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Citations de Arno Bertina (87)


Pourquoi travailler la nuit quand on sait tout ce que cela détruit, à côté, dès qu'on n'est plus synchrone avec sa compagne ou son compagnon, avec ses amis, et ses enfants ?

— Parce que la nuit était mieux payée que le jour. Quand t'es intérimaire, t'es précaire comme pas possible... Je vous ai dit : mes contrats étaient renouvelés, ou non, tous les vendredis. La logique pour nous c'est de travailler le plus possible pour gagner le plus d'argent possible, comme ça on a l'impression d'éloigner de nous, un peu, la violence que ça s'rait la fin du contrat. C'est un cercle vicieux. Si tu gagnes 1000 euros par mois en travaillant dans la journée, celui qui embauche le soir et travaille la nuit gagne à peu près 1350 euros. La différence est de cet ordre.

Je demande à Stéphane si ces 350 euros supplémentaires sont le prix de la vie sociale et amoureuse qu'il pourrait avoir en travaillant de jour, mais ni lui ni moi ne pouvons répondre à cette question. Ce silence est à la fois beau et déstabilisant.

— C'est en tout cas la seule façon de répondre au stress de la précarité.
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Les grands groupes industriels ont des comptes à rendre à leurs actionnaires. Quelle que soit la conjoncture, ils doivent pouvoir annoncer qu'ils leur verseront plusieurs millions. Même si ça n'est pas le moment, même si dix jours plus tôt l'Etat aura versé une aide faramineuse à l'entreprise, via le CICE[Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi], par exemple. Ils le feront malgré la tempête médiatique bien prévisible, ou l'immoralité de la chose. L'arrogance est là: quand les entreprises du CAC40 se disent « Ce sera mal vu par les baveux mais nous allons tout de même verser de beaux dividendes car nos actionnaires se féliciteront d'avoir placé leur argent dans une entreprise indifférente à tous ces cris ».

Pages 87-88, Verticales.
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PSE signifiant « plan de sauvegarde de l'emploi», nous nous trouvons face à un bijou de la langue managériale créolisée par les tenants de l'ordre social (Arrondir les angles, émousser les mots qui disent trop nettement la réalité, les travailler jusqu'à ce qu'on entende « emplois sauvés » en lieu et place de « licenciements »). Licencier pour sauver l'emploi ! Vider l'entreprise de ses forces vives pour qu'elle se relance... Molière ne s'est pas assez moqué des médecins qui saignaient les malades pour les remettre sur pied s'il se trouve des entrepreneurs-diafoirus pour vendre encore cette méthode !

Page 52, Verticales.
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Au lendemain de mai 1968 Peugeot va recruter d'anciens responsables de l'OAS, un ancien de l'attentat du Petit-Clamart, etc., de façon à briser dans l'œuf chaque départ de grève. Soit des nervis, des barbouzes ou des milices privées, pour garder le contrôle des ateliers, casser du syndicaliste et empêcher que le feu ne prenne ici ou là. Parfois les entreprises donnèrent à ces gros bras un semblant de statut au sein de l'usine en les embauchant et en les chargeant de monter des syndicats fantoches, mais ils pouvaient aussi bien affronter physiquement ceux de la CGT lorsqu'ils tractaient ou lorsqu'ils se réunissaient. Jusqu'aux années 80, les rubriques des faits divers et les mémoires de tel ou tel vont regorger de crimes et de délits imputables à ces briseurs de grèves.

Page 76, Verticales.
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J'écris ces lignes au moment où les Gilets jaunes perdent des mains, des yeux ; au moment où des femmes et des hommes continuent de manifester malgré l'ultraviolence de la police, de la gendarmerie et du gouvernement; au moment où, les Gilets jaunes demandant une plus grande justice fiscale, la secrétaire d'État à la Cohésion des territoires propose que l'impôt sur le revenu soit élargi aux ménages qui, gagnant trop peu, n'étaient pas imposables jusqu'à présent, ou parce qu'ils n'ont que les aides sociales pour vivre. Faire payer les pauvres après avoir dispensé les grandes fortunes de participer à l'effort national (en supprimant I'ISF), quelle idée géniale — c'est Jarry retrouvé, ou c'est Ubu, le roi cruel et vulgaire («Si vous pouvez vous plaindre c'est que vous n'avez pas encore assez mal »), ou c'est Molière t0Ut aussi bien :

MARTINE : J'ai quatre pauvres petits enfants sur les bras.

SGANARELLE : Mets-les à terre.

MARTINE : Qui me demandent à toute heure du pain.

SGANARELLE : Donne-leur le fouet. Quand j'ai bien bu, et bien mangé, je veux que tout le monde soit saoul dans ma maison 1.

Pages 144-145, Verticales.
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Si ce n'est pas une affaire d'argent, alors la lutte des classes est une réalité — depuis la chute du mur de Berlin on essaie de nous faire croire qu'elle relève de la paranoïa; depuis la réunification de la RFA et de la RDA le capitalisme est sans dehors, en apparence, sans ailleurs ou sans frontière; et au cours des vingt années qui ont suivi on ne nous a parlé que de la classe moyenne — qui aurait pris d'un côté aux grands bourgeois, et de l'autre aux prolétaires. Mais ce rêve doucereux n'a pas tenu le temps d'une génération; l'Allemagne de 2017 a 13 millions d'habitants sous le seuil de pauvreté, et seulement 2,5 millions de chômeurs — voici l'horizon du salarié européen : avoir un travail déclaré mais vivre tout de même sous le seuil de pauvreté.

Page 102, Verticales.
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En France, dès les années 80, cette individualisation de l'inscription sociale a trouvé sa traduction dans le champ politique sous le nom de « lepénisation des esprits». Le Medef et l'ex-FN ont en effet toujours tiré dans le même sens; dans le temps où les forces de l'ordre parvenaient à substituer à la grille de lecture sociale des critères identitaires (diviser les ouvriers en Français et en étrangers, en catholiques et en musulmans), le Medef obtenait le même résultat sur le terrain social : en multipliant les points de précarité il nourrissait la guerre des ouvriers entre eux, des usines entre elles. Prêchant la division, il obtenait le calme, etc. Dans le temps où l'ex-FN disait « Ce Maghrébin aura ton job le Medef disait «Accepte cette baisse de salaire ou je déménage ton usine aux Philippines », etc. Dans les deux cas l'étranger devient l'ennemi.

Page 80, Verticales.
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Quand on parle de l'attachement de tel ou tel à son travail, c'est toujours sans se risquer à justifier ce lien (paradoxal) à un système de contraintes – il faudrait pourtant argumenter : c'est quoi cette fierté qui contrebalance un peu le désir de liberté ou la contestation du travail salarié comme système coercitif (l'exploitation de l'homme par l'homme) ? En écoutant Yann et les autres je touche du doigt l'explication : ce n'est pas un placebo, ou le simple fait d'être accepté par d'autres, au sein d'un groupe, mais bien la joie de se montrer intelligent — à ses propres yeux déjà. Dans cette usine comme ailleurs, ils sont nombreux à avoir quitté le système scolaire avec un CAP ou un BEP, à vivre avec l'idée, exprimée ou enterrée, qu'ils n'ont pas réussi, scolairement, n'ayant pas tous le bac, etc. (Quand je vais dire, plus tard, à Yann, qu'il est très intelligent, il va se défausser et transmettre la patate chaude à ses collègues : « Vous pensez qu'j'suis intelligent ?! » Si l'on s'est construit sans être valorisé à cet endroit précis de sa personne...) Voilà ce que ramasse le mot « fierté » : la surprise et la joie de s'être sorti d'une situation nécessitant de l'intelligence plutôt que des réflexes ou du courage ou de la force. Se découvrir créatif.

Pages 30-31, Verticales.
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À compter des années 80 on nous a expliqué que les Trente Glorieuses étaient notre dernier grand récit collectif. Cette aventure-là étant terminée, elle entraînait dans la mort, avec elle, tous les récits collectifs qui lui étaient liés — au nombre desquels le syndicalisme, censé veiller à la redistribution des fruits de cette croissance. Mais l'activité syndicale n'étant pas apparue avec la croissance, elle en était indépendante et la mort de l'une n'aurait pas dû abîmer l'autre, ou la ringardiser — en bonne logique. On en a pourtant profité pour décréter la mort du syndicalisme et de ses visées sociales. Un exemple de cette atrophie des discours collectifs: l'expression « plein-emploi» n'est plus du tout utilisée, elle sonne comme un vieux piano désaccordé. Plus aucun élu ou candidat ne l'utilise. Ils ont tous renoncé à ce projet de société. Les forces de l'ordre ont besoin du chômage de masse, qui crée l'inquiétude, l'insécurité mentale, la précarité matérielle et spirituelle ou psychologique. Quand tu trembles comme une feuille, tu n'es plus en état de combattre (la direction). La guerre de tous contre tous a été entérinée.

Pages 79-80, Verticales
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— Avec Wagon Automotive et les fonds de pension qui étaient derrière, on a découvert la politique du citron pressé. On presse le fruit et quand il ne reste plus que la peau, on la jette ; d'autres arrivent derrière qui la ramassent et réussissent à en tirer des bénéfices supplémentaires — en demandant des aides locales, ou du gouvernement, qu'ils obtiennent en récitant toujours le même texte : ils sont de bonne foi, ils ont un projet, etc. Ces entreprises-là, évidemment, elles n'investissent jamais dans la boîte: elles veulent faire de l'argent immédiatement, et deux ans plus tard il n'y a plus personne. Partis sans laisser d'adresse en quelque sorte. C'est pour ça qu'on peut nous dire, aujourd'hui : "Votre outil de travail est vieux, des investissements devaient être faits." Est-ce qu'ils ont été de notre ressort, ces investissements ? Ne serait-ce qu'un jour, une heure? Non, jamais. Implicitement on fait de nous les responsables de la catastrophe alors que c'était aux pouvoirs publics de conditionner les aides qu'ils distribuent à l'investissement d'une bonne partie de cet argent dans l'entreprise. Au lieu de ça, les pouvoirs publics laissent les actionnaires se gaver. C'est scandaleux car c'est de l'argent public, qui devrait retourner à la communauté, au lieu d'atterrir dans les poches de deux ou trois bandits.

Page 40, Verticales.
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Pourtant c'est la curiosité qui fait que je suis resté quand la plupart de mes collègues changent d'affectation au bout d'un an, abrutis, assommés. Les mots "peureux" et "paysan" avaient subitement donné un corps au type de la Kangoo et quelque chose s'était enclenché: ce million de voitures c'est un million de vies. Sans doute pas très différentes les unes des autres mais sur le nombre- considérable- j'avais tout de même un monde, à portée des yeux. un univers plus large et plus complexe que je n'avais cru d'abord- à moi d'aiguiser mon regard. (p. 12) [ l'un des deux narrateurs, agent de surveillance du périphérique ]
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Mais je vais revenir à la remarque précédente : le ministère de la culture aurait réussi un coup fumant s'il avait eu l'idée de ne faire payer l'entrée du musée du quai Branly qu'aux seuls Français, rendant gratuit l'accès aux collections pour toutes les autres nationalités, ou au moins aux Africains, ainsi qu'aux pays d'Asie qui furent colonisés. (p. 22)
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Une femme harcelée, c'est une femme interrompue. C'est une femme dont on veut occuper la tête, le corps, la liberté [...] Le sifflet, c'est le premier rappel à l'ordre de la domination masculine.
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On a regardé hier un téléfilm idiot. Durant les cinq premières minutes on a fait connaissance avec les personnages. Puis on a vu la mère découvrir le journal intime de son fils (…) A chaque fois où l’on tombe, mon mère, ma sœur et moi, sur un scénario de ce type, je fais du bruit avec ma paille, je pose une question alors que je me fous de la réponse, je décris telle ou telle fringue, parle d’un prof qui n’existe pas, vais répondre au téléphone qui n’a pas sonné… Bref. Je fais du bruit et détourne le mieux que je peux leur attention de la télé. Car chez nous c’est un peu l’inverse : depuis trois mois je lis le journal intime de mon père.
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Lorsqu’on est au sommet d’un arbre ou dans la cage de fer qui couronne nos clochers, les mots sont plus légers, les stylos font moins peur. Le miracle peut se produire.
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Si l'origine du geste menant à la Joconde ou au David était à trouver dans l'art africain, l'Afrique était en droit de réclamer une sorte de propriété morale sur ces oeuvres-là, et d'obtenir un droit de visite, ou une garde alternée. Ingres et Courbet découvriraient le continent Noir. Les chefs demandaient à pouvoir exposer dans leurs musées, temporairement bien sûr, des Bellini, des Titien, des Jackson Pollock ou des Bram Van Velde. C'était ça ou l'ouverture des frontières. (p. 50)
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John a en lui cette énergie qui rend inconfortable ; dans les limites de son corps, c’est un arc trop tendu, il est complexé jusqu’à la crise peut-être, mais la peau est en parpaings. Les gestes gauches qu’il fait, l’impression d’avoir été posé là mais par qui, et pour quoi, il n’a pas demandé, c’est vrai.
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Mais un jour la maîtresse m'a vue marcher toute courbée et elle m'a demandé de vider mon sac. Alors elle a convoqué maman et elle lui a dit que c'était trop lourd à porter tout ça.
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Il y a des limites qui sont des ouvertures, pour peu qu'on les comprenne et qu'on ose.
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C'est la guerre, je suis marocain, arabe, algérien, il est tombé des cadavres du ciel il y a de cela trois nuits et ils n'en savent rien ou mieux : ils ne veulent pas savoir. Ils sont parisiens ils n'ont rien vu, rien entendu. Au matin les rues étaient propres, la nuit s'était refermée, engloutissant gendarmes et Algériens, ne laissant à la surface de la terre qu'une imperceptible cicatrice, entre la margelle et le caniveau où coule le sang noir des manifestants frappés à terre. Ils n'ont pas vu les trottoirs saigner, pas vu le parapet du pont saigner aussi. Jusque dans la Seine une plaie ouverte. Ils n'ont rien vu, de la terre qui s'ouvre et se referme, de la nuit noire déchirée par les éclairs bleus des gyrophares et les giclées de sang, les cheveux blonds de Dora ils ne les ont pas remarqués, Dora arrêtée après que nous avons été séparés l'un de l'autre par cette femme enceinte, mise à l'écart et embarquée dans une fourgonnette où elle est seule, Dora qui crie mon prénom comme un sésame, comme les marins criaient terre, mon prénom le seul endroit où elle ait encore pied, ses cheveux blonds défaits et l'imperméable entrouvert, première déchéance dans l'ordre du corps, qui, même infime, suffit à rendre visible le désordre intérieur, elle a lâché prise, immédiatement, ne croyant pas un instant en ses chances de tenir seule face à ce qui pouvait lui arriver de l'immense dehors. (p.97)
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