thomas Mann, dit Pereira, c'est un écrivain que j'aime beaucoup. Lui non plus n'est pas heureux de ce qui se passe en Allemagne, dit Madame Delgado, je ne dirais vraiment pas qu'il en est heureux. Moi non plus je ne suis peut-être pas heureux de ce qui se passe au Portugal, admit Pereira. Madame Delgado but une gorgée d'eau minérale et dit : alors faites quelque chose. Quelque chose, mais quoi ? répondit Pereira. Et bien, dit Madame Delgano, vous êtes un intellectuel, dites ce qui est en train de se passer en Europe, exprimez librement votre pensée, enfin faites quelque chose. Pereira prétend qu'il aurait eu beaucoup de choses à dire. Il aurait voulu répondre qu'au-dessus de lui il y avait son directeur, lequel était un personnage du régime, et puis il y avait le régime, avec sa police et sa censure, et au Portugal tout le monde était bâillonné, en fin de compte on ne pouvait pas exprimer librement sa propre opinion, il passait ses journées dans une misérable petite pièce de Rua Rodrigo da Fonseca, en compagnie d'un ventilateur asthmatique et surveillé par un concierge qui était probablement une indicatrice de la police. Mais il ne dit rien de tout cela, Pereira, il dit seulement : je ferai de mon mieux, madame Delgano, mais ce n'est pas facile de faire de son mieux dans un pays comme celui-ci pour une personne comme moi. Vous savez je ne suis pas Thomas Mann, je ne suis que l'obscur directeur de la page culturelle d'un modeste journal de l'après-midi… ».



Des changements infimes peu à peu vont s'opérer en lui, changements lui faisant réellement prendre conscience, en cette année 1938, du salazarisme portugais, du fascisme italien, de la guerre civile espagnol, de la montée de l'Allemagne nazie, lui un lettré ne s'occupant jusqu'ici pas du tout de politique, ne s'en souciant même pas, n'étant au courant de rien, le comble pour un journaliste, n'aimant pas les fanatismes de tout bord. Résolument apolitique il est, et pourtant…Il va, à son corps défendant, prendre position et s'engager, l'air de rien. Pereira, qui paraissait si insipide, va prendre consistance, âme de plus en plus remplie au fur et à mesure que son propre corps va fondre… un peu à l'image de ses multiples omelettes qu'il ne cesse de manger tout au long du livre… Il a fallu que notre homme ait été secoué, battu, presque abattu, pour changer définitivement de consistance, de pensée, d'âme même. Il aura fallu cette prise de conscience pour réaliser que sa vie, ses études de lettres, les pages culturelles de ce petit journal, tout cela n'a plus de sens dans ce monde ci.



Pour expliquer ce changement, Tabucchi met en avant la surprenante théorie de la confédération des âmes : nous avons en nous une pluralité de moi, plusieurs âmes qui se placent sous le contrôle d'un moi hégémonique. Notre normalité n'est qu'un résultat d'un moi hégémonique qui s'est imposé dans la confédération de nos âmes ; « Dans le cas où un autre moi apparait, plus fort et plus puissant, alors ce moi renverse le moi hégémonique et prend sa place, étant amené à diriger la cohorte des âmes… ».



La plume de Tabucchi est fluide, simple, belle et pourtant sans artifice, touchante, elle arrive avec peu de moyen à faire éclore un personnage avec lequel on partage la solitude, les pensées, et auquel on s'attache. La ritournelle « Péreira prétend » donne comme un air de conte, un conte philosophique, un conte humaniste.



Pereira est un personnage de prime abord insipide, indifférent, bourré de certitudes, replié sur lui-même, ne se souciant que de la page culturelle de son petit journal et du souvenir de sa femme décédée très tôt, qui va s'avérer être héroïque grâce à la prise de conscience confrontée à la dictature…L'éclosion d'une belle personne…l'histoire d'une coquille fendue…et d'une savoureuse omelette…

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Pereira prétend

Il est un péché mignon auquel on ne résiste pas longtemps dès lors que l’on flâne par les ruelles pentues de Lisbonne : le “pastel de nata”. Ce flan pâtissier typiquement portugais vous fait un petit clin d’œil chaque fois que vous passez devant l’une des innombrables ''pastelarias'' qui jalonnent la ville aux sept collines.



Assez curieusement, le personnage central du roman “Pereira prétend”, écrit par Antonio Tabucchi en 1993, évite les pâtisseries. Pourtant il n’a que faire de la diététique, se régalant au quotidien d’omelettes et de citronnades bien sucrées. Veuf depuis quelques années, cet homme entre deux âges est prisonnier de ses petites habitudes et gêné par un embonpoint qui depuis peu tend vers l’obésité.

Sa seule véritable passion est la littérature française dont il abreuve chaque semaine la page culturelle d’un journal lisboète. La montée des nationalismes un peu partout en Europe l’indiffère et, comme la grande majorité de ses compatriotes, il subit avec passivité la dictature de Salazar qui en cette année 1938 sévit depuis six ans déjà au Portugal.



Et puis un jour, un peu par hasard, sans vraiment le vouloir, il met le doigt dans l’engrenage de la subversion en aidant un couple de jeunes gens aux idéaux antifascistes. Ces derniers recrutent dans la clandestinité des volontaires portugais pour les Brigades internationales qui aux côtés des Républicains espagnols combattent les nationalistes de Franco.



Pereira est un être falot, l’antihéros par excellence et pourtant Antonio Tabucchi sait le rendre attachant : ne parle-t-il pas à feu son épouse chaque fois qu’il passe devant son portrait !

Bien qu’il ne croie pas en la résurrection de la chair, Pereira est un catholique convaincu ; son meilleur ami António est père Franciscain. Les prises de positions du Vatican sur la guerre civile espagnole mais aussi celles de Georges Bernanos, François Mauriac et Paul Claudel interpellent les deux hommes et donnent lieu à des échanges enflammés.

Ce roman est d’une densité inversement proportionnelle à sa longueur, vous terminez un chapitre avec le poète futuriste Vladimir Maïakovski pour commencer le suivant avec Alphonse Daudet...



Les événements exceptionnels sont souvent propices à l'émergence de traits de caractère insoupçonnés. L’évolution psychologique de Pereira au contact d’activistes est spectaculaire et son indifférence à l’égard du régime répressif se transforme en quelques mois en aversion profonde.



“Pereira prétend” relate une époque peu glorieuse de l'Histoire de la péninsule ibérique et l’intrigue aurait peut-être mérité d’être plus étoffée sur le fond.

Un ton original à la limite parfois de l’ironie et une fluidité d’écriture vraiment coulante de bout en bout caractérisent la forme de ce roman, au final de bonne facture.



Antonio Tabucchi avait choisi le Portugal comme seconde patrie et Lisbonne a servi de cadre à bon nombre de ses œuvres. Comme le “pastel de nata” de tout à l'heure, je crois bien qu’un autre roman de l’écrivain italien me fait déjà un petit clin d’œil !

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Il se fait tard, de plus en plus tard

On aime le ton, on aime le fond. Bon, c’est bon ! Mais ça dépend. C’est le genre de livre dont on ne pense pas la même chose, à vingt, à quarante, à soixante ans, etc. et ensuite, on reprend, mais à l’envers, de vingt en vingt, parfois en vain, mais en arrière. C’est quand le souvenir nous accompagne, bienveillant, ou au contraire envahissant, même si, on arrive toujours d’une certaine façon à le maîtriser, on l’invite ou pas. Bien sûr, on voit les choses différemment. On n’apprendra plus au vieux singe à faire la grimace. Encore que... On se demande si l’on ne voudrait pas y être encore, y revenir ; en tout cas une dernière fois ! Le ton est plaisant et l’histoire aussi, les histoires devrait-on dire, un défilement en mode épistolaire. Ce sont des voix d’hommes qui se souviennent, des femmes en général, et en particulier, de la compagne, de la maîtresse. Celle qui n’aura plus la parole désormais, car quoi qu’il en soit, on lui rabat son caquet, et de façon définitive en cette ultime reconquête du temps.

À moins que, une sombre voix, par quelques voies secrètes, s’immisce, une fois pour toutes, à l’intérieur du texte et que brisant le silence, elle l’emporte et nous emporte dans cette quête de la raison. Mais, qu’elle veille ou qu’elle se venge, la Parque appréciera de façon catégorique, si pour avoir manqué son temps il est bien naturel qu’enfin, il nous rattrape. Pourtant, il n’est pas si tard encore pour que fleurisse, à cette ligne, un message d’amour.

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Pereira prétend (BD)

Bon catholique, Doutor Pereira est journaliste et travaille à la rubrique culture du Lisboa. Un jour, dans le tramway, il tombe, dans un journal ouvert, sur un article d'un certain Francesco Monteiro Rossi. Un article parlant de la mort. Finissant son trajet à pied, il voit, au loin, plusieurs policiers s'en prendre à un homme. Il ne réagit pourtant pas et continue son chemin. Alors qu'il travaille sur une traduction d'un texte De Balzac, il se décide à appeler Rossi et l'informe qu'il aimerait le rencontrer. le rendez-vous est pris pour le soir-même, dans un bal populaire donné par la jeunesse salazariste au cours duquel Rossi chante une romance. Autour d'un verre, Pereira apprend que le jeune homme a triché pour rédiger son mémoire sur la mort. Cela n'empêche pourtant pas Pereira de lui proposer d'écrire des nécrologies anticipées d'écrivains célèbres. Un travail que le jeune homme accepte car il a besoin d'argent. À ses côtés, Pereira va peu à peu changer de regard sur le monde qui l'entoure...





Adapté du roman éponyme d'Antonio Tabucchi, cet album nous emmène au coeur de Lisbonne, à la fin des années 30. Une ville alors sous l'emprise du dictateur Antonio de Oliveira Salazar. Doutor Pereira, journaliste ventripotent, mène une vie très rangée, calme, voire un peu triste et terne depuis le décès de sa femme avec qui il converse via son portrait encadré. Sa rencontre avec Rossi, un jeune philosophe  révolutionnaire un peu fougueux, va complètement le métamorphoser, changer sa vision du monde et de la vie. Pierre-Henry Gomont décrit avec précision les états d'âme de Pereira, notamment sa solitude et sa mélancolie. L'on voit, en effet, le journaliste parler seul ou avec sa femme décédée, discuter avec ses autres "personnalités" représentées par des petits hommes. L'on assiste, petit à petit, à ses changements: son ouverture aux autres, sa vision politique et citoyenne. Graphiquement, Pierre-Henry Gomont nous offre véritablement un voyage au coeur des ruelles ensoleillées et étouffantes de Lisbonne. Une magnifique palette de couleurs, du rouge colère au jaune soleil ; un trait parfois juste esquissé, parfois maîtrisé.

Un beau portrait touchant d'un homme sensible et d'un pays en devenir.
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Pereira prétend

Pereira prétend est un grand livre publié en 1994. L'action se déroule à Lisbonne "enveloppée d'un suaire de chaleur" en aout 1938. Il raconte le lent réveil de la conscience d'un homme, petit journaliste consciencieux sans importance, responsable de la page culturelle du Lisboa, un quotidien catholique prétendument apolitique. La plupart des phrases débutent par l'anaphore « Pereira prétend » comme si le narrateur mettait en doute le témoignage de son personnage.

Le Doutor Pereira est un quinquagénaire veuf depuis peu. Il vit seul dans un appartement modeste de la rue de la Saudade. Chaque jour il fait la conversation au portrait de son épouse, mange deux omelettes persillées et boit de nombreuses citronnades aux terrasses de café. Il a de l'embonpoint et des problèmes cardiaques qui l'essoufflent. le Doutor Pereira est un catholique sincère hanté par la mort et la résurrection de la chair dans une ville qui pue la mort. Il est lucide sur la situation politique, la censure de la presse portugaise, la complaisance de son patron à l'égard du régime de Salazar et de tous ses amis qui saluent comme s'ils tenaient un javelot. C'est un garçon de café qui donne au journaliste de vraies nouvelles de la guerre d'Espagne mais aussi des exactions sur les Juifs de son quartier. Pereira préfère se réfugier dans la littérature, traduire et publier de la littérature française du XIXème siècle. Un jour pourtant, il est attiré par la thèse d'un jeune homme portant sur la mort. Il l'engage comme stagiaire au journal. Monteiro Rossi devra écrire des nécrologies anticipées ou des biographies d'illustres écrivains. Mais il s'avère très vite que les nécrologies élogieuses ou fielleuses sont totalement impubliables. Elles seraient censurées. Pourtant Pereira les prend, les place soigneusement dans un dossier et paye le jeune homme de sa poche…



Le roman traite de l'engagement et parle beaucoup de littérature mais ce n'est pas un traité philosophique ni un roman à idées désincarné qui rendraient la lecture pesante. Bien au contraire. La lecture est très plaisante tant le personnage de Pereira est attachant, émouvant, inoubliable. Ce n'est pas un héros ou un grand écrivain engagé mais un homme ordinaire à bout de souffle qui renaît peu à peu au contact de la jeunesse et de la beauté. le jeune Monteiro Rossi et surtout Marta sa belle amie aux cheveux de cuivre influencent le quinquagénaire et bouleversent sa vie rangée. Les jeunes mettent leur vie en jeu s'engagent dans la guerre d'Espagne. Lui pourrait être le fils qu'il n'a pas eu et elle est si belle, si passionnée avec sa belle chevelure cuivrée. Nous sommes dans la tête de Pereira, nous suivons ses interrogations, son auto-analyse, nous rencontrons son ancien camarade d'étude à Coimbra, une juive allemande exilée, nous le suivons dans les ruelles et les cafés de Lisbonne, en train, en cure thermale jusqu'à la fin à la fois dramatique et jubilatoire.

Je suis certaine de lire d'autres ouvrages d'Antonio Tabucchi.

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Pereira prétend

Eh oui, il prétend, Pereira, cet homme un peu gros, un peu vieux, très veuf, très catholique, très seul, responsable de la section culture du journal Lisboa, peu au courant de ce qui advient dans sa propre ville, car le directeur du journal est lui-même en vacances.

Mais assez au courant pour trouver impubliable l'éloge à Garcia Lorca, au moment où sur une place de Lisbonne( peut-être celle du Palais Royal, où s'étalent les somptueux azulejos de la couverture) s'affiche « Honneur à Francisco Franco, »

Donc, il prétend, Pereira, et cela ne peut lui être reproché, que le ciel était bleu ce jour là, bleu dans le ciel bleu d'une brise atlantique, ce vingt-cinq juillet mil neuf cent trente huit.

Il prétend, tout en étant sûr qu'il se fourvoie.

Devant qui prétend-t-l ?

Devant la police impitoyable de Salazar, qui envoie ses sbires tueurs ?

Devant les futurs révolutionnaires qui ne manqueront pas d'apparaitre ?

Devant le portrait de sa femme, à qui il parle chaque jour ?

Devant ce qu'il devine être la liberté , ça, il le prétend seulement ?

Il prétend, sans prétention, parce qu'il n'est au courant, prétend-il, de rien.

Cela commence par un charretier de l'Alentejo qui avait été massacré, il était socialiste.

Et puis , la boucherie juive avait été éventrée.

Et lorsqu'un prêtre lui demande, mais comment, tu ne le savais pas ? il pense dans quel monde est-ce que je vis ? et peut-être, justement, je suis mort., prétend-il.

Entre ce qu'il voudrait dire à ce jeune arrogant qu'il a, malgré lui, contacté, pour qu'il l'aide à dresser des hommages aux futurs écrivains pas encore morts, ce qu' il essaie, prétend-t-il, de lui dire, pour se dégager de ce guêpier, et l'argent que finalement il lui donne, il y a un hiatus qu'il ne comprend pas.

Il ne se comprend pas lui-même, prétend-il.

Il ne veut pas prétendre indument, au contraire, il prétend, il voudrait dire mais ne dit pas.

Car -dessus de lui, son directeur est un personnage du régime, et puis, au-dessus, le régime, ce qui veut dire la police et sa censure : tout le monde au Portugal est bâillonné.

Lui aussi se sent bâillonné, il rêve sans vouloir raconter son rêve, il voudrait confesser son repentir, mais de quoi se repentir ? de quoi se dépêtrer, dans ce monde qu'il prétend ne pas connaître, et pourtant dont il devine, quoi, prétend-il ? il ne le sait pas.

Mais , pourtant, le garçon de café à qui il demande des nouvelles du pays , lui parle de l' implication de Bernanos contre Franco. Un catholique, ce Bernanos, comme Pereira, prétend-il.

Et puis, le docteur Cardoso lui conseille de négliger sur surmoi, pour donner libre cours au moi « hégémonique » dit –il : en termes freudiens le moi est bien l'instance essayant de concilier d'une part le ça, ou principe de plaisir ( ses citronnades sucrées) et d'autre part le Surmoi qui lui interdit de vivre , le bloque dans le passé et le souvenir de sa femme.

Il chemine, ce Pereira, il n'a rien voulu de ce qui lui advient, mais, prétend-il, mais cela est advenu.

Il s'ouvre à son propre moi , il ne le prétend pas, il le vit.



Lc thématique octobre : un verbe dans le titre



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Femme de Porto Pim et autres histoires

Femme de Porto Pim et autres histoires est un recueil de courts textes d'Antonio Tabucchi, inspiré d'un voyage qu'il effectua aux Açores.

Antonio Tabucchi nous offre ce livre qui n'est pas à proprement dit un journal de voyage, mais plutôt une variation, une déambulation dans un univers tour à tour imaginaire, réel, culturel...

L'ensemble ressemble à un archipel avec son harmonie, ses dissonances, ses digressions, mais surtout sa poésie étrange où le chagrin affleure le désir.

Un archipel composé d'îles, de villages faits de lave, de baleines et de baleiniers, de naufrages, d'amours perdues et de chants mélancoliques qui sont comme autant de lamentations que le soir emporte vers le large...

Ici longtemps les Açores furent liées aux baleines et à l'activité de la chasse à la baleine.

Mais au moment où l'écrivain pose le pied sur quelques îles composant les Açores, les baleiniers sont un peu une race en voie de disparition, tout comme les baleines d'ailleurs...

Comment déjà ne pas se laisser étourdir par l'enchantement de ce premier voyage que nous offre la première nouvelle du livre, Hespérides rêve en forme de lettre, promenade dans une ville qui se veut à la fois onirique, chimérique, puis terriblement réelle...

Plus tard l'écrivain s'invite même à une chasse à la baleine, qui n'est pas s'en rappeler le mythique Moby Dick, j'ai trouvé cette scène du recueil à la fois saisissante et insoutenable.

L'écriture de l'écrivain est délicate, poétique, son érudition accompagne son voyage pour ne rien laisser au bord du chemin, pour mieux comprendre ce bel archipel et nous partager avec générosité ces bribes capturées dans des textes historiques, récits de légendes et littérature, qui font des baleines et des baleiniers des êtres à la fois temporels et intemporels...

Comme souvent chez Antonio Tabucchi, certains récits semblent inachevés. Parfois c'est dans leur inaccomplissement que les histoires impossibles sont les plus belles.

Nous sommes ici tour à tour Jonas, Quequeg, Ismaël et le capitaine Achab. Antonio Tabucchi nous rappelle que parfois certaines de nos vies ont pu être des naufrages, mais lorsque nous sommes rejetés par la mer, le rivage est une manière peut-être de rendre cette île possible...

Regarder les hommes du point de vue d'une baleine n'est pas sans ironie non plus, où se mêle une petite pointe de tristesse aussi.

J'ai été définitivement harponné par la dernière nouvelle, ma préférée, confession sublime et pathétique d'un chagrin d'amour, qui donne son titre au recueil, où se mêlent la passion, l'inquiétude, la sensualité, dans un chant poétique, douloureux et tragique. Ces dernières pages sont un brasier, tandis que l'agonie des dernières baleines emportent nos rêves vers le large.

C'est un texte fascinant au ton inoubliable.

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Pereira prétend

Il y a un an ou plus que je voulais lire ce roman, car j’aime le Portugal, pays où est né mon mari et qu’il a quitté pour échapper à la dictature, il y a longtemps et j’ai fait une belle rencontre.



Pereira est un homme simple, passionné de littérature, épris des auteurs français, qu’il traduit en portugais pour les publier sous forme de feuilletons. Il ressemble à tout un chacun, avec son obésité, ses problèmes cardiaques qu’il traite en mangeant des omelettes aux herbes, arrosées copieusement de citronnade très sucrée, qu’il consomme par litres. Il vit presque en reclus, dans ses livres, son dictionnaire à portée de la main pour traduire aux mieux ses auteurs préférés, Balzac, Daudet...



La concierge le surveille, sans aucune discrétion avec des réflexions ambigües et il soupçonne qu’elle est à la solde du régime. Il a perdu sa femme il y a quelques années et n’a jamais refait sa vie. Il n’a même pas fait son deuil, d’ailleurs, car il parle à sa photo, le soir avant de dormir, ou quand il prend une décision ou simplement pour échanger ses pensées.



Il n’a plus d’amis véritables, à part un prêtre, le père Antonio, avec qui il va discuter de temps en temps, car la mort le fascine. Il est catholique plus ou moins pratiquant, mais la résurrection de la chair est une idée qui le heurte (en reprendre pour une autre vie avec ce même corps obèse, cela ne l’enchante guère. Il vit, ou plutôt survit, dans ce pays où la dictature déploie ses ailes, sort ses griffes tel un aigle qui s'abat sur la population , surveillant tout le monde. Il se passe des choses, par exemple un serrurier assassiné dans l’Alentejo, cela n’est jamais évoqué dans les journaux.



Si on veut savoir, il faut se rendre dans un café, le Café Orquidéa, où certaines nouvelles circulent. Il n’a pas de conscience politique, il survit, dans son monde… " Il y avait simplement des bruits qui courraient, le bouche à oreille, il fallait se renseigner dans les cafés pour être informé, écouter les bavardages, c’était l’unique moyen d’être au courant". P 60



Puis, apparaît dans sa vie Francesco Monteiro-Rossi (Portugais par sa mère, Italien par son père), qui est sympathisant des républicains espagnols, ainsi que son amie. La relation entre les deux hommes est particulière d’emblée. Il s’attache à Francesco qui pourrait être le fils qu’ils n’ont jamais pu avoir, sa femme et lui, donc il a envie de le protéger, de l’aider, en lui faisant faire des rubriques nécrologiques avant l’heure pour des écrivains qui pourraient mourir brutalement.



Il le paye, de ses propres deniers, pour des textes qui sont impubliables du fait de la censure. Il fait l'éloge de Garcia-Lorca, ou de Maïakovski alors que règne la censure. Au début, le fait de le voir payer ainsi pour du vent exaspère, on a l’impression qu’il se laisse manipuler sans rien faire. Mais c’est loin d’être aussi simple…



Le style et l’écriture sont particuliers, gênants au début, avec cette litanie « Pereira prétend » qui revient régulièrement, de façon entêtante comme un mantra. Pereira n’affirme pas, il prétend… peu à peu l’oppression s’installe, rythmée par cette petite locution. Le poids de la censure, de la pression se trouve renforcé par cet emploi.



Antonio Tabucchi utilise une autre ficelle pour rendre l’atmosphère pesante de l’enfermement de la pensée : il choisit de ne pas écrire les échanges entre les personnages sous forme de dialogue ; certes il ouvre les guillemets, mais ne va jamais à la ligne, ce qui rend le texte encore plus dense.



C’est le premier roman d’Antonio Tabucchi que je lis, et je l’ai dévoré et en même temps savouré, relisant des passages, le posant un peu pour respirer, (Pereira s’essouffle à cause de son cœur malade, au propre comme au figuré d’ailleurs, dégoulinant de sueur (ou peut-être de peur) sous la chaleur moite de Lisbonne, et le lecteur retient son souffle… on entend la mer au loin la brise du soir, le ventre de Lisbonne respire à peine, mais la ville est tellement présente qu'elle est un personnage du livre...



Note : 8,2/10
Lien : http://eveyeshe.canalblog.co..
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Nocturne indien

Lu en version originale et dans sa traduction française.



Je me suis laissé emporté par ce livre, un voyage ou plus exactement une errance en Inde, il ne décrit pas les lieux traversés - bien qu’un index de ceux-ci figure au début du livre - mais m’a entraîné dans un parcours mystérieux.



La trame paraît simple au départ : le protagoniste, Roux, est à la recherche d’un ami, Xavier.



Qui est Xavier ? Tabucchi nous donne peu de détails : il est Portugais, “un Portugais qui s’est perdu en Inde”, était malade, il écrivait des histoires, Roux ne peut le décrire (“Non, je n’avais pas de photographie, je n’avais que mon souvenir : et mon souvenir était seulement à moi, il n’était pas descriptible”).



Cette quête de Xavier amène Roux à faire de nombreuses rencontres : un chauffeur de taxi Sikh, une prostituée, un médecin, une voleuse, un prophète jain et tant d’autres.

Ces rencontres jalonnent la lecture de mystères.



La fin du livre déconstruit la recherche : Roux ne serait-il qu’à la recherche de sa propre identité ? Ou est-ce une perte d’identité ?

Est-ce utile pour moi de la savoir ? Non, l’objet de sa recherche m’a peu importé en fin de compte, c’est la recherche en elle-même qui m’a intéressée.



L’auteur joue avec nous en parlant du narrateur, il le nomme Roux, ses amis l’appellent le rossignol italien, en portugais rouximol, et à l’avant-dernier chapitre Roux se renseigne sur Xavier en l’appelant Mister Nightingale !

Le Portugal dont Tabucchi était un grand connaisseur, est présent à de nombreuses reprises : la nationalité de Xavier, Pessoa bien entendu dont l’auteur a traduit toutes les œuvres en italien, le gardien des archives de Goa, des chroniques de la Compagnie de Jésus du XVIIè en portugais, un cauchemar où apparaît Alfonso de Albuquerque.

De nombreuses allusions à la littérature : Pessoa évidemment mais également Conrad, Schelling, Victor Hugo, Hesse...



Ce fut un beau voyage onirique, une allégorie de l’existence, qui permet de plus de se baigner dans la magie de l’Inde, un voyage sans destination...

Un plaisir donc !













L



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Tristano meurt

Tristano meurt, à petit feu ou à feu doux, l’onde s’élève. Les effets de la morphine sont attendus, désirés, pour accompagner le moribond vers le trépas. Á son chevet, l’Ecrivain, celui-là même qui s’était inspiré de lui pour un roman, autrefois. Mais Tristano veut se raconter lui-même, pour dire son fait et de vive voix. Il veut se revendiquer en tant qu’homme, non en héros, celui qu’il fut pourtant, au nom de la « Liberté ». Il se crée alors entre eux, de par une grande promiscuité une relation privilégiée et une confiance, d’homme à homme. Tristano se débat dans les replis de la mémoire, entre des moments sombres et confus et d’autres où la brume se dissipe, qui laisse percer le souvenir et les voix dans toute leur fluidité. Telle une pensée qui fuse de toute part, mais entre soi et soi, quand le corps souffre et qu’au détour d’une passion surgit un rêve, ou bien le défilement de la bande son originale, des visages et des corps, tantôt aimés et s’invitant en premiers, ou reniés avec des airs de trahison qui paraissent, comparaissent les bons derniers, comme c’est justice.

Tristano dans les montagnes, caché derrière le rocher, quand l’aube est froide, qu’il serre sa mitraillette, une arme munie d’une lunette en cuivre, celle du grand-père, la lunette avec laquelle il découvrait le ciel de son enfance. Tandis qu’il fixe la petite porte branlante et qu’ils vont sortir. Tandis qu’il va tirer. Il entend une voix féminine qui fredonne la chanson du petit cheval moucheté… Maintenant, Il va tirer. Il a fait le bon choix et parcouru son chemin parmi toutes ces pistes enchevêtrées, de vérités et de contrevérités. Et puis, tout ça pour ça crie l’onde, tandis que son corps se crispe et que la gangrène l’attaque, de la jambe jusqu'à l’aine, tout près de cette partie qui dort, puis qui s’éveille soudain, en rêve, lorsque son sexe se virilise à l’évocation des femmes, des visages et des grains de peau, au hasard de la géométrie du souvenir et des vents qui s’élèvent dans la brume, en Grèce d’abord, puis en Toscane, pour revenir peu à peu, aux origines et retrouver le visage du grand-père paternel, à l’aube de la douce enfance.

La « Liberté », celle d’hier et aujourd'hui, avec ce Dingodingue, le maître du télévisuel et du prêt-à-penser. Tout ça pour ça pense-t-il, encore une dernière fois.

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Femme de Porto Pim et autres histoires

Cette fois-ci l'ami Tabucchi nous embarque aux Açores à la recherche des baleines bleues qui hantent notre mémoire et nos rêves inachevés.

Le livre lui-même ressemble à l'archipel isolé au milieu de l'océan atlantique : des ilots textuels regroupés en deux sections le composent. Ils sont précédés d'un prologue de l'auteur et suivis d'un appendice avec une carte et un court texte explicatif sur les Açores .

Le prologue évacue un malentendu sans importance : l'ouvrage est un faux guide de voyage et les histoires qui le composent sont des illusions mélancoliques nourries de mythes et de récits de voyages que Tabucchi affectionne, de littérature, d'observations et de réflexions personnelles, imprégnées de saudade. Les histoires prennent des formes très variées. Elles ont l'apparence d'un rêve de rêve bien mystérieux, du résumé triste parce qu'il est résumé de la vie d'un autochtone ou bien d'un récit vécu de chasse à la baleine, horrible et archaïque. Antonio Tabucchi maîtrise l'art d'embarquer le lecteur dans un monde imaginaire tout en stimulant délicatement sa réflexion personnelle.

La nouvelle Femme de Porto Pim prend d'abord l'apparence d'une légende (ou d'une complainte) de marin qu'un chanteur mélancolique raconte au narrateur attentif dans un café du port. le chanteur continue. La légende éclaire son histoire d'amour impossible avec une belle propriétaire alors qu'il était un jeune baleinier.

Le dernier récit en forme d'épilogue est celui de la baleine qui considère la tristesse des hommes.

L'appendice qui nous ramène à la réalité insiste. On apprend que la chasse à la baleine telle qu'elle est décrite dans un des récits continue à être pratiquée à l'époque où Tabucchi écrit (1983) et que quatre îles sur les sept sont presque inhabitées.
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Une malle pleine de gens

Antonio Tabucchi (1943-2012) a raconté à plusieurs reprises le choc littéraire qui bouleversa sa vie. C'était en 1962. Il était alors un jeune professeur d’italien qui rentrait en Toscane, après un an passé en France. Avant de monter dans le train gare de Lyon, il passa dans une librairie où il acheta un livre d'un auteur qui lui était parfaitement inconnu. Il s'agissait de "Bureau de tabac" du poète portugais Fernando Pessoa. Après l'avoir lu d'une traite pendant le voyage, il décida sur le champ d’apprendre le portugais. Il s’inscrivit à l'université de Pise à la section des lettres portugaises et tout s’enchaîna.

Tabuchi a en effet traduit Pessoa en italien avec l’aide de son épouse, Portugaise ; il est devenu un spécialiste universitaire mondialement reconnu de son œuvre ; il a publié des articles et produit des documentaires à la télévision, destinés à le faire connaître du plus grand nombre. Et il a même intégré Pessoa à ses fictions de manière tendre et savoureuse (voir Requiem, Rêves de rêves). Ce petit livre (1990) accessible à tous rassemble un échantillon d’articles de trois à quatre pages maximum. Il permet aux néophytes comme moi d’être introduit tout en douceur dans le monde singulier du génial écrivain portugais.



« La malle pleine de gens », la formule est de Montale, c’est celle qui fut retrouvée à la mort de Pessoa en 1935. Elle contenait plus d’un millier de manuscrits signés par différents auteurs, tous inventés. Tabucchi aide le lecteur à s’ y retrouver entre les noms, les œuvres et les styles. Grâce à l’hétéronymie, Pessoa devient un autre sans cesser d’être lui-même, seul et angoissé. Il élabore divers auteurs fictifs, chacun caractérisés par une vie intérieure à multiples facettes (éducation, opinions, sentiments, aspirations…).

Au programme :

Les vies multiples de Pessoa (une vie, plusieurs vies) ; Alvaro Campos ingénieur métaphysicien ; la carte d'identité de l'Enfant Jésus de Caeiro ; le portrait de Bernardo Soares, homme inquiet et insomniaque ; la mascarade ésotérique du 'Marin' (Le Marin : une énigme ésotérique?), le code obscur des lettres d'amour, une note sur le Faust, un entretien avec Andrea Zanzotto.

Cerise sur le gâteau, un florilège de textes pessoens dont il est particulièrement question dans ce livre.

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Nocturne indien

« Ce livre n'est pas seulement une insomnie, c'est aussi un voyage. L'insomnie appartient à qui a écrit le livre, le voyage à qui l'a fait ».

Cette phrase énigmatique ouvre la préface et oriente la lecture hors de tout réalisme. Elle est pourtant suivie d'un index des lieux évoqués. Dans ce Nocturne, l'auteur nous ballade à la recherche d'une Ombre éclairée par un périple indien qui revêt les apparences d'un jeu de piste.

Le narrateur arrive à Bombay avec une petite valise noire. Il est à la recherche de Xavier un ami disparu quelque part en Inde après une mystérieuse maladie et ne dispose que de très vagues indices. On le suit d'abord à Bombay dans un hôtel borgne sans numéro, dans un hôpital de déshérités, dans un palace au luxe indécent où le narrateur tente vainement d'obtenir des renseignements. On le retrouve sur un bateau avec un couple de japonais. On prend ensuite le train jusqu'à Madras, l'autobus-stop jusqu'à Goa et enfin la plage. le périple est illogique, souvent improvisé, entre rêve, souvenir et réalité. On erre avec le narrateur dans cette Inde nocturne aux mille faces tantôt repoussantes, tantôt délectables. A chaque lieu une rencontre incongrue, forte et déstabilisante : une mystérieuse voleuse en fuite, un cardiologue, un jaïn qui se prépare à mourir, un monstrueux devin, un Jésuite, le vice-roi des Indes et enfin une mystérieuse Christine. Chaque rencontre révèle au narrateur un fragment de lui-même et le pousse à continuer sa quête. A la fin du récit, le narrateur présente à Christine son parcours comme l'objet d'un roman à venir. Serait-il le Xavier que le narrateur a cherché ? Rien n'est moins sûr.

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Pereira prétend

J'ai adoré ce roman d'Antonio Tabucchi qui s'appelle Pereira prétend. C'est ma deuxième incursion dans l'univers de cet écrivain italien. Tout comme la première, avec Nocturne indien, j'ai adoré ici l'étrangeté de l'atmosphère, l'écriture particulière comme une musique qu'on reconnaît de loin.

Pourtant, les histoires sont totalement différentes.

Nous sommes à Lisbonne, en 1938, période ô combien tendue qui précédait l'horreur d'une barbarie sans nom. Les signes avant-coureurs étaient pourtant déjà là, dans cette Europe qui se gangrénait peu à peu d'un mal insidieux : le totalitarisme, la haine des Juifs, la peur comme arme du quotidien...

Le Portugal n'y échappe pas. Ce roman se déroule avec en toile de fond le terrible régime de Salazar, dictateur adoubé par Mussolini et Franco. Dès lors, cette ville de Lisbonne particulièrement solaire m'est apparue comme à travers son visage le plus sombre.

Pereira prétend est la chronique presque ordinaire d'un homme sans bruit, sans importance, dont l'activité est d'écrire des chroniques dans le journal Lisboa, pour lequel on vient de lui confier la responsabilité de la page culturelle.

Le monde de Pereira est un monde moribond. Il est veuf, mais sa femme est encore présente en lui, chez lui, son portrait trône dans le hall d'entrée de son appartement, il n'existe pas un jour sans qu'il ne se confie à elle, ou bien lui demande moultes conseils. La vie de Pereira est réglée comme du papier à musique. On sent qu'il la traîne un peu comme un fardeau, il n'a plus le coeur à l'ouvrage, un coeur devenu fragile, malade...

Être un homme ordinaire sous un régime totalitaire, n'est-ce pas du pain béni pour le pouvoir en place, la plus belle des complicités ? Souvenons-nous de cette citation intemporelle d'Étienne de la Boétie : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »

D'ailleurs, à quoi bon se révolter, le monde autour de lui ressemble à une immense toile d'araignée où les familiers qu'il côtoie, sa concierge qui épie le moindre de ses venues, de ses courriers, le directeur du journal à la solde du régime, ressemblent plus à des menaces potentielles qu'à des figures proches.

Pereira n'est pas un mauvais bougre, c'est un homme fatigué, qui pèse, en bon petit comptable obéissant, chaque mot de ses chroniques pour ne pas décevoir le pouvoir en place.

Antonio Tabucchi traite ici de la lâcheté, de l'égoïsme, avec parfois une ironie mordante, de nos petits silences complices, qu'un hasard insolite peut parfois venir bousculer avec inspiration.

Dans cette existence manquant totalement d'imprévu, Pereira va pourtant faire une rencontre qui va le déstabiliser, vous savez, le fameux grain de sable qui vient gripper le rouage, troubler l'ordre des choses si bien établies...

La rencontre fortuite avec un jeune homme idéaliste italien, Monteiro Rossi, va bouleverser la vie de Pereira, le réveiller de sa torpeur, lui ouvrir peu à peu les yeux sur la réalité du monde trouble dans lequel il vit...

C'est alors une lente métamorphose qui donne brusquement un magnifique élan au texte et un sens au récit.

Sous la plume envoûtante d'Antonio Tabucchi, Lisbonne se révèle un personnage à part entière, c'est une Lisbonne océanique, battue par les vents, qui brusquement s'offre à nous dans le dédale de ses rues secrètes...

L'étrangeté du roman provient sans doute aussi de ses paragraphes ponctués de temps à autre de cette remarque, Pereira prétend, comme une litanie, un leitmotiv presque incantatoire. Et l'on comprend alors dans le contexte politique du récit et l'intrigue qui se noue, combien cela brusquement ressemble à la transcription d'une déposition, presque un réquisitoire à charge...

Pereira prétend est un petit bijou littéraire sans prétention, mais empli d'humanisme. Si vous êtes à la recherche d'un régime, c'est une bonne adresse pour trouver l'inspiration de se révolter contre les pires d'entre eux...

Beau et intemporel.
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Les oiseaux de Fra Angelico

Ce court recueil très dense a été publié en 1987 et contient douze (?) textes ailés que Tabucchi l'enchanteur nomme dans sa note introductive « Extravagances » autrement dit des créations qui errent « comme des bribes à la dérive survivant à un tout qui n'a jamais existé... » Les thèmes en sont le Temps, la mort et la création artistique. Parmi ces treize textes (j'en vois treize, il doit y avoir un fantôme qui volète entre ces pages), je m'attarderai davantage sur mes préférés. Mais tous sont excellents.



1.Les oiseaux de Fra Angelico ouvre le recueil.

C'est une petite nouvelle très riche et pleine de fantaisie. Elle pastiche dans sa forme les Fioretti de Saint François.

Fra Giovanni da Fiesole déjà célèbre à Florence se perçoit toujours comme un humble moine dominicain . A l'heure des vêpres, il est en train de ramasser des oignons à la hâte (avant qu'ils ne pourrissent) dans le potager du cloître Saint Marc. Les gros oignons rouges servent à la soupe et le font bien pleurer. Il entend soudain une voix qui l'appelle par son nom de baptême « Guidolino !», il lève les yeux tout embués de larmes et entrevoit un étrange volatile rose avec de frêles pattes blanches. Il lui demande si c'est bien à lui qu'il s'adresse. de la tête, le volatile lui fait signe que non, et en tenant le doigt d'une patte tendu vers lui il le désigne, lui, Guidolino. le moine est stupéfait. L'étrange oiseau s'est pris les pattes dans le poirier. Il décide de le dégager. Il se défait de sa robe de bure qui entrave ses mouvements, monte à l'échelle et découvre que ses jambes maigres et blanches ressemblent bigrement à celles du volatile. Puis, comme il est nu il s'arrange à la hâte et s'excuse tout confus mais le souvenir de la belle Nerina, une jeune fille blonde couchée sur une motte de paille lui apparaît au mauvais moment et il se confond en excuses. Arrivé au sommet…



Fra Giovanni est le seul parmi les moines à percevoir les créatures étranges, à entendre leur langage et à se souvenir de la jeune fille. le rêve et le souvenir du désir lui permettent de créer une oeuvre immortelle. Les oeuvres de Fra Angelico adoptent une fonction miroir . le peintre y représente les saints comme des miroirs de vertu, destinés notamment aux novices. Dans l'histoire espiègle de Tabucchi la fonction miroir est pastichée également. Les créatures ailées sont maladroites comme l'albatros de Baudelaire : elles ne peuvent ni marcher ni voler bas ; elles restent coincées dans les branches des arbres et finissent en cage. Heureusement ces oiseaux maladroits, peut-être fruits de son imagination et de sa myopie larmoyante, deviennent les anges de ses fresques.



2.3.4 Ce conte est suivi par trois lettres impossibles et mélancoliques sur le thème du Temps. Les destinataires ne pourront ni les lire ni y répondre. La première lettre a été envoyée par le dernier roi portugais de la dynastie Aviz, Don Sebastiano (1554-1578) à Goya peintre de « carnages et caprices »né deux siècles plus tard. La lettre tente de rebâtir le passé. La deuxième est envoyée par la voyante de Napoléon, Mademoiselle Lenormand, à la révolutionnaire Dolores Ibarruri, révolutionnaire, communiste, Pasionaria de la guerre civile espagnole. Cette lettre décrit le futur et ses guerres immuables. La troisième et dernière lettre magnifique est écrite par la nymphe Calypso à Ulysse qui vient de la quitter. Calypso regrette son immortalité qui rend son présent éternellement douloureux.



5. « L'amour de Dom Pedro » est une variation sur la Reine morte.



6. « Message de la pénombre » est une lettre douce et tendre adressée à une défunte particulièrement touchante. La lettre accompagnait le catalogue de l'exposition de Davide Benati, Terres d'ombre et s'inspire de sa peinture. (voir citation de la fin).



7. « La phrase qui suit est fausse . La phrase qui précède est vraie ». C'est un ensemble de lettres de 1985 érudit et drôle entre Xavier Janata Monroy un Indien amateur de paradoxes mathématiques et Tabucchi, auteur de Nocturne Indien et de Petites équivoques sans importance. Tabucchi en profite pour comparer le roman au strip tease (voir citation).



8. « La bataille de San Romano » commence par une ébauche d'une nouvelle spectrale qui n'a rien à voir avec le contenu des dyptiques de Paolo Ucello dispersés à Londres et Paris. Mais l'histoire a été inspirée par un ouvrage sur la perspective de Vitellius. «  le panneau de Paolo Uccello offrirait non la représentation d'êtres réels mais de fantômes ».



9. « Histoire d'une histoire absente » le narrateur détruit le manuscrit d'un roman qu'il aurait dû remettre à son éditeur.



10. « La traduction » est une nouvelle allégorique pleine d'astuces. Un locuteur « je » décrit une toile à quelqu'un. Il interprète le tableau à sa manière en insistant sur la couleur jaune. A la fin le lecteur se rend compte que l'interlocuteur est aveugle. Et il comprend également que l'interprétation proposée par le locuteur pleine d'indices mortifères renvoie à des faits historiques.



11. « Les gens heureux ». Lors d'un repas une jeune femme annonce à un homme, un universitaire plutôt mûr qu'elle est enceinte.



12. « Les archives de Macao » hommage très touchant à son père.



13. « Dernière invitation » Eloge singulier de Lisbonne. La capitale portugaise est la ville la mieux pourvue en entreprises de pompes funèbres : seize pages dans l'annuaire ! Et la plus appropriée par sa structure et sa configuration pour faire des sauts...Une sorte de guide touristique plein d'humour noir pour âmes volantes.



Je vous encourage vivement à voleter avec ces drôles d'oiseaux.

Lu dans la traduction de Jean-Baptiste Para (1989)

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Récits avec figures

Récits avec figures est le dernier ouvrage paru du vivant d' Antonio Tabucchi.

C'est un bel ouvrage composé avec soin de textes courts (de la nouvelle aux fragments) crées à partir d'une trentaine d' images (peintures surtout, photos, dessins) sur trois chapitres aux titres musicaux révélateurs : adagios , andanti con brio, arriettes, car Tabucchi aime les correspondances. Les images et l'écriture vont et viennent, se parlent et se répondent.

J'ai été sensible à ses voyages oniriques  et puis j'ai été surprise par ses récits-poèmes, petits instantanés qui font penser aux haïkus que j'affectionne.

Dans ses récits, Tabucchi part de l'image figée et redonne vie, avec simplicité et dans de belles histoires mélancoliques à des personnages réels ou de papier (les siens, mais pas seulement) délaissés ou endormis (voir couverture) mais aussi à des anonymes de passage comme un petit marchand de glace, à de grands écrivains du passé ou à des amis disparus récemment à qui il rend hommage. La mort rôde souvent dans l'ombre alors même qu' il nous emmène à notre tour dans une succession de voyages lumineux au pays de la mémoire et des rêves inachevés.

Nous partons pour sa Toscane natale et au Portugal où nous retrouvons avec plaisir Pereira, Isabel, Pessoa. Nous accompagnons Bernardo Soares avec un pincement au coeur car ce sont ses dernières vacances. Puis Tabucchi nous conduit dans la Crête antique et son labyrinthe pour une histoire borgésienne. Nous nous retrouvons aussi dans les cafés parisiens qui ont autrefois accueilli Verlaine. Nous allons jusqu'à l'île d'Utopie créée par son ami d'enfance, Robert Louis Stevenson. Occasion de réfléchir sur un langage ouvert qui voyage vers l'autre, au-delà des frontières.

Tabucchi nous parle également des artistes qu'il a convoqués, il raconte leur vie et il réfléchit à leur façon de peindre ou de photographier, initiée elle aussi par une image, un souvenir ou un rêve, « comme en miroir » de sa propre création.

L'écrivain utilise souvent des techniques photographiques ou cinématographiques. Il fait des zoom sur des détails, trouve des angles particuliers et ses récits sont comme filtrés de teintes évocatrices. Il utilise la terre de sienne brûlée de son enfance, les bleus méditerranéens mais aussi le blanc de la lune et de l'espace poétique.
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Rêves de rêves

Antonio Tabucchi a choisi dans ce petit livre (1992) de faire rêver Dédale puis des poètes et des artistes qu'il aime, aux destins extraordinaires. Et il a très bon goût !

Par ordre d'apparition : Dédale, Ovide, Apulée, Cecco Angiolieri, François Villon, François Rabelais, Caravage, Francisco Goya, Samuel Taylor Coleridge, Giacomo Leopardi, Carlo Collodi , Robert Louis Stevenson, Arthur Rimbaud, Anton Tchekhov, Achille-Claude Debussy, Henri de Toulouse-Lautrec, Fernando Pessoa, Vladímir Maïakovski, Federico García Lorca et... Sigmund Freud bien sûr.



Comme dans Requiem ou Nocturne indien, les morts revivent, s'expriment, comme s'ils étaient vivants. Tabucchi connaît par coeur la vie et l'oeuvre de ses illustres personnages, leur rend hommage ou s'en moque avec beaucoup de sensibilité et de fantaisie dans de petits récits ciselés. Leur rêve est libérateur ou prémonitoire d'une descente aux enfers. Tabucchi affectionne les visionnaires, les rebelles, les artistes engagés, les exilés, souvent des hommes malheureux. Il humanise les proscrits, les criminels et les monstres. Chaque récit commence de la même façon, par une date, un lieu et les circonstances du rêve. Chaque patronyme est suivi d' une apposition systématique qui précise l'intérêt de Tabucchi et oriente la lecture ( Pessoa, poète et simulateur). A la fin de l'ouvrage de courtes biographies parfois bien utiles justifient cette orientation.



Mes préférés :



Dédale, architecte et aviateur, rêve qu'il marche frénétiquement dans les couloirs d'un immense palais sans issue. A un moment, il se retrouve dans une chambre joliment décorée, au milieu de laquelle se trouve un grand lit et, au bord du lit, en pleurs, un homme à tête de taureau, amoureux de la lune ...



Ovide, poète et courtisan, rêve de plaire à César et se métamorrphose en papillon géant. Il revient à Rome sur un char, est accueilli par une foule qui le prend pour une divinité orientale. Il révèle alors son identité mais…



Villon, poète et criminel, rêve qu'un lépreux l'entraîne dans les bois où son frère a été pendu.



Rabelais, écrivain et moine défroqué qui mène une vie ascétique, s'empiffre et pas qu'un peu en compagnie de Pantagruel,



Caravage, peintre et homme irascible, voit le Christ pointer son doigt sur lui (voir citation).



Toulouse-Lautrec, peintre et homme malheureux, rêve dans un bordel d'être à la campagne près d' Albi , et de pouvoir allonger à volonté ses jambes, déformées depuis la naissance.



Maïakovski, poète et révolutionnaire, rêve dans le métro de Moscou ; il a hâte d'en descendre pour se rendre aux toilettes et se laver les mains. Mais il ne parvient pas à enlever la saleté. La police politique l'aperçoit le fouille et...



Freud, interprète des rêves d'autrui, rêve d'être Dora l'une de ses patientes, célèbre dans tout Vienne pour ses déboires sexuels et dont Freud a prétendu déchiffrer l'inconscient…



Cet exercice d'écriture onirique est très agréable à lire.
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Tristano meurt

Tristano meurt (2004) est un monologue intense dans lequel le narrateur, un écrivain moribond dit ses souvenirs et ses réflexions personnelles à un autre écrivain qui n'intervient jamais. Celui-ci est venu à son chevet dans sa maison de campagne en Toscane au mois d'aout. La gangrène ronge la jambe de Tristano et Frau la fidèle gouvernante allemande lui injecte périodiquement de la morphine et lui dit des poèmes. Derrière les persiennes mi-closes chantent les cigales. Les souvenirs de Tristano sont hachés, décousus, parfois hallucinés. il confond les prénoms de celles qu'il a aimées jadis. Marvi, Rosammunda, Daphnée, Marilyn. Il confond la réalité avec les chansons populaires, les mythes et le cinéma. Tristano a aimé, a vécu, a combattu. il a pris les armes autrefois un peu par hasard contre son propre camp, il a combattu les nazis. Ses faits d'armes ont inspiré à l'écrivain un roman héroïque à succès. Tristano est hanté par la guerre et voudrait rétablir les faits mais à mesure qu'il raconte sa vie, il se rend compte de tout ce qu'il a oublié. Il cherche en vain à se remémorer ce qui n'est plus. Et ce qu'il raconte est-il la vérité ? Que vaut son témoignage ? Il tourne en rond à l'intérieur de sa conscience. Et, peu à peu sa voix devient la page de l'écrivain. Alors Tristano peut mourir.



Comme souvent chez Tabucchi, le roman entrelace brillamment l'histoire du personnage avec celle de l'Italie toute entière. En creux se dessine la colère et l'amertume de l'auteur face à l'Italie démocratique consumériste. Elle semble si loin de l'idéal des combattants disparus, de celui de son père qui figure sur la couverture. L'écriture de Tabucchi est sinueuse et dense avec des motifs répétés, des variations sur les mêmes thèmes. C'est un beau roman mélancolique qui laisse au lecteur le soin d'interroger sa propre mémoire vacillante.
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Le temps vieillit vite

Déjà j'aime cette couverture absurde et céleste comme un tableau de Magritte et puis ce beau titre tout aussi étrange : le temps vieillit vite.

Tous les personnages de ce recueil de nouvelles sont en décalage avec leur époque, notre époque, impitoyable et futile. Ce sont des personnes solitaires, vieillissantes ou malades, qui s'échappent de leur réalité amère pour voyager dans leur mémoire où s'entrelacent le temps vécu, intime, secret, évoqué avec pudeur et puis le temps historique, dramatique, tragique de l' Europe de l'Est. Tabucchi ne juge personne mais cherche à comprendre la mélancolie des gens. Son écriture est très fluide, très agréable à lire, malgré la complexité des différents niveaux temporels.



1. le cercle ***: Une quadragénaire tourmentée s'échappe du cercle familial où son grand oncle s'est lancé dans un discours à la mémoire de son frère défunt. Elle se souvient de ces années de mariage...jusqu'à la vision vertigineuse d'un autre cercle tracé sur le sable par un troupeau de chevaux sauvages qui tourbillonne autour d'elle. Cette nouvelle est la plus abstraite du recueil, la plus triste aussi.



2. Ploc plof, ploc plof *****: ces onomatopées sont les bruits d'une perfusion. Un neveu (qui ressemble beaucoup à l'auteur et qui a une sciatique carabinée) se rend à l'hôpital au chevet de sa tante bien-aimée qui l'a élevé. Elle lui parle de sa petite enfance et de souvenirs enfouis dont elle a seule la clef. Dans le lit d'à côté une emm... qui ne peut se passer de la télé berlusconienne les ramène brutalement à la modernité. La nouvelle est formidable, je suis passée du rire aux larmes.



3. Nuages *****. Un ancien officier italien qui reste à l'ombre toute la journée est apostrophé par une fillette bavarde sur une plage croate. Un dialogue « super » et « singulier » s'ensuit. L'homme finit par enseigner à la petite la néphélomancie  ou « art de deviner le futur en observant les nuages ».



4. Les morts à table**** : Un vieux Berlinois nostalgique récite ces vers d'Aragon : « "C'était un temps déraisonnable / On avait mis les morts à table… » Ce fin lettré était chargé de filatures au temps où il travaillait pour la Stasi. Après la chute du mur, ils ont tous filé à l'ouest, les archives ont été ouvertes. Lui est resté à Berlin, désoeuvré, sans « Objectif » à filer. Alors, il erre jusqu'à la tombe de celui qu'il filait pour lui confier un secret, il épie les gens, au hasard ou part à la recherche de l' ombre d'une femme aimée autrefois...



5. Entre généraux ***** : Laszlo était officier pendant l'invasion soviétique de Budapest en 1956. Il a défendu sa patrie, ce qui lui a valu la dégradation, la prison, l'exil aux Etats-Unis où il se morfond. En 2008, il contacte Dimitri son vieil ennemi le général soviétique…



6. Yo me enamoré del aire : ***les notes de cette chanson évoquent chez un homme qui se promène dans une ville andalouse , un souvenir intime longtemps endormi, la jeune femme qui chante est occupée à faire sécher du linge sur une terrasse d'un immeuble de la ville, l'homme pense alors aux voiles et aux vents de la vie : le suave zéphyr, le vent chaud de la jeunesse,... « La vie est faite d'air, un souffle et c'est parti,... et puis un jour la respiration cesse et le souffle s'arrête »



7. Festival ****Il était avocat de l'État à l'époque de la dictature communiste en Pologne, il défendait les personnes que l'Etat voulait condamner. Il ne pouvait agir qu'à la marge, au centimètre. Mais un jour, un procès est filmé par un jeune cinéaste qui réalise un documentaire...(c'est l'histoire vraie du réalisateur Krzysztof Kieślowski et du futur scénariste Krzysztof Piesiewicz, que je ne connaissais pas, que Tabucchi raconte).



8. Bucarest n'a pas du tout changé. ****Un juif roumain exilé à Tel Aviv vit toujours la-bas sous la dictature des époux Ceausescu. Il en parle à son petit-fils. le temps passé se refuse à mourir ou à céder la place au temps moderne. A travers la fenêtre, il voit toujours Bucarest.



9. Contretemps :*** Un voyageur s'éloigne de sa destination en Crête pour suivre, entre rêve et réalité, la route qu'une histoire inscrite dans sa mémoire a déjà tracée, comme s'il recherchait une impression de déjà vu qui perdure.



Un livre à lire et à relire.
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Petites équivoques sans importance (Petits ma..

La nouvelle «Piccoli equivoci senza importanza » est l' un des premiers textes d'Antonio Tabucchi (1985). le titre fut malencontreusement traduit d'abord par « petits malentendus sans importance ». Or comme l'explique Tabucchi lui-même dans un entretien « y a une différence, disons, ontologique entre le malentendu et l'équivoque : si le malentendu peut toujours être éclairci, l'équivoque en revanche implique une perception erronée de la réalité, de la vérité. On pourrait le comparer, d'un point de vue visuel, au trompe-l'oeil. »

Dans les onze nouvelles du recueil, les personnages vivent donc des équivoques, des broutilles apparemment sans importance, nées d'une perception erronée de la réalité qui vont changer implacablement leur existence. Les récits ne sont pas linéaires, la narration est rétrospective et fragmentée. La vie des personnages apparaît par bribes comme un puzzle, un rébus à déchiffrer ou « un tissu où tous les fils se croisent ». Souvent, je me suis égarée agréablement dans « les trous » du puzzle et je me suis retrouvée dans un monde flottant, léger et mélancolique, celui des fantômes, des rêves brisés, de l'enfance perdue et des regrets.



1. Petits équivoques sans importance ***** : Léo et Federico se retrouvent face à face au tribunal dans un procès politique. Tonino le narrateur est journaliste et les observe. Autrefois à l'université, ils étaient tous amis : Léo, Federico, Matteo et lui : mêmes convictions politiques et tous amoureux de la belle Maddalena avec laquelle ils dansaient. Une erreur administrative idiote a fait dérailler le train de Federico et celui de tous ses amis. Antonino veut rattraper le coup mais…La nouvelle est magnifique, poétique et tragique.



2. En attendant l'hiver**** : un vieil écrivain très célèbre et très arrogant est mort. Sa veuve bouleversée doit jouer le rôle qui lui est assigné, recevoir. La gloire de son mari envahit son imaginaire, ses souvenirs et ses rêves. Elle accueille son éditeur allemand qui veut récupérer les oeuvres posthumes…L'équivoque naît de l'image que les autres ont d'elle.



3. Rébus : *** escapade amoureuse rocambolesque en Bugatti autour d'une escroquerie proustienne. La réalité et l'illusion se mêlent. La nouvelle ravira surtout les amateurs de devinettes littéraires : noms des personnages, pastiches et parodies avec de nombreuses métaphores sur la vie en rapport avec les fameuses équivoques.



4. Les sorts : ***** le jeune narrateur est en vacances chez sa tante Esther et joue avec sa cousine Clélia qui semble très malade. Celle-ci joue à la fée Mélusine et complote pour jeter un sort à l'époux de sa mère, l'oncle Tullio qu'elle n'aime pas…Un très beau récit d'enfance mélancolique avec une chute.



5. Chambres : **** Amelia visionne des photographies la représentant avec son frère Guido à différents âges de leur vie. Ils ont toujours vécu ensemble une mince cloison séparant leur chambre respective. Une nouvelle fascinante et dérangeante.



6. Any where out of world : **** Un homme semble fuir quelque chose. Il est à Lisbonne, il feuillette les petites annonces d'un journal et tombe sur la phrase : « Any where out of world » avec un numéro de téléphone…Le texte fait référence à un poème en prose du Spleen de Paris de Baudelaire.



7. La rancoeur et les nuages : **** L'ascension sociale d'un homme d'origine modeste, opportuniste et mesquin. Il cultive un total mépris envers ceux qui lui rappellent ses origines (sa femme, sa fille) et ceux qui l'aident à faire son trou. Devenu universitaire, il traduit Antonio Machado, grand poète espagnol engagé contre Franco en se persuadant qu'il a dépassé l'auteur…Dans les notes, Tabucchi précise que le texte est réaliste.



8. Iles : **** le récit débute par une lettre maladroite et sans ponctuation ; son émetteur essaie d'écrire à sa fille instruite Maria Assunta pour lui expliquer qu'il veut rester vivre sur l'île, seul. Il est gardien de prison et c'est son dernier jour. Il transfère un prisonnier vers l'hôpital. Celui-ci le supplie d'ôter ses menottes afin d'écrire une lettre…Une très belle nouvelle sur la solitude.



9. Les trains qui vont à Madras : *****Lors de ce voyage, le narrateur fait la connaissance d'un homme à l'accent germanique voyageant sous le pseudonyme de Peter Schlemihl (le personnage de Chamisso) avec une simple valisette. L'homme lui confie qu'il se rend à Madras pour voir une statue dansante de Shiva…La nouvelle est extra, magnifiquement contée.



10. La main passe : * Hou la la ! Je n'ai pas compris grand-chose ! le narrateur est à New-York et se prépare comme d'habitude à une livraison, nous le suivons à travers la ville. Il a l'air vieux et fatigué. Il enfreint les règles du milieu. Il se souvient d'une mystérieuse Dolorès. Franklin est ensuite à l'opéra, il regarde les spectateurs qui regardent la pièce. Au troisième acte, il retrouve sa contact qui s'est donnée un pseudonyme étrange…Le récit emprunte au roman d'espionnage, à Pirandello, à Shakespeare…S.O.S lectrice en détresse !



11. Cinéma : ****Elsa et Eddie sont deux acteurs qui tournent la dernière scène d'un remake sur la Riviera. Bien des années auparavant, ils ont déjà joué ce film (un mélo genre Casablanca ) , se sont séparés, se sont perdus de vue…se retrouvent et…Beaucoup plus facile à suivre que le précédent. le récit mêle fiction et réalité, le tragique et le comique avec sa description croquignolette du milieu du cinéma. Clap de fin.

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