C'est la rentrée sur Bookeenstore ! Notre libraire vous présente trois titres de la rentrée littéraire 2018 à ne pas manquer dans notre nouvelle vidéo.
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Les livres dont on vous parle dans cette vidéo :
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Parmi la multitude des enfers d’ici-bas, je vis au commencement de ce siècle, tourner l’implacable machine de la grande industrie intellectuelle et vomir à grandes fournées ses séries de troufions de l’esprit et son lot de déchets. On nommait ces chaudrons les classes préparatoires.
Page 9, Julliard, 2018.
Le corps privé de sommeil exige réparation ; il ne veut pas comprendre que le latin vaut mieux. Il se cabre, il hurle, fait sa révolution ; du pain, du pain ! rien ne peut contenir son appétit de vivre. Il ne laisse pas tuer si aisément. Même dans la misère, il combine le souffle ; son ordre impérieux interdit le suicide… P 37
Être aveugle, c’est espérer ; voir, c’est perdre envie. On ne se désillusionne jamais qu’avec regret. P 27
Maintenant que vous savez que je paierai, et quand je le ferai, pourriez-vous arrêter d’envoyer des courriers de rappel ?
– On ne peut pas, c’t’automatique, récita-t-elle d’un ton embarrassé qu’une rage incontrôlée faussait de plus en plus.
Automatique, bien sûr. Comment n‘y avais-je pas songé? Ils avaient certainement inventé pour le soin du service une sorte de rotative à timbrer les enveloppes, et une autre machine plus ingénieuse encore pour reproduire l’écriture manuelle et ses fautes de français. Sans compter le robot à poster, merveille de technique, qui se glissait la nuit pour se faire discret jusques aux boîtes aux lettres les plus proches des bureaux. Le génial créateur de cette mécanique devait être défunt, car ils ne savaient pas comment l’étalonner; vous supposez combien je créditais l’existence d’un si brillant Einstein de la papeterie.
Parmi la multitude des enfers d’ici-bas, je vis, au commencement de ce siècle, tourner l’implacable machine de la grande industrie intellectuelle et vomir à grandes fournées ses séries de troufions de l’esprit et son lot de déchets. On nommait ces chaudrons les classes préparatoires. C’était le temps des gueux, c’était le temps des villes, le temps des miséreux qu’on ne verra jamais plus.
Il faut se figurer l’esprit de ce temps-là. Les murs de nos frontières n’étaient pas encore tombés, et cette contrée s’appelait alors la France, mère patrie de tous ses enfants nés de ses entrailles de terre et de sang. L’Histoire connaît ces envolées que le ciel ne peut ignorer. Les rues de nos bourgades serpentaient bruyamment sous leurs voitures enragées ; à Paris se dressaient Notre-Dame et la tour Eiffel, que la guerre détruisit depuis. La pluie zébrait la grisaille de notre civilisation, martelait le macadam qui chaussait les pas de nos aînés, et les immeubles de béton s’empilaient, sans ordre ni mesure, à la marge des trottoirs qu’investissait chaque aube la foule grouillante de nos ancêtres.
« Hors sujet. […] Vous auriez pourtant dû en sortir autrement, le sujet était fait pour qu’on le réussisse. […] Vous, Mademoiselle, dites-nous ce que vous en avez pensé, vous qui avez raté votre devoir. » (p. 47)
Le centre de la France hébergeait ses montagnes, jetées sans précaution au flanc des Auvergnats. Le massif abritait une fière citadelle. Blanche de brouillard, noire de Volvic, les dieux l’avaient dotée de forts reliefs rocheux, volcans que les Titans prenaient pour barricades pour repousser toujours le bronze des Latins.
Les patrouilles nerveuses y pourfendaient la cohue ; on entendait les cris mêlés aux coups de sifflets. Qu’on veuille s’imaginer cet incroyable flot de ces gens en désordre ; les chemises cravatées frôlaient l’exubérant jogging du sale et vieux clochard ; on marchait droit devant, l’œil sur la montre, vers la gare, le marché, la place de la Victoire, et traversait en hâte les chaussées carrossables au risque presque inconscient de se faire renverser. Au plus haut de la ville enrhumée surgissait la cathédrale gothique, extraite du pavé par les anciens croyants. Les paroissiens l’avaient peu à peu désertée, la science et la finance avaient eu raison d’elle ; nul doute que les troquets étaient mieux fréquentés ; les notables avaient migré sur les bancs des universités, des écoles, des mairies, des marchés ; le fossile chrétien était bien dépassé ; ses heures de gloire enfouies.
La porte des toilettes butait contre la cuvette; on ne pouvait s‘y engouffrer qu’à force d’acrobaties pour les plus souples, qu’en fourrant une jambe dans l’eau pour les autres. Les couloirs étaient étroits, l’oxygène disputé par le surnombre haletant de sa montée; de là-haut, l’œil prenait en entier l’ensemble des constructions. Tout était mal conçu et pensé à moitié, et même pour un bagne, cela était atroce; on avait pris la tourbe pour en faire de la boue; on avait ignoré le savoir de trente siècles; on avait mis l’architecture aux encombrants.
Tout, dans cet établissement, dégageait ce délicat fumet de rance et de désuet, de poussière et de moisi, dont nos enseignants se délectaient volontiers, s’extasiant sans retenue sur l’immuabilité réactionnaire des classes préparatoires. Les couloirs vomissaient leur papier peint en lambeaux, le carrelage d’avant-guerre se disloquait à tout-va, et la craie, sur nos tableaux encore noirs, n'en finissait plus d’agoniser en crissements déchirants.
Il annonçait tout haut la note qui tombait; puis, sans élever la voix, il faisait des remarques sur les fautes grossières que l’on avait commises, sur les égarements qu’on eût pu éviter, sur tout ce qui faisait de nos humbles travaux d’immondes petits torchons; on aurait dit une hyène rôdant parmi les chats.
Il y a dans la nuit cette paix formidable qui tombe du silence des vies insomniaques. Ce silence ahurit la rumeur des journées ; c’est un silence épais qui confond la tourmente, terrasse les angoisses qui s’y noient sans un cri. C’est un néant rempli de mystère, comble de sérénité, qui couvre le veilleur d’une chaleur anonyme. Tranquille, perdu dans l’immensité d’une nuit bornée de quatre murs, d’un calme que même le grésillement effréné de la mouche conforte, le studieux ne craint pas de s’y voir englouti ; la nuit lui donne la main ; la fatigue patiente pour la prendre à son tour, elle qui conduira notre homme dans sa couche. Les âmes éveillées se subliment un instant, on touche à l’infini, le crâne ne connaît plus ses frontières et l’entendement soudain s’évade et s’éparpille dans le songe éveillé, ...