Armand Guibert. Le poète nomade.
Fernando Pessoa : Odes
Pour être grand, demeure entier: rien
De toi n'exagère ou n'élimine.
Sois tout en chaque chose. Ce que tu es , mets-le
Dans le moindre de tes actes.
Ainsi sur chaque lac la lune tout entière
Brille, elle qui vit de haut.
Chiffon
Le jour a tourné à la pluie.
La matinée, pourtant, était passablement bleue.
Le jour a tourné à la pluie.
Depuis le matin j'étais un peu triste.
Anticipation? Tristesse? Ou rien du tout?
Je ne sais: dès le réveil j'étais triste.
Le jour a tourné à la pluie.
Poèmes Lyriques.
Je suis un évadé.
Du jour de ma naissance
En moi-même reclus,
Je me suis fait transfuge.
Puisqu'il faut qu'on se lasse
D'être en un même lieu,
Pourquoi ne se lasser
D'être à soi toujours égal?
De moi mon âme est en quête
Mais je bats la campagne,
Fasse le ciel qu'elle
Ne me trouve jamais.
N'être qu'un est une geôle;
Être moi, c'est n'être point.
Dans la fuite je vivrai-
Pourtant bel et bien je vis.
Chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias
I La prise et la mort
A cinq heures du soir
C'était juste cinq heures du soir,
Un enfant porta le drap blanc
à cinq heures du soir,
Un panier de chaux déjà préparé
à cinq heures du soir,
Tout le reste était mort et rien que mort
à cinq heures du soir.
Le vent fit voler les flocons d'ouate
à cinq heures du soir,
L'oxyde sema cristal et nickel
à cinq heures du soir.
Une cuisse avec une corne désolée
à cinq heures du soir.
Les cloches d'arsenic et de fumée
à cinq heures du soir
Commencèrent leurs sons de faux-bourdon
à cinq heures du soir.
Aux coins des rues, des groupes de silence
à cinq heures du soir,
et le taureau, seul cœur debout!
à cinq heures du soir.
Voici que la sueur de neige arrive
à cinq heures du soir.
Quand l'arène se couvrit d'iode
A cinq heures du soir.
C'était juste cinq heures du soir.
la mort plaça des œufs dans la blessure
à cinq heures du soir.
A cinq heures du soir,
C'était juste cinq heures du soir.
Chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias
II Le sang répandu
Le sang, je ne veux pas le voir!
Disà la lune qu'elle vienne,
que je ne veux pas voir le sang
d'Ignacio couler dans l'arène.
Le sang, je ne veux pas le voir!
La lune luit de part en part
un cheval de nuages calmes
et la place grise du songe
avec des saules aux barrières.
Le sang, je ne veux pas le voir!
Que mon souvenir se consume!
Allez avertir les jasmins
dont la blancheur est minuscule.
Le sang, je ne veux pas le voir!
Chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias
II Le sang répandu
O murs blancs de l'Espagne
et le taureau noir de peine!
O le sang dur d'Ignacio
et le rossignol dans ses veines!
Non
Le sang, je ne veux pas le voir!
Qu'il n'y ait pas de calice qui le contienne,
ni d'hirondelle qui le boive,
ni givre de lumière qui le refroidisse,
ni chant ni déluge de lis;
Il n'est pas de cristal qui le couvre d'argent;
Non
Le sang, je ne veux pas le voir!
Romancero de la Garde Civile
Lorsque toutes les toitures
furent à terre des sillons
l'aube fit rouler ses épaules
en un long profil de pierre.
O toi, ville des gitans!
La garde civile s'éloigne dans un tunnel de silence
tandis que les flammes t'encerclent.
O toi, ville des gitans!
Qui t'a vue et ne se souvient?
Qu'on te cherche à mon front,
ô jeu de lune et de sable.
Poèmes Lyriques
J' entends, comme si le parfum
des fleurs m'avait éveillé...
C'est un air - tout un parterre
d'influence et de déguisement;
Impalpable souvenir,
sourire de personne,
avec cette espérance
qui manque à l'espérance même,
Qu'importe, si sentir
est ne se point connaître?
J'entends, et je sens sourire
ce qui en moi est sans désir.
De la vie nous nous irons, n'ayant même pas le remords d'avoir vécu.
Fernando Pessoa (Ricardo Reis)
Odes
Nul, dans la vaste sylve,
De l'innombrable univers, finalement ne voit
Le Dieu de toute connaissance.
Seul s'entend dans la brise ce que la brise apporte.
Ce que nous pensons, amour ou dieux,
Passe , puisque nous passons.