Citations de Arnaldur Indriðason (1491)
Erlendur s'approcha de lui, mais on aurait dit qu'il s'en fichait.
- Les enfants sont des philosophes, dit-il. Ma fille m'a demandé un jour à l'hôpital : à quoi nous servent les yeux ? Je lui ai répondu qu'ils nous servent à voir.
Einar fit une pause.
- Elle m'a corrigé, dit-il, comme s'il s'adressait à lui-même.
Il regarda Erlendur.
- Elle m'a dit qu'ils étaient là pour que nous puissions pleurer.
Elle veillait à ne pas marcher sur d'anciennes sépultures et se faufilait entre elles en lisant les inscriptions et en regardant les dates de naissances et de mort. Elle venait souvent ici pour profiter de la tranquillité des lieux même si le calme était de plus en plus menacé par les touristes qui, dans leur perpétuelle quête de nouvelles activités, s'éloignaient du centre-ville et y étaient toujours plus nombreux.
Konrad avait régulièrement été importuné par des gens prétendant détenir toutes sortes d'informations, et qui lui avaient débité des théories abracadabrantes sur les disparitions, les décès, les trahisons, les bluffs et les escroqueries qui étaient le quotidien de la faune des malfaiteurs islandais.
…On avait accès au jardin en passant par la petite buanderie derrière la porte de laquelle il conservait de la graisse de baleine, des abats surets et du boudin dans un seau rempli de petit lait.
- Non, un suicide n'est pas un crime, sauf peut-être envers ceux qui restent, nota Erlendur.
L'histoire de l'humanité n'était rien d'autre qu'une succession de crimes et de malheurs. Eh bien, c'est aussi une succession de mensonges savamment construits
- Le temps, répondit Erlendur en replaçant le drap sur l'enfant, il ne guérit pas la moindre blessure.
Elle n'avait pas besoin de répondre. Il lut la réponse dans ses yeux. Il la vit sur son visage. Dans son expression. Dans son entêtement. Dans la façon dont elle l'avait toujours, au fond, provoqué, se montrant inflexible, peu importe à quel point il pouvait la battre, il voyait la réponse dans la résistance silencieuse qu'elle lui opposait, dans ce regard provocateur qu'elle lui lançait maintenant en tenant dans ses bras le rejeton tout sanguinolent du soldat.
Il l'enfermait dans une pièce dont les murs ruisselaient de sang et de larmes, et ou personne n'entendait jamais ses cris.
- J'ai appris à connaître un peu les Islandais, quand on m'a envoyé sur place en 1945. Drôle de nation. Ils vivent sur cet avant-poste de l'Europe, ce bout de rocher perdu dans le nord de l'Atlantique. Il fait nuit la majeure partie de l'année, et ils ont vécu pendant des siècles dans des logements à peine plus confortables que des trous dans le sol; les seuls matériaux de construction dont ils disposaient, c'étaient des pierres et des blocs de tourbe.
Quand je suis arrivé là-bas, ils commençaient à peine à émerger du sol, à construire des vraies maisons.
Et pourtant c'était un peuple très cultivé.
Prenez les deux frères, par exemple - ils avaient lu Milton dans sa traduction islandaise. Ils en connaissaient chaque mot.
Ils avaient appris par coeur des passages entiers du Paradis perdu.
Entends, artisan des cieux,
La prière du poète,
Et que vienne à moi,
Ta douce miséricorde.
*Début d'un psaume connu de tous, composé par Kolbeinn Tumason, probablement en 1208 ... Il s'agit du plus ancien psaume connu de tous les pays nordiques. Il est souvent chanté, aujourd'hui encore, pendant les enterrements.
- Pourquoi les gens s'entêtent-ils à vivre là-bas au nord, juste en dessous du cercle polaire? demande le roi.
- L'Islande est un pays âpre et rude où la vie est difficile, Sire. ll y a des éruptions, des tremblements de terre et des tempêtes de neige si violentes qu'elles recouvrent entièrement les maisons, si bien qu'on doit parfois pelleter des boisseaux pour s'extraire de ces habitations en tourbe pendant l'hiver.
Les hivers sont froids et sombres, les printemps parfois bien frais et les étés brefs. Pour couronner le tout, une année sur deux, les récoltes sont mauvaises et les épidémies fréquentes...
- Et pourtant les gens y survivent, interrompit le roi.
- Oui, depuis des centaines d'années, Majesté.
Quand il fait beau en Islande, le pays n'a pas son pareil, il est sublime et sa nature magnifique.
Il rêva que les cieux se répandaient en pluie sur son corps pendant que lui parvenait le grincement des girouettes dans la tempête.
Konrad continua à surfer sur le Net. En ce moment, les pages Internet regorgeaient de tribunes rédigées par des femmes qui avaient été victimes de harcèlement, d'abus sexuels ou de viols, parfois pendant leur enfance. Chaque jour, de nouveaux récits étaient publiés. Certaines victimes n'hésitaient pas à écrire sous leur nom et à fournir des témoignages aussi bruts que circonstanciés, décrivant toutes sortes de violences sexuelles et la souffrance qu'elles engendraient. Il arrivait que les victimes dévoilent le nom des auteurs des faits pour faire changer la honte de camp, disaient-elles. Konrad était surtout surpris du nombre impressionnant de femmes qui avaient été confrontées à des expériences terribles dans leurs relations avec les hommes. Il avait évidemment été témoin de ce genre de violences pendant sa carrière de policier, mais n'imaginait pas que le phénomène puisse avoir un telle ampleur.
La seule manière de vaincre la mort est de l'accepter.
L'été islandais avait toujours été imprévisible, désormais on pouvait presque compter sur du beau temps plusieurs jours de suite, voire plusieurs semaines. Les hivers étaient également devenus plus doux même si la longue nuit boréale persistait. Le changement le plus visible concernait les glaciers qui reculaient à toute vitesse. Par exemple ,celui de Snaelfellsjökull n'était plus que l'ombre de lui-même.
Palmi n' était nulle part aussi à l'aise que dans une bibliothèque. Quand il allait mal, il lui semblait que le bâtiment le protégeait de ses vieux murs épais: il y flottait une capiteuse odeur de temps anciens.
C'était un mois de janvier glacial. L'imposante bâtisse semblait grelotter, isolée au bord de la mer, au milieu de son grand parc sombre planté d'arbres.
Erlendur était convaincu que le hasard n'était rien de plus que la vie elle-même qui jouait aux gens de mauvais tours ou les divertissait. Il était comme la pluie qui tombe aussi bien sur les justes que sur les crapules. Il pouvait avoir des conséquences bénéfiques ou néfastes. Dans une certaine mesure, il déterminait ce qu'on appelle le destin. Il naissait du néant : inattendu, étrange et inexpliqué.
Il n’avait absolument pas cherché à exhumer un crime. C’est le crime qui était venu à sa rencontre.