Poursuite de ma découverte de la littérature grecque moderne avec un roman dont je vous recommande vivement la lecture.
La faille d'Antonis Samarakis a été publiée en grec pour la première fois en 1965. C' est le récit de l'arrestation d'un homme sans histoire par deux agents des Services Spéciaux qui le soupçonnent de faire partie d'une organisation hostile au régime. Si, à aucun moment du livre, ne sont mentionnés les noms du pays, de la ville, des personnages qui apparaissent dans l'histoire, impossible de ne pas penser à la dictature militaire qui de 1967 à 1974 instaure un régime répressif en Grèce.
Traduit dans de nombreuses langues (dont le français pour la première fois en 1970, il obtient alors le Grand Prix de la littérature policière), le livre est très bien accueilli par la critique internationale qui le qualifie de "chef d"oeuvre". Sans rien vous dévoiler de l'intrigue, impossible de ne pas être sensible à/fasciné par l'originalité de la construction du livre, la finesse de l'analyse psychologique, le style qui mêle humour, enquête, satire politique d'un régime policier et de ses méthodes.
L'absurde est partout présent, dans certains dialogues, dans les motifs et circonstances de l'arrestation, dans le plan mis en place par la Centrale des Services Spéciaux, ou les conditions de l'interrogatoire, etc.
Certains passages sont d'ailleurs particulièrement savoureux : "C'est ainsi qu"ils commencent tous, ou du moins la plupart, quand on les arrête et qu'on les transfère aux Services Spéciaux pour les interroger. Au début, ils jouent les innocents blancs comme neige : " Je suis un paisible citoyen", c'est leur refrain préféré. Ils font semblant d'ignorer que leur argument ne vaut pas un kopeck, qu'il est nul et non avenu. Quand on n'a pas à son actif un engagement tangible en faveur du régime, le fait d'être simplement un "paisible citoyen" non seulement n'a aucune valeur mais ça se retourne contre vous." (p. 63).
"Le secret, la clé de la réussite et de la paix intérieure, que ce soit pour le régime ou pour l'individu, c'est la simplification. Moins vous faites travailler vos méninges, plus vous êtes heureux et plus vous êtes efficaces pour le régime." (p. 64)
Et encore : " Pour les Services Spéciaux, les gens se répartissent exclusivement en deux catégories : ceux qui sont avec le régime et ceux qui ne sont pas avec le régime." (p. 65)
La fin, inattendue, est remarquable.
Cette nouvelle traduction de La Faille, signée René Bouchet (professeur honoraire de grec moderne à l'université) est parue en 2019 aux éditions Aiora, une maison d'édition athénienne qui cherche à faire connaître la littérature grecque par ses traductions en francais, anglais, italien et allemand.
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Les deux critiques déjà publiées ici sont assez précises sur l'histoire présentée par ce livre, il est donc peu utile d'y revenir si ce n'est quant au choix du terme "littérature policière" puisque, même s'il est bien question de deux "policiers" (agents des services secrets politiques serait plus exact) bien peu dans ce beau roman très original correspond aux diverses facettes de ce qu'il est habituel de classer sous cette étiquette.
Il faut en revache vraiment insister sur les qualités stylistiques de La Faille.
Un ton assez sec et neutre mais en même temps plein d'humour.
Le plus déroutant et intéressant demeure tout de même, je pense, l'alternance entre les passages "objectifs" et les passages "subjectifs", alternance qu'il n'est pas toujours facile de repérer en début de paragraphe, ce qui oblige à faire quelques brefs retours en arrière et rajoute évidemment au caractère kaléidoscopique de cet excellent livre.
Je vais probablement essayer de trouver la première traduction pour la comparer à celle de R. Bouchet, c'est dire si le livre m'a plu!
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