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« J'ai entrepris un sujet moderne, une barricade, et si je n’ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrai-je pour elle »
En 1830, lorsqu’il peint « La Liberté guidant le peuple », Eugène Delacroix n’a que 32 ans. Il a exploré presque tous les genres et manières de peindre. Son appétit de gloire a réussi à s’exprimer pleinement. Pourtant ses grandes toiles de jeunesse « Dante et Virgile aux enfers et « Scènes des massacres de Scio » avaient sérieusement perturbé les visiteurs et les critiques des Salons annuels qui n’avaient pas de mots assez durs envers lui. Malgré son récent cuisant échec de « La Mort de Sardanapale », les deux premiers chefs-d’œuvres avaient été acquis par l’Etat. Delacroix apparaissait comme le chef de file des « novateurs » et, aidé par Adolphe Thiers depuis ses débuts, il devenait l’emblème du romantisme.
L’artiste écrit à son neveu « Nous avons été trois jours au milieu de la mitraille et des coups de fusil ; car on se battait partout. » Cependant, il se garde bien de participer aux affrontements de 1830. Il assiste à l’insurrection parisienne :
Les émeutiers avancent dans la lueur du soleil couchant en chantant la Marseillaise. La fumée des canons les enveloppe. Ils enjambent les soldats morts. Le drapeau français bleu, blanc, rouge, domine la mêlée. Une forte femme, la poitrine dénudée, conduit le peuple. Elle brandit cet ancien drapeau tricolore que la royauté avait remplacé par le blanc royal à la Restauration. Depuis 1789, cette femme coiffée d’un bonnet rouge symbolise la liberté. À ses côtés, un enfant déluré maniant deux pistolets s’élance d’un pas décidé. Des ouvriers, des travailleurs, avancent le regard dur.
La revendication principale des Parisiens a été la sauvegarde de la liberté de la presse. Le 27 juillet 1830, des ouvriers de tous métiers sont descendus dans la rue. Le 28 juillet, 5000 barricades sont dressées dans Paris. La population est aux côtés des insurgés. Des pavés sont jetés des fenêtres sur les soldats du roi. Le 29 juillet, les révolutionnaires occupent tous les points stratégiques. Bientôt le drapeau tricolore sera hissé sur les tours de Notre-Dame au son du tocsin.
L’artiste, devant ce décor d’émeute, engage un travail d’imagination mettant en valeur les personnages. Tout l’inspire. Dans cette « Liberté guidant le peuple », le peintre reprend le modèle de femme, érigée au rang d’allégorie, de sa toile de 1826 « La Grèce sur les ruines de Missolonghi ». Mais, cette fois, il n’en va pas de même. La Liberté, les seins à l’air, mi-déesse, mi-femme du peuple, entraine les combattants derrière elle. Contrairement aux malheureux grecs des « Scènes des massacres de Scio » de 1824, le peuple de Paris n’est pas passif dans l’attente d’un sort cruel, il est l’auteur de sa propre histoire.
Cette Liberté aux seins nus agitant le drapeau pour conduire les hommes offusque au Salon. « Une poissarde » hurlent certains critiques. « Vraiment, M. Delacroix a peint notre belle révolution avec de la boue ».
Je ne peux m’empêcher de penser à Géricault et son « Radeau de la Méduse ». L’homme, à la pointe du radeau, qui fait des grands signes avec sa chemise rouge à un bateau dans le lointain, rappelle fortement la Liberté brandissant le drapeau tricolore. La construction est également pyramidale. La même force évocatrice…
Cette femme marchant sur les cadavres, suivie d’une cohorte d’hommes et d’enfants en armes crée un mouvement d’une violence exceptionnelle. À ses côtés, figure un jeune garçon, pistolets de cavalerie dans les mains. Enfant de Paris, il symbolise la jeunesse de tout temps révoltée par l’injustice. Il y a de la fougue, du plaisir, de l’envie, dans son œil. Son père, qui s’est battu dans la Grande Armée, lui a conté ses exploits. À son tour, il s’enivre de l’odeur de la poudre et exhorte les insurgés. Il n’a pas peur. Se doute-t-il qu’il va mourir dans peu de temps ? Ce personnage inspirera plus tard Victor Hugo pour son Gavroche dans les Misérables.
Plus qu’une oeuvre, le tableau d’Eugène Delacroix va devenir un symbole que se sont appropriés à tour de rôle les évènements de l’histoire de France. Il entrera plusieurs fois au musée du Luxembourg, sera retiré par différents gouvernements, avant de s’installer définitivement au Louvre en 1874.
https://www.wikiart.org/fr/eugene-delacroix/la-liberte-guidant-le-peuple-1830
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