« Home, sweet home, the end’s in sight,
Home, sweet home, so deep inside ».
Lindemann
( Douce maison, la fin est en vue, si profondément à l’intérieur.
A l’intérieur de toi, rongeant tes os, maison, douce maison, les yeux en feu, les lèvres couvertes d’écume.
On appelle ça le froid, il est prisonnier en toi, il ronge, il ronge et il grandit, à l’intérieur de toi, et il ne disparaît jamais. )
Je trouve les paroles de la chanson de ce groupe de Metal appropriées à l’atmosphère qui se dégage de cette maison maléfique.
En Australie, l’os trahit, car il est pointé, par les Aborigènes, sur ceux qui les ont exterminés. L’os est pointé, c’est d’ailleurs le titre d’un autre roman d’Arthur Upfield, considéré comme le père du polar ethnologique.
De lui, j’avais déjà lu « La mort d’un lac », une autre histoire d’eau et d’os.
Ah décidément, je n’en sors pas ! (voir « Le convoi de l’eau »)
Ici, la maison est entourée d’eau, sur une sorte d’île, on y va en suivant une digue, défoncée, comme les âmes des gens qui vivent là, gangrenées par l’humidité ambiante.
Des moutons partout, dans le bush, mais aussi dans la demeure, brebis égarées qui peuvent vite devenir galeuses.
Des bactéries partout, dans la bouche, années cinquante hygiène vacante, alors comment garder la laine fraîche ?
Car il n’y aura pas le compte, après la tonte il manque des balles, et l’alêne risque de percer le mystère. La mort rôde, les corps se putréfient, dans l’eau de là.
Et pourtant, au premier abord, elle a du charme, cette maison.
« Sans autre forme de procès, elle les entraîna vers la maison. Une cinquantaine de mètres la séparait de la digue. Un tapis vert y menait et s'enroulait autour des flancs du bâtiment. Six brebis ne cessaient de tondre cette pelouse. Le porche de la maison était arqué et profondément enfoncé dans la façade, une seule grosse marche permettant d'atteindre la porte cloutée. De chaque côté était installée une haute lanterne en verre dépoli et, au-dessus du porche, une vitre colorée montait presque jusqu'à la large corniche ».
Mais la malédiction s’est emparée des lieux. Massacres des autochtones, spoliation des habitants, destruction de la nature, l’eau gagne du terrain jour après jour, et contraint les résidents de la maison à restreindre leur horizon, leurs activités et leurs pensées. La claustration apporte la peur et rend fou, c’est connu.
« Il distinguait les arbres morts désolés qui se dressaient dans l'eau, du passage obstrué de la rivière jusqu'à la mer.
Les enfants expiaient les péchés de leurs pères. On ne pouvait échapper à cette loi irrévocable de la nature. Mais, à peine un siècle plus tôt, ces arbres vivaient, l'eau n'était pas là, les campements des indigènes parsemaient la rive, les fumées s'élevaient haut dans l'air paisible. On pouvait facilement se procurer gibier et poisson pour se remplir l'estomac et entretenir le rire des femmes et des enfants. En ces jours lointains, la moralité était de fer. Les lois, coutumes, croyances, dans lesquelles la peur jouait un grand rôle pour imposer le respect, régnaient avec douceur sur un peuple qui, satisfait de peu, n'exigeait rien de plus ».
Mais de l’étendue d’eau remontera un corps, étendu sur le dos, le cadavre de la mère, l’ancêtre des lieux. Après celui d’un boucher, le bush est viandard, quel décor, cette vue des corps.
Faudra donner l’assaut, à coups de lasso, pour achever le tableau, ou de corde métallique, au fil de faire, la boucle est bouclée.
Car il y aura un autre meurtre, après une tentative d’étranglement avortée.
Dans cette maison vivent les trois enfants, deux « vieilles » filles et un frère « retardé ». Il a refusé de grandir, l’homme-enfant de vingt-sept ans, cloîtré dans sa chambre, faudrait pas qu’il provoque un accident, ça f’rait mauvais genre, et ce n’est pas celui de la maison, les quadragénaires gèrent le domaine et génèrent de l’antipathie, la bienveillance n’est pas de rigueur, dans ce lieu de malheur. L’une monstre violent, l’autre douce artiste, l’atmosphère est tendue, une sororité désastreuse.
Il y a aussi deux employés de maison, un ancien gardien de troupeaux et une ex-infirmière d’hôpital psychiatrique, pour ajouter une dose de trouble mental, dans ce « en vase clos », débordant de fleurs fanées.
Alors il aura du boulot, l’inspecteur Bonaparte, le Napoléon des résolutions criminelles, Bony pour les intimes, qui connaît « par coeur »les mœurs du secteur, lui le métis élevé dans une tribu du bush. Le Poirot australien, fin limier qui se sert de psychologie avec méthode et patience, en prenant le temps de remonter dans le passé, qui n’est jamais plus que parfait. Flic de terrain, il n’hésite pas à se mouiller, au propre comme au figuré, pour démêler l’écheveau, au milieu des moutons, pour traquer le loup, dingo de première au milieu de tous ces fêlés qui n’avaient jamais connu l’amour.
« Des hommes avaient posé des pierres sur des pierres, des chevrons sur les murs, un toit sur les chevrons. Leurs mains travaillaient avec habileté tandis que leurs esprits tramaient de mauvais coups. Ils avaient raboté, sculpté, poli ce splendide escalier et placé l'immense verre teinté pour en rehausser la beauté. Ils aimaient la beauté comme ils aimaient le mal, et leurs mauvaises pensées avaient sauté sur ces pierres, lambris et poutres inanimés et y étaient restées emprisonnées pour l'éternité. Depuis le moment où les fondations avaient été creusées, un seul mot d'amour avait-il été prononcé » ?
Quelques descriptions réalistes judicieusement disséminées au milieu de nombreux dialogues incisifs, et un récit qui distille au compte-gouttes les éléments de l’enquête. De la belle ouvrage, Mr Upfield, vous qui avez vécu mille vies avant de devenir écrivain de polars en Australie. Votre réputation n’est pas usurpée, et vos descendants littéraires, Tony Hillerman et les Navajos en premier lieu, sont là pour en témoigner.
Une enquête policière de facture classique, comme on en faisait dans les années cinquante, avec des personnages intrigants, un environnement aquatique lugubre et une maison maléfique à souhait.
De quoi passer un bon moment.
« Home, sweet home ».
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