La seconde croisade se terminait plus tragiquement encore que la première. Avec elle s'achevait, dans une atmosphère de deuil et d'adoration, ce règne unique dans l'historie des dominations humaines. Si jamais un enfant du Christ mérita la couronne des saints, ce fut assurément ce roi qui n'accepta le pouvoir que pour confirmer sur terre le règne de son divin maître et qui s'en alla, pour son idéal, mourir en terre lointaine, aveuglé par l'éclat de son rêve. Il avait, selon son désir, maintenu la paix dans son royaume et donné au monde l'exemple de la justice. Il laissait enfin la France puissante et respectée, et, pour son bonheur, il avait pu conserver jusqu'à son dernier jour l'illusion que les forces spirituelles font reculer devant elles la convoitise, la violence et la ruse. Mais les vertus qu'il personnifiait n'avaient pu sauvegarder l'intégrité de la monarchie française que grâce à la faiblesse de ses adversaires : a-t-on le droit d'espérer qu'un temps viendra où les rapports des États ne seront plus régis par la force ?... Elle allait bientôt se déchaîner à nouveau, et c'est à juste titre qu'un poète anonyme pouvait s'écrier, après la disparition du saint roi :
Droit est enseveli et royauté est morte !...
Et elle lui dit : "Je vous demande, par la foi que vous m'avez engagée, que si les Sarrazins prennent cette ville, vous me coupiez la tête avant qu'ils me prennent." Et le chevalier répondit : "Soyez certaine que je le ferai volontiers, car je l'avais bien pensé, que je vous occirais avant qu'ils ne vous eussent prise." De quelle lumière ces mots éclairent l'âme de ceux qui les prononçaient si simplement, et qui, sans hésiter, y eussent conformé leurs actes !
Si la fontaine nous a laissé le plus pur trésor de la poésie française c'est parce qu'il a été un homme avec mille faiblesses -et un ouvrier avec -avec mille vertus .
Sa personnalité est donc plus riche et plus complexe qu'elle n'apparaît à travers la tradition hagiographique ; nul homme, assurément, n'a mieux mérité que l'on proclamât sa sainteté, mais c'est le diminuer de ne voir en lui qu'elle seule. Il lui fut certainement plus difficile d'être roi que d'être saint. Il le fut pourtant, pleinement, parce qu'il devait l'être : c'est là sa vraie grandeur.
Mais, sans même reprendre la lutte, il sentait que sa seule présence suffisait à protéger la Syrie et la Palestine, et ce fut le temps le plus glorieux de toute sa vie que celui où, laissant sa mère régner à sa place sur son royaume, il ne voulut plus être que le soldat du Christ et le roi des chrétiens d'Orient.