Avery Blake

La plupart d’entre nous n’avaient que quinze ans, mais cela ne les avait pas empêchés de faire en sorte que leurs frères et sœurs plus âgés leur achètent de l’alcool. Beaucoup, beaucoup d’alcool.

Je soupirai et pris une gorgée de mon Coca-Cola Light.

Le chagrin pesait lourd dans mon cœur. Cela faisait quatre mois que mon père nous avait quittés et chaque jour sans lui était difficile. J’étais souvent content en entendant le téléphone sonner, avant de me rappeler qu’il ne m’appellerait plus jamais. Plus de lettres, plus d’appels vidéo, ou d’embrassades chaleureuses lorsqu’il rentrait à la maison après un déploiement. Nous ne regarderions plus jamais de films d’horreur,

Bailey et moi regardâmes par là tandis qu’un lourd silence prenait le dessus autour de nous. C’était dingue que le silence puisse faire du bruit, mais il était assourdissant. Tout autre son semblait soudain décuplé, et j’aurais pu jurer que mon cœur battait si fort que mon amie pouvait l’entendre.

— Un chien, peut-être ? suggéra Bailey d’une voix tremblante.

Elle prit ensuite une gorgée de son Pumpkin Spice Latte, tout comme moi. C’était comme les épinards que Popeye mangeait pour être fort, sauf que cela nous donnait du courage. Ou nous excitait tellement que nous nous croyions seulement courageux. Ce qui marchait aussi.

— Je ne sais pas, répondis-je tandis que mes yeux devenaient ronds comme des soucoupes. Est-ce que les chiens font un mètre cinquante et bougent très lentement ?

— Quoi ? couina-t-elle.

— Et bien, fis-je, essayant de rester calme.

Pas de peur, mais d’exaltation.

— Ne panique pas… mais il y a quelque chose qui marche à côté de cette pierre tombale.

— Tu n’as pas avoir honte… si c’est ça qui te pose problème.

Je détournai le regard vers le sac sur mes genoux, qui contenait deux nouveaux livres – Bailey m’en avait acheté un sur la chasse aux fantômes. Je ne savais pas quoi dire.

Je ne dirais pas vraiment que j’avais honte, mais il y avait quelque chose. De l’hésitation, peut-être, par crainte de la réaction des gens. L’inquiétude d’être traité différemment, tout ça à cause d’une chose sur laquelle je n’avais aucun contrôle.

Si vous ne rentriez pas dans un certain moule, les gens perdaient la tête. Même si les choses s’étaient beaucoup améliorées pour la communauté gay ces derniers temps, c’était toujours difficile pour deux hommes de marcher dans la rue, main dans la main, sans que quelqu’un fasse une remarque désobligeante ou les fixe bêtement.

Il fallait du courage pour faire son coming out, et aucune quantité de Pumpkin Spice Latte ne m’en donnerait assez.

Puis il y eut l’odeur de la pluie, et j’ouvris les yeux pour trouver Victor à côté de moi. Il n’était pas concentré sur notre environnement. Non, ses superbes yeux bleus étaient posés sur moi.

— Excuse-moi de t’avoir fixé comme ça, fit-il en détournant le regard.

— Ne t’excuse pas. Ça ne m’embête pas.

Je te fixe beaucoup, alors ce n’est pas grave.

— Tu me fixes ?

Oh mon Dieu, j’ai dit ça à voix haute ?

— Euh…, ris-je nerveusement. Pas, genre, de façon bizarre.

Mais pour un gars hétéro, je suppose que se faire mater par un autre homme peut être bizarre. Victor n’avait néanmoins pas l’air d’être comme ça.

— Savais-tu que le sorcier le plus puissant de notre histoire était gay ?

Je secouai la tête, sidéré.

— C’est vrai, assura-t-elle. Son nom était Alistair, et son amant s’appelait Zander. Alistair avait la capacité de contrôler les quatre éléments : la terre, l’air, le feu et l’eau. Maintenant, la plupart des sorciers et des sorcières ont de la chance s’ils peuvent contrôler ne serait-ce qu’un élément. Je peux manipuler le vent, comme tu l’as vu. En contrôler deux est rare, mais c’est arrivé. Mais tous les quatre ? Alistair est le seul sorcier à avoir un jour possédé un tel don.

— Tu ne sais vraiment pas ? Ta mère t’a-t-elle tant protégé de la vérité ?

Euh, d’accord. C’est quoi ce bordel ?

— Ta grand-mère, du côté de ton père, était l’une des sorcières les plus douées que j’aie jamais rencontrées, expliqua Ethel avec un sourire triste. Elle maîtrisait les sorts comme personne d’autre, et en plus, elle avait énormément de grâce et la volonté de faire le bien dans le monde. D’aider les gens. C’est d’elle que ton père a hérité son grand cœur, tout comme toi. Elle m’a beaucoup appris.

Mon souffle se fit haché.

— Mec, rétorquai-je en me frottant les yeux. Je ne sais pas pourquoi t’as fait ça, mais je te jure que je vais le découvrir. D’accord ?

Même si j’avais vraiment envie de faire pipi, j’hésitai. Enfin, mort ou pas, je ne voulais pas qu’il voie mon entrejambe.

— Euh, est-ce que je pourrais avoir un peu d’intimité, s’il te plaît ?

Le fantôme vacilla avant de disparaître.

— Merci, fis-je dans le vide.