AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Cielvariable


Certaines diplômées posèrent leurs ustensiles. Elles savaient ce que Blanche avait vécu. Devant la fureur de Marie-Louise, Germaine ne cessait de se hausser sur la pointe des pieds pour ensuite retomber sur les talons avant de recommencer son manège.

– Tu fais ta grande fifine mais je gage que tu es jamais entrée dans la chambre d’un mort. Toi pis moi, pis toutes les étudiantes de première, de deuxième pis une grande partie des étudiantes de troisième, on n’est jamais entrées dans la chambre d’un mort. Blanche a fait une erreur ? Certain. Tout le monde le sait ! Blanche a tenu les pattes de l’interne au lieu de prendre les pieds de la morte. Pis ? Je suppose que tout le monde ici aurait compris ? Je suppose que tout le monde ici aurait regardé une morte de trois cents livres sans broncher ?

– Baisse le ton, Marie-Louise. Tout le monde entend…

– Tout le monde entend ? Tant mieux ! C’est ce que tu voulais. Tu voulais que tout le monde rie de Blanche. Ben moi je ris pas. Pis je pense que personne ici aurait ri en entendant la morte sortir son air quand l’interne est tombé dessus. Parce que ça, c’est pas écrit dans les livres. Il paraît qu’il faut l’entendre. Pis Blanche l’a entendu. Avec le temps, j’imagine qu’on s’habitue, mais Blanche, elle, était pas habituée ! Pas plus que toi pis moi ! Pis pendant que Blanche essayait de rendre service, de remplacer quelqu’un qui était pas à son poste, tout ce qu’elle a eu comme remerciements, c’est des rires !

Marie-Louise était hors d’elle. Elle n’avait pas aperçu l’hospitalière en chef debout dans l’entrée de la salle à manger. Pas plus qu’elle n’avait vu plusieurs étudiantes sortir pour se diriger en toute hâte vers les toilettes. Germaine essayait maintenant de se faire petite et y parvint presque.

– Tiens-toi droite, Germaine Larivière ! C’est avant de rire pis d’essayer d’humilier Blanche que tu aurais dû penser. Je viens peut-être de la campagne comme tu me l’as fait remarquer la journée de l’examen d’admission, mais à la campagne on a pour notre dire que personne s’est jamais grandi en rapetissant les autres !

Sur ce, Marie-Louise tourna les talons et sortit de la pièce sans prendre son assiette. La sœur hospitalière la retint par le bras.

– Bien parlé, mademoiselle Larouche. Une belle leçon de charité.

– C’est pas ce que j’ai voulu faire. C’est Blanche qui l’a donnée, la leçon. Pas moi.

Blanche, accompagnée de Marie-Louise, entra à la salle à manger pour le repas du midi. Toutes les infirmières se turent. Germaine Larivière s’immergea presque la tête dans sa soupe, au point que ses yeux et ceux du bouillon se confondirent. Marie-Louise, qui n’avait pas raconté à Blanche sa colère du matin, tenait ses poings fermés, prête à passer à l’attaque si quelqu’un osait émettre ne fût-ce qu’un ricanement. Elle avait forcé son amie à se lever et à s’habiller. Elle l’avait encouragée à se présenter au repas, consciente que Blanche avait été à deux doigts de boucler ses valises et de quitter l’hôpital. L’orgueil de son amie n’avait d’égal que sa sensibilité et sa douceur. Elle jeta furtivement un coup d’œil circulaire et, ne voyant aucune animosité, poussa discrètement Blanche. Celle-ci s’avança, la tête haute, les épaules droites, portant fièrement sa coiffe sur sa chevelure bouclée. Elle craignait de trébucher, tant ses jambes lui paraissaient lourdes. Encore une fois, son cœur se manifesta et elle le pria de demeurer calme afin qu’elle ne rougisse pas. Sa prière fut vaine. Une salve d’applaudissements éclata comme la foudre. Blanche se figea, regarda autour d’elle, incrédule devant ce qui se passait, se croyant victime d’un malentendu. Elle se tourna vers Marie-Louise qui, rose de plaisir, applaudissait à tout rompre.
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}