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Citations de Ariana Harwicz (12)


Malgré toute la violence sexuelle et mes envies de repaître d’elle, de l’aspirer, je n’ai pas bougé. Elle non plus. Je dirais que nous nous sommes connus à ce moment-là, parmi les ombres. C’est là que nous nous sommes raconté la tragédie de nos vies. Là que nous avons parlé du passé en nous demandant ce que nous faisions dans ce puisard, ce nid de bestioles et ce qui nous pousse à nous échapper en pleine nuit. Elle m’a dit prends un couteau et coupe-toi la bouche, et j’ai obéi tandis qu’elle rentrait au galop dans la maison et que sans me retourner elle me regardait saigner.
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A chaque fois que mon mari me baise je cligne des yeux et c’est comme si on abattait un arbre. Comme des coups de hache. Je mange d’une main et la graisse dégouline. Je parle fort, je bave, mais on me baise quand même, je suis toujours appétissante. Contre le mur, tu aimes ça, dit-il, lascif. Menottée, comme tu l’as demandé. Je ne le reconnais pas. On dirait qu’il a pris des notes. Il me baise et mes yeux explosent à plusieurs reprises. L’exorciste. Je reste aveugle. Une pierre contre le front. Il me baise, il me baise et tout s’effondre, les objets tombent et se fracassent. Les petites tasses en porcelaine de la grand-mère. Les images encadrées rapportées d’Italie. Ma maison est un dépôt de verre. Mon fémur me fait mal. Je ne dis rien. Pour une fois j’entre dans son jeu. Le petit mari fort en tautologies s’est dégourdi. Le rapace s’est réveillé. Je me noie sans résistance dans ses fluides. Il dit même pute. Il le dit et sa bouche s’emplit d’une eau rageuse. De l’eau polluée. Ce ne sont pas ses mots. Loué soit le Seigneur. Il a appris, a-t-il observé l’autre ? Mais ça ne me sert plus à rien. J’essaie de lui appartenir. Je lui donne mon cuir chevelu. Prends. Je lui donne mon cerveau. Je lui donne ma peau tendue. Pince-la. Je lui donne mes cils, je me fiche de les perdre. Que mes yeux s’assèchent en un clignotement. Je m’offre. Sers-toi. Tiens. Goûte. Je veux être son épouse mais je le regarde, étonnée comme une inconnue. Une femme qui fait la sieste et se fait agresser par une ombre. […] C’est fini. Je le laisse me toucher encore. On est tout baveux. Maintenant viennent l’étreinte et le baiser humide. Maintenant vient le harcèlement de l’amour. Je veux me fondre…
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On a de l'essence pour aller jusqu'en Sibérie, aller-retour dans la neige sale tassée sur les bas-côtés. Le roman commence ainsi. Le personnage féminin assis à l'arrière est emmené loin. Elle semble soumise, avec son short et ses cheveux relevés, presque comme une collégienne, mais en vérité les chiens fuient à son approche et elle a les yeux blessés par balle. Mais en vérité elle voit les arbres tourner en accéléré à cause des mouvements de la voiture. Ils s'imbriquent, s'entrelacent, ne font qu'un. Ce ne sont pas des arbres mais un sentiment exalté, la bouche perdue, en manque. En haut, sous la terre, partout dans les airs. Quelque chose manque. Les regards de mes hommes sont des coups de pied dans les côtes, tous deux chantent Love, love me, say that you love me, je couvre leur voix avec Mozart, divertimento de Ré majeur, K 334.
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Et il était sorti du lit étroit au milieu de la nuit alors que j’étais encore nue. Il m’avait laissé une note sans lyrisme. Le début de l’effroi à l’état brut. Quelques heures auparavant nous avions lévité, mais que vaut la nuit d’avant le jour d’après ? J’ai bondi hors du petit lit, la bouche à vif. En bas, personne, ils étaient tous les trois allés faire des courses. Combien de va-et-vient en moi, l’air du grenier devenu miel ? Combien de fois le désir avait-il frôlé l’insupportable, la bouche d’un caïman ouverte aussi grand que possible ? Charriée par le fleuve, j’étais une branche sèche. J’ai pédalé jusque chez moi sur vingt kilomètres en ayant envie de vomir. J’ai pédalé, pédalé sans me séparer de son goût dans ma salive.
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Mon mari m’appelle pour qu’on se prenne une petite bière sous la pergola. Blonde ou brune ? Apparemment le bébé a chié et je dois aller acheter un gâteau pour fêter ses 6 mois. Je parie que les autres mères font leur gâteau elles-mêmes. Six mois il parait que c’est pas comme cinq ou sept. Chaque fois que je pose les yeux sur lui il me rappelle mon mari derrière moi qui a failli m’en foutre plein le dos avant d’avoir l’idée de me retourner et de me pénétrer à la dernière seconde. S’il ne l’avait pas fait, si j’avais serré les cuisses, si je lui avais empoigné la bite, je ne serais pas obligé d’aller à la boulangerie pour acheter un gâteau à la crème ou au chocolat avec ses petites bougies, une demi-année déjà.
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Je me suis allongée sur l'herbe au milieu des arbres abattus et le soleil brûlant contre ma paume m'a donné l'impression de tenir un couteau avec lequel me saigner d'un coup sec à la jugulaire
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J’aime penser au sexe, pas baiser. J’ai toujours été bonne en théorie et nulle en pratique, voilà pourquoi je ne sais pas conduire mais connais par cœur le code de la route. J’essaie de me concentrer sur Virginia Woolf, un cadeau de mon homme, mais je suis trop pleine de lait. Pourquoi il dort autant ? Pourquoi il ne s’anime pas un peu ? La mort d’un fils c’est de la science-fiction. Je vais le voir. Puis je sors de la maison, une Ferrari rouge passe à toute vitesse. Je reste debout devant la porte, mon portable à la main. Il paraît que les ondes donnent le cancer. Ma main est en phase terminale. Il ne devrait pas tarder à m’appeler, il me téléphone toujours en arrivant à la station suivante. Melisa, la mère célibataire de deux enfants qui habite à côté, a laissé sa fenêtre ouverte et la lumière allumée. J’ai l’impression qu’elle pleure ou qu’elle gémit. Elle gagne sa vie en montrant son cul, et quelque part un homme va lui envoyer un message sur le tchat « Oh mon dieu t’es super belle » et il paiera plus pour voir sa fente.
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Je te parle de la Lune ! Elle est comme vous, elle aime avoir sa face cachée, dit-il. Et moi je pense aux kilomètres que je fais avec le bébé dans les bras pendant des heures, sur différentes chorégraphies, de l’épuisement aux pleurs et des pleurs à l’épuisement, je pense à cette bête sauvage qu’est un bébé, au fait que ton cœur soit à jamais uni à l’autre.
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On ne s’enlace plus depuis des mois. On ne se donne plus la main non plus, toujours à manœuvrer la poussette ou à prendre le bébé dans nos bras. Tu vois la Grande et la Petite ourses ? Oui, bien sûr, dis-je en me serrant contre lui, mais mes yeux s’attardent sur l’espace sans étoiles, sur l’absence de lumière. On affronte la menace du ciel obscur qui s’étend au-dessus de nous chaque nuit… Une étoile filante ! s’est-il écrié, si ému qu’il s’est éloigné de moi. Je ne l’ai pas vue passer. Il faut faire attention, on ne les voit que quand elles sont proches du soleil, et très peu de temps. Tu as observé sa trajectoire ? m’a-t-il demandé, contrarié, après quoi il s’est allumé une clope. Le truc, c’est de savoir s’orienter dans le ciel.
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Avec toutes les jolies femmes saines qu’il y a dans la région il a fallu qu’il craque sur moi. Un cas clinique. Une étrangère. Quelqu’un qu’on devrait déclarer incurable. Il fait vraiment lourd, hein ? Je crois que c’est parti pour un moment, dit-il. Je liquide ma canette à grandes lampées et respire par le nez en ayant envie d’être très exactement morte.
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On est de ces couples qui automatisent les « mon amour » même quand ils se détestent ; mon amour, je ne veux plus te voir. J’arrive, dis-je, et je suis une fausse campagnarde avec une jupe rouge à pois et des cheveux fourchus. Une blonde, j’aimerais bien, dis-je avec mon accent. Je suis une femme qui s’est laissée aller, a des caries et ne lit plus. Lis, idiote, lis-toi une phrase entière sans t’arrêter. On est là tous les trois ensemble pour une photo de famille
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Une femme normale issue d’une famille normale, mais une excentrique au comportement déviant, mère d’un enfant et qui à ce stade en a peut-être déjà un autre en route. J’ai glissé doucement ma main dans ma culotte. Et dire que je suis chargée de l’éducation de mon fils.
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