Epouser Gérard, c'était quitter l'école ménagère, c'était quitter les cris, c'était courir tout son soûl dans la campagne, c'était s'appeler Madame, avoir sa maison, ses meubles, ses assiettes, c'était sa liberté, c'était sa vie à elle, et c'était aussi, c'était surtout découvrir qu'elle avait un corps et que ce corps pouvait chanter sous les doigts d'un homme. (p.31)
Il faudrait m'ouvrir moi, pour trouver Sarah. Fendre ma peau avec un scalpel bien
tranchant, plonger dans mes chairs, fouiller mes organes et peut-être, là, trouveraient-ils... ?
Non. Ils ne trouveraient rien, car Sarah et moi ne formons plus qu'un. Depuis longtemps déjà.
Elle découvrit alors à quel point elle avait attendu qu'à nouveau la vie envahît son ventre. Pas pour chasser ses morts bien sûr, mais parce qu'en elle il y avait place pour tous et que donner la vie c'était aussi pour elle, comme pour eux, ne jamais la perdre tout à fait. (p.17)
Un matin, dix ans peut-être après l'ultime pelletée de terre jetée sur le cercueil de François, peut-être pas dix ans, elle éprouva brusquement, sans savoir pourquoi, la morsure de l'air sur son cou, elle sentit à nouveau, et sans savoir pourquoi, l'odeur des prés mouillés, elle vit Sylvain la regarder, elle vit au fond de son regard ce qu'elle n'attendait plus en l'espérant toujours. Pétrifiée, elle le laissa poser sa vie aux frontières de la sienne, prête à fuir à tout instant. Au fil des jours immobiles, il approcha doucement: une main, une caresse, sa bouche, un baiser, ses bras. Et le cercle de ses bras, très vite, très fort, se referma sur elle. (p.16)
Régis et moi sommes cimentés par une haine si forte, un silence si lourd que nous nous en trouvons comme lestés et c'est le ce poids qui nous maintient debout.