Je passe les journées qui suivent à fixer ma mère. Capter son regard, ses mains, lorsqu’elle prépare la table, s’habille, tourne les pages de son livre. Je la frôle, scrute le frisson, grandis son malaise. Je me lève la nuit. Retiens mon souffle au-dessus d’elle, la regarde dormir.
Percer sa chair pour voir d’où je viens.
Laurence a raconté à Charlotte. Ce qu'elle voulait, ce qu'elle ne voulait pas. Bégaiements, étouffements de larmes. Ce qu'elle croyait normal. Sa sidération dans la chambre de Christophe. Des fins de phrases fuyantes, malmenées. Des silences appuyés.
Charlotte l'a écoutée. A son tout elle lui a parlé. Elle est prête pour la confrontation. Deux fois elle devra raconter les faits devant Christophe. être précise. A quel moment était-elle consentante ? Quand ne l'était-elle pas ? Pourquoi ? Qu'a-t-elle dit ? Qu'a-t-il fait ? Retourner les questions cent fois pour se préparer. Ne pas se laisser submerger. Laurence l'accompagnera jusqu'à la porte du juge d'instruction. Charlotte a répété : "Toi aussi tu devrais porter plainte." Laurence a besoin de temps. (p.162)
Charlotte lui a écrit. laurence ne sait pas si cela la concerne. C'est trop tôt pour le savoir. "Il faudrait le dire si toi aussi..." Elle ne veut surtout pas lire "je me sentais forcée". Elle parcourt le quartier de long en large. "Il voulait que j'essaie le justaucorps". (p.151)
Orchestrer les bruits du ciel. Elles veulent crier qu'elles sont vivantes. Elles seront insaisissables et magnifiques. Les deux femmes ne doutent pas une seule seconde. Se le promettre avec une telle intensité compte plus que l'acte lui-même.