Le mariage n'est pas quelque chose qui m'indiffère mais il nécessite une importante réflexion afin de ne pas se retrouver dans la situation de Corentin.
Toutes les femmes ont leurs yeux sur toi, toutes les mères ont leurs yeux sur toi. Si j'étais toi, je mettrais un peu plus de cœur à l'ouvrage pour me trouver une bonne épouse et m'éviter d'être poursuivi avec avidité par n'importe qui.
Son visage rond est semblable à celui d'une poupée. Elle est adorable. C'est ma tante sur le papier mais c'est une vraie mère pour moi. La seule puisque la mienne est morte en couche. Elle a toujours été la seule présence féminine autour de moi. Mon père a toujours refusé de se remarier. Quand il a été gravement blessé à la guerre, il m'a confiée tout naturellement à son frère Joseph et sa femme Éliane avant de rendre son dernier souffle.
Moi, je regarde les gens défiler, j'entends leurs conversations badines, je m'amuse des rapprochements amoureux, je m'attriste des cœurs abandonnés. Sauf que je n'espère qu'une seule chose : atteindre ma majorité sans voir un jeune homme, le genou à terre avec ma main dans la sienne et une proposition qui me mettrait dans une situation inconfortable. À mes vingt et un ans, je serai libre… vivre ma vie, encore quelques mois.
S'il y a eu tromperie sous le toit conjugal, la femme peut parfaitement demander réparation. C'est d'ailleurs le seul cas où elle peut exiger quoique se soit, car l'adultère hors lieu conjugal est parfaitement toléré et ne peut susciter aucune demande de divorce. Néanmoins dans le cas de Corentin, je doute que cela soit la cause de cette séparation, il était éperdument amoureux de sa femme.
Je lui tends ma main comme une jeune fille respectable. Il la saisit délicatement pour me saluer. Son regard s'attarde alors sur le mien, des yeux sombres, un visage carré, des cheveux bruns. Il n'a pas l'apparence du bon camarade mais plutôt du rabat-joie. Je lui souris poliment tandis qu'Éléonore me dresse son panégyrique.
Ce mariage-ci est bien la preuve d'un arrangement, leurs deux familles se connaissent depuis des générations. Quand Éléonore et Grégoire sont nés, le mariage était déjà signé. Leur chance fut qu'ils s'entendent et s'apprécient tout en présentant une bonne apparence comme aujourd'hui.
Je joue les gentilles jeunes femmes de bonne éducation. Je souris, ose un rire discret par moment, acquiesce à quelques paroles graves puis nous reprenons notre chemin vers l'immense tente blanche dressée le long de la berge.
Elle semble toujours deviner le fond de votre pensée avant même que vous ayez, vous-même, pensé quoi que ce soit. Elle est vêtue d'une robe légère dans les tons crème, ainsi que d'un grand chapeau et des mitaines en dentelle.
Ma majorité me donnera toute la liberté nécessaire et l'héritage de père m'appartiendra entièrement. Je compte bien le faire fructifier selon mes envies et mes désirs sans l'étroite surveillance d'un époux.