Auguste VILLIERS DE L'ISLE ADAM Relecture (France Culture, 1981)
L'émission "Relecture", par Hubert Juin, diffusée le 1er mai 1981 sur France Culture. Présences : Patrick Besnier, Pierre Citron et Jean Claude Renault. Lecture : Jean Topart, Manuel Denis, Catherine Sellers.
C'est une chose de toute éternité que l'amitié intellectuelle.
(L’intersigne)
L'homme qui t'insulte n'insulte que l'idée qu'il a de toi - c'est-à-dire lui même.
(Ébauches et Fragments)

[Extrait de "Conte d'Amour]
I
ÉBLOUISSEMENT
La nuit, sur le grand mystère,
Entrouvre ses écrins bleus :
Autant de fleurs sur la terre
Que d'étoiles dans les cieux!
On voir ses ombres dormantes
S'éclairer, à tous moments,
Autant par les fleurs charmantes
Que par les astres charmants.
Moi, ma nuit au sombre voile
N'a, pour charme et pour clarté,
Qu'une fleur et qu'une étoile :
Mon amour et ta beauté !
II
L'AVEU
J'ai perdu la forêt, la plaine,
Et les frais avrils d'autrefois...
Donne tes lèvres : leur haleine,
Ce sera le souffle des bois !
J'ai perdu l'Océan morose,
Son deuil, ses vagues, ses échos ;
Dis-moi n'importe quelle choses :
Ce sera la rumeur des flots.
Lourd d'une tristesse royale,
Mon front songe aux soleils enfouis...
Oh ! cache-moi dans ton sein pâle !
Ce sera le calme des nuits !
III
LES PRÉSENTS
Si tu me parles, quelque soir,
Du secret de mon cœur malade,
Je te dirai, pour t'émouvoir,
Une très ancienne ballade.
Si tu me parles de tourment,
D'espérance désabusée,
J'irai te cueillir, seulement,
Des roses pleines de rosée.
Si, pareille à la fleur des morts
qui se plaît dans l'exil des tombes,
Tu veux partager mes remords...
Je t'apporterai des colombes.
[...]
L’AVEU
J’ai perdu la forêt la plaine
Et les frais avrils d’autrefois...
Donne tes lèvres : leur haleine,
Ce sera le souffle des bois !
J’ai perdu l’Océan morose,
Son deuil, ses vagues, ses échos ;
Dis-moi n’importe quelle chose :
Ce sera la rumeur des flots.
Lourd d’une tristesse royale,
Mon front songe aux soleils enfuis...
Oh ! cache-moi dans ton sein pâle !
Ce sera le calme des nuits !

FÉLIX (après un grand silence) : Quelle heure ?
ELISABETH : Très tard.
FÉLIX (très froidement) : Déjà minuit ? (II remonte la lampe en clignant des yeux.) Diable de lampe ! qu‘est-ce qu'elle a donc ce soir ?... On n'y voit pas !... Baptistin !... François !... François !
ELISABETH (reprenant sa plume) : Comme ils étaient fatigués, je leur ai dit qu'ils pouvaient monter dans leur chambre.
FÉLIX (entre les dents) : Fatigués !... fatigués !... Eh bien ! et nous ? Tu t'en laisses imposer, ma chère amie. Ces gaillards-là ne valent pas la corde pour les pendre. Ils abusent. (Il se lève et allume un cigare à un candélabre sur la cheminée; puis, le dos au feu. les basques relevées sur les mains, il fume.) Ils abusent. D'ailleurs, assez pour aujourd'hui... tu te feras mal.
ELISABETH : (souriante) Oh ! vous êtes trop bon...
FÉLIX (lent et glacial) : As-tu fait passer les quittances Farral, Winter et Cie ?
ELISABETH (tout en écrivant) : Les reçus en sont épinglés, deuxième tiroir, à la caisse.
FÉLIX : Et l'assignation Lelièvre ?
ELISABETH : Insolvables. Ce sont de pauvres, de très pauvres gens.
FÉLIX (secouant la cendre de son cigare) : L’immeuble vaut toujours bien quelque chose.
ELISABETH (après un instant) : En ce cas, expédiez vous-même l’ordre d'assignation.
FÉLIX (d'un ton léger) : Hein ?... (A part : ) Ah oui !... l'attendrissement ? Pas de ça !... (Haut : ) Écoute, il faut des yeux secs pour y voir clair, en affaires. Si nous attendons l'expropriation, nous ne serons payés qu'au prorata.
ELISABETH (un peu moqueuse) : Ce serait horrible, il est vrai.
FÉLIX : Oui... au prorata! au prorata des dividendes !... après homologation du concordat !... et cætera ! et cætera ! et cætera !... Comprends-moi bien, mon enfant, je n'actionne impitoyablement ces pauvres Lelièvre que par principe. Je puis pleurer sur leur sort, mais, sarpejeu ! il faut être sérieux en affaires !...
Scène I
Comprendre, c’est le reflet de créer.

ELISABETH : Je veux vivre ! Entendez-vous, insensé que vous êtes ! Vous ne comprenez pas cela, vous, qu'on puisse raisonnablement vouloir vivre ? Enfin ! J'étouffe ici, moi ! Je meurs de mon vivant ! J'ai soif de choses sérieuses ! Je veux respirer le grand air du ciel ! Emporterai-je vos billets de banque dans la tombe ? Combien croyez-vous donc qu'on ait de temps à vivre ? (Un silence ; puis, pensivement) Vivre ? ... Est-ce même là ce que je désire ? Ce que je puis désireraujourd'hui ?... — Un amant. disiez-vous ? ... Hélas, non ! Je n'en ai pas, je n'en aurai jamais ! J'étais faite pour aimer mou mari, entendez-vous ? Je ne lui demandais qu'une lueur d'humanité !... Aujourd'hui, ne comprenez-vous pas que c'est fini, et que l'orgueil de l'amour s'est éteint dans mes veines ?... Que je ne puis revenir sur mes pas? Que vous m'avez pris, comme rien, à moi stupide et dans l'angoisse, tout ce que j'aurais voulu donner, oh ! follement ! et pour toujours ! Et sans regrets ? Je ne vous souhaite pas de vous douter jamais de ce que vous avez perdu !... Vous êtes comme un juif aveugle qui a laissé tomber ses pierreries sur le chemin.
FELIX (la regardant avec inquiétude, à part) : Je la crois atteinte !... (Haut, d'un ton lent et glacial) Voyons, voyons, calme-toi ! .... Ce sont des mots, tout cela, vois-tu. Il ne faut pas, comme cela, se monter la tête avec des phrases... Si tu allais un peu dormir, hein ? ... C'est une idée, cela ?...
ELISABETH (impassible) : Des mots ?... Et avec quoi voulez-vous que je vous réponde ?... Avec quoi me questionnez-vous ... Je n'entends sonner que l'argent dans vos paroles : si les miennes sont plus belles et plus profondes, plaignez-moi ! C’est un malheur irréparable, mais, enfin, c'est ma manière de parler. Et puis, qu'importe cela, désormais ! Nous avons raison tous les deux, vous dis-je ! Mais il ne s'agit plus seulement d'avoir raison ici ! Je sais bien que ce sont «des mots » pour vous, l'immense désir d'aimer, au moins, la lumière et la splendeur du monde, lorsqu'on ne peut plus rien aimer socialement, pas même le lucre !... Je sais bien que cela vous fait hausser les épaules, l'espérance, le soir et la solitude auprès d'une belle jeune femme silencieuse !... Je sais bien que le mystérieux univers ne fera naître éternellement sur vos lèvres qu'un sourire frais et reposé (car rien ne fut jamais triste ou mystérieux pour vous, même la Science, ni même la Mort !) Je sais bien qu'en esprit éclairé, vous ne dédaignez pas, « une fois le temps », l'espace, le vent de la haute mer. Les rochers, les arbres des montagnes, le soleil, les bois, l'hiver et la nuit. Et les cieux étoilés, si toutefois il est encore, pour vous, des cieux ! Vous trouvez cela « poétique » ? Vous appelez cela « la campagne » ? Moi, j'ai une autre façon de regarder ces choses ! Et comme le monde n'a de signification que selon la puissance des mots qui le traduisent et celle des yeux qui le regardent, j'estime que considérer toutes choses de plus haut que leur réalité, c'est la Science de la vie, de la seule grandeur humaine, du Bonheur et de la Paix.
Scène I
Ah! Les idées sont des êtres vivants!
p 33 Véra
Je suis sujet à un mal héréditaire qui bafoue, depuis longtemps, les efforts de ma raison et de ma volonté! Il consiste en une appréhension, une anxiété sans motif précis, une affre ...
RENCONTRE
Tu secouais ton noir flambeau ;
Tu ne pensais pas être morte ;
J’ai forgé la grille et la porte
Et mon cœur est sûr du tombeau.
Je ne sais quelle flamme encore
Brûlait dans ton sein meurtrier
Je ne pouvais m’en soucier :
Tu m’as fait rire de l’aurore.
Tu crois au retour sur les pas ?
Que les seuls sens font les ivresses ?...
Or, je bâillais en tes caresses :
Tu ne ressusciteras pas.