C'est toujours la même chose avec les adultes. Ils n'ont qu'une obsession : oublier, passer à autre chose. Pour eux, la vie est un livre dont il faudrait pouvoir arracher les pages abîmées ou coller ensemble toutes celles qui appartiennent au passé, ainsi chaque jour serait comme une page neuve. Les adultes sont désespérants. Est-ce-que je vais devenir comme eux ? Est-ce que je vais troquer ma mémoire contre une passoire ? Moi, je ne veux pas oublier. A quoi ça sert d'avoir une révélation dans la vie si c'est pour l'oublier ? A quoi ça sert de trouver un sens, une direction à sa vie, si c'est pour aussitôt y renoncer ? Moi, je crois que quand on veut quelque chose, il ne faut pas le lâcher. Question de principe. Il faut aller jusqu'au bout de ses rêves, sinon ça ne sert à rien de rêver.
L'attirance n'est pas quelque chose de contagieux.
- Je n'aime pas me dire que tout est écrit d'avance. Toi, si?
- Ça dépend comment c'est écrit. Si c'est écrit dans le style Stephen King ou dans le style Marc Levy.
Tu as laissé échapper un éclat de rire.
- Alors, je prendrais le roman de Stephen King. J'aime bien les défis. Et toi?
Entre un avenir peuplé de haches et de meurtriers psychopathes et un avenir dégoulinant de bons sentiments, le choix pour moi était vite fait. Mais je n'avais pas envie de passer pour une midinette timorée.
- Tant que l'avenir n'est pas écrit comme un roman de Proust, ça me va.
- Oui mais, avec Proust, on aurait l'éternité devant nous.
Cependant, aujourd'hui je m'ennuie profondément. L'ennui vous pousse parfois à commettre des choses absurdes qui violent vos principes fondamentaux. ça me fait penser que, peut-être, ces hommes qui commettent des meurtres ou des braquages sont en fait simplement des gens qui s'ennuient profondément dans leur existence. Il n'y a rien de bien à regarder à la télé, leur femme ne leur fait plus la conversation depuis longtemps, alors ils se disent : "Tiens, et si je faisais quelque chose de vraiment dingue !" Une façon de rendre sa vie aussi palpitante qu'un thriller. Bon d'accord, ce qui se passe dans la tête d'un criminel est sans doute plus complexe, mais je suis sûre que l'ennui joue un rôle. La preuve, c'est qu'en Chine, où les ouvriers sont contraints de travailler non stop, le taux de criminalité est très bas. Forcément, quand on est occupé dix-huit heures sur vingt-quatre à coudre des semelles, on n'a pas le temps de préméditer un meurtre.
Si la vérité et le mensonge étaient deux personnes, je crois que je me lierais d'emblée d'amitié avec le second, tandis que la première deviendrait mon ennemie jurée. Non pas que j'approuve la malhonnêteté, mais je suis une fervente partisane du mensonge par omission. Vous savez, ce doux silence qui vous évite de dire à votre meilleure amie qu'elle a pris trois kilos pendant les vacances de Noël ou qu'elle était plus jolie avant d'entrer chez le coiffeur. Ce n'est pas vraiment un mensonge, c'est plutôt une marque d'empathie. Tandis que la vérité... Eh bien, la vérité est souvent une arme de destruction massive.
J'ai trouvé une guêpe [...] lorsque j'ai voulu refermer la fenêtre [...] : elle se mouvait péniblement sur le rebord extérieur, toujours incapable de voler.
Je pouvais refermer la fenêtre, feindre de lui avoir redonné sa liberté.
Ou je pouvais la tuer.
Une partie de moi était tentée de faire comme si je n'avais rien vu, parce que c'était plus facile. Mais j'ai pris mon courage à deux mains, j'ai retiré ma tong et je l'ai libérée de ses souffrances.
Ça m'a fait mal. Plus mal que si j'avais refermé la fenêtre avec indifférence.
Parfois j'ai l'impression d'être cette guêpe, traînant sa carcasse dans les couloirs de l'école, incapable de partager l'allégresse de ses semblables. Et Ryan est celui qui referme la fenêtre pour se protéger. Celui qui refuse de prendre son courage à deux mains pour m'asséner le coup de grâce. Je ne sais pas si, par la même occasion, il me protège ou il me détruit. Je sais juste combien c'est plus facile de fermer les yeux.
Mais c'est tellement plus cruel.
Je ne peux pas choisir la façon dont les autres se comportent, mais je peux choisir les limites de ce que je peux accepter.
Comment faire pour quitter quelqu'un sans le briser?
Quelles phrases utiliser?
Est-ce que ça change vraiment quelque chose la manière dont on le fait, le moment où on le fait, car dans tous les cas le résultat est le même: c'est un rejet, un abandon, une trahison.
Est-ce qu'on peut rendre à quelqu'un le coeur qu'il nous avait confié sans qu'il soit abîmé? Ou est-ce que le seul fait qu'il ait été trimballé d'une poitrine à l'autre l'a forcément cabossé?
En fait, le seul moyen de garder un coeur intact, c'est de ne jamais le donner.
L'espoir est un sentiment vicieux et contagieux : on ne peut jamais l'exterminer tout à fait ni s'empêcher de le transmettre aux autres.
Si tu es comme tout le monde, ça veut dire que tu es interchangeable. Je ne veux pas être interchangeable. Je veux être inoubliable.