Talents Cultura 2023 : Catégorie roman
Ils avaient libéré le territoire des ennemis. Les mêmes ennemis qui, hier, étaient venus les chercher à leur domicile et les avaient menés dans ce lieu. Ils étaient venus les chercher avec l’assentiment et l’aide des hommes de la police française. Sans doute des frères d’armes, des camarades qui, eux aussi, avaient souffert de ce froid, funeste et amer.
(page 37)
L’écriture des uns donnait la possibilité à d’autres de voyager et d’outrepasser les limites réelles pour se confronter à d’autres frontières, plus lointaines. Les romans n’apportaient pas de réponses aux questions mais donnaient la possibilité de montrer que d’autres chemins existaient.
(page 141)
Il avait voulu rester auprès de sa famille, de son fils, de ses frères. Et puis il ne voulait pas que le nom Blum puisse être associé à la fuite. Ce n’était pas un héros, René. C’était simplement un homme d’honneur.
(page 137)
Le jeu était une captation des sens, la scène en était le sanctuaire, les comédiens en étaient l’onction. Malgré son jeune âge, René avait conscience de ce qu’il vivait. Cette pièce était comme une pierre jetée sur le mur des conventions. D’autres pierres allaient venir, plus grosses, plus fortes, et feraient tomber, tel un château de cartes, l’illusion d’un théâtre unique et classique.
(page 27)
Il connaissait l’importance du beau, lui qui avait fait de l’esthétisme son métier, son obsession, son fardeau, le cherchant, le prônant, l’instruisant tout au long de sa vie. Il savait que les livres renfermaient l’âme du monde et, pour cela, il en recherchait le meilleur écrin. Le livre est une porte vers l’ailleurs, vers tous les possibles qu’il faut chérir, qu’il faut protéger. Et restaient gravées en lui les images de ces livres brûlés, empilés, jetés, les flammes emportant toutes ces pages, tous ces mots.
(pages 17-18)
Il (René Blum) entra français et juif et en ressortit juif et français. Cette simple mention lui attribuait désormais un statut et une race et lui ôtait ses droits et sa liberté. Il avait cette impression singulière de devenir étranger dans son propre pays. Un pays qu’il ne parvenait plus à reconnaître.
(page 14)
René n’avait pas eu plus d’avantages que d’autres à être le frère de Léon, peut-être même le contraire, il avait le devoir de montrer l’exemple. C’est ce qu’il fit jusqu’au bout. Il fit honneur au nom de Blum. Son souvenir restera comme celui d’un homme bon, d’un homme d’art et de culture, d’un homme bienveillant, d’un homme intègre, d’un homme au destin tragique. En cela, la mémoire de René restera, même par-delà l’oubli.
(page 158)
Depuis un mois, Drancy vivait au rythme des déportations. Tous les deux ou trois jours, mille femmes et hommes étaient emportés vers l’Est. La destination était inconnue, on disait l’Est, on disait l’Allemagne, on disait la Pologne. On ne savait pas. Ce que l’on savait, c’est que les internés étaient entassés dans des wagons de marchandises sans vivres, sans eau, pour un voyage de plusieurs milliers de kilomètres.
(page 130)
Au fil des mois de sa détention, René avait vu le pire de l’espèce humaine. Il n’en était peut-être pas au bout. Il savait néanmoins qu’il avait aussi vu le meilleur, le meilleur de l’humanité, dans la générosité comme dans la dignité. Qui sait, c’était peut-être dans l’enfer que l’infime beauté pouvait émerger.
(page 110)
Le jour tombait. La lumière laissa place à la nuit et ses autres douleurs. Celles de cauchemars, des craintes et du silence. La nuit vint, amenant avec elle la solitude profonde de l’être. La nuit était, pour tous, une crainte. Chacun se préparait à affronter les démons peuplant l’inconscient.
(page 46)