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Citation de Al3x


Pour commémorer la bravoure du jeune Tamoul, l'armée contribua au financement de l'érection, à l'entrée de son village, d'une statut en ciment du Sepoy* S. Murugesan en uniforme militaire, fusil à l'épaule. De temps à autre, sa veuve la désignait à son bébé, qui avait six mois à la mort de son père. "Appa", lui disait-elle en agitant la main vers la statut en manière de bonjour. Le bébé souriait, imitait précisément le geste de sa mère, un bourrelet de graisse infantile recouvrant son petit poignet comme un bracelet. "Appappappappappappa", disait-il en souriant.
Tout le monde n'était pas ravi de voir trôner la satue d'un Intouchable à l'entrée du village. Encore moins d'un Intouchable portant une arme. Certains pensaient que cette représentation délivrait un message pervers, de nature à donner des idées. Trois semaines après l'inauguration, le fusil disparut de son épaule. La famille de S. Murugesan tenta bien de porter plainte, mais la police refusa d'enregistrer celle-ci, arguant que l'arme avait dû se briser ou se désintégrer pour avoir été sculptée avec du ciment de mauvaise qualité - pratique véreuse courante - , ce dont personne ne pouvait être tenu pour responsable. Un mois plus tard, on trouva la statue du sepoy amputée des deux mains. De nouveau la police refusa d'enregistrer la plainte, cette fois avec un rire méprisant et sans même se donner la peine d'inventer un prétexte. Deux semaines s'étaient à peine écoulées que la statue de S. Murugesan était décapitée. Quelques jours de tensions s'ensuivirent. Les gens des villages voisins qui appartenaient à la même caste que lui organisèrent une protestation collective et entamèrent une grève de la faim à tour de rôle au pied de la statue. Un tribunal local annonça la constitution d'un comité de magistrats pour enquêter et déclara le maintien du statu quo dans l'intervalle. Les villageois suspendirent leur grève de la faim. Le comité ne vit jamais le jour.
Dans certains pays, les soldats meurent deux fois.
La statue mutilée demeura à l'entrée du village. Certes, elle ne ressemblait plus en rien à l'homme qu'elle était censée honorer, mais elle était devenue un emblème de son époque. Elle la traduisait plus fidèlement qu'au temps de son intégrité.
Le bébé de S. Murugesan continuait d'agiter la main vers lui.
"Appappappappa..."

(Sepoy : fantassin, soldat sans grade)
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