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Citation de enkidu_


Nous dérivons sur un îlot microscopique, naufragés d’un destin dont nous ne contrôlons pas grand-chose. Nous savons seulement que nous venons à peine de naître et que nous sommes voués à disparaître. Le « nous » que j’évoque ici désigne l’espèce humaine, une espèce qui s’éveille tout juste à la vie et dont l’extinction est déjà programmée. D’ici là, peut-être aurons-nous trouvé les chemins de l’immortalité. Mais nous n’y sommes pas pour l’instant. Et là encore, une explication s’impose.

Le Big Bang, c’est-à-dire le début de l’univers, a eu lieu il y a 13,8 milliards d’années. Le Soleil et la Terre sont apparus bien après, il y a 4,5 milliards d’années. On sait que le Soleil vivra encore à peu près autant avant de s’éteindre. Or sans Soleil, pas de vie sur notre planète. Mais la vie sur Terre aura disparu bien avant que le Soleil ne s’éteigne, puisque la Terre occupe aujourd’hui la zone habitable dans l’entourage du Soleil, c’est-à-dire une zone ni trop chaude ni trop froide. Dans 1,75 milliard d’années (peut-être davantage selon certaines prévisions), la planète bleue devrait être dans la « zone chaude » du Soleil et ne sera donc plus viable. Et peut-être même que, d’ici là, les formes de vie évoluées que nous connaissons auront déjà disparu. Les humains auront peut-être déjà succombé. Ils auront peut-être aussi été exterminés par une nouvelle espèce apparue sur Terre ou, pourquoi pas, venue d’une autre planète. Rien ne nous permet d’écarter ces scénarios, d’autant que toutes les espèces qui naissent sur Terre finissent un jour par disparaître. Mais qui sait s’ils n’auront pas migré vers d’autres planètes qu’ils auront colonisées ; notre espèce pourrait alors se perpétuer ailleurs dans l’univers. Si ce n’est pas le cas, si nos descendants ne réalisent pas cette prouesse technique, alors tout ce que nous aurons créé jusque-là, tous les plus beaux romans, les symphonies, les œuvres d’art, les monuments, mais aussi toutes nos inventions techniques, des plus dérisoires aux plus avancées, n’auront servi à rien, si ce n’est à passer le temps. Étant donné que toutes les étoiles de l’univers sont appelées à mourir un jour, tout comme notre Soleil, étant donné par ailleurs que certains scientifiques prédisent la disparition de l’univers lui-même, il est tout de même permis d’être relativement pessimiste quant à l’issue générale du jeu auquel nous avons été provisoirement conviés à participer.

Mais reprenons notre récit de la formation de notre monde. La Terre, donc, a vu le jour il y a 4,5 milliards d’années. La vie y est apparue il y a environ 3,8 milliards d’années. Il s’agissait alors d’organismes monocellulaires, les procaryotes. La vie animale a explosé à partir de – 540 millions d’années et du cambrien. La vie est sortie de l’eau il y a 450 millions d’années et on fait remonter les premiers mammifères à 200 millions d’années. Les australopithèques sont apparus il y a 5 ou 6 millions d’années. Les premiers représentants du genre Homo sont nés il y a 3 millions d’années. L’Homo sapiens a vu le jour il y a seulement 200 000 ou 150 000 ans. L’agriculture, qui a marqué le début de la domination de l’homme sur la nature, remonte à 12 000 ans. Donc, si l’on met toutes ces dates en perspective, on s’aperçoit immédiatement que l’espèce humaine a émergé du vivant il y a quelques instants à peine.

Il suffit pour s’en convaincre encore mieux de se plonger dans le calendrier cosmique établi par Carl Sagan. Ce dernier a eu l’idée de rapporter l’histoire de l’univers, de sa naissance à aujourd’hui, à l’échelle d’une seule année. Tout démarre donc le 1er janvier avec le Big Bang, et nous sommes actuellement le 31 décembre à minuit. En se référant à cette échelle de temps, notre système solaire n’est apparu que le 9 septembre, et la Terre le 14 septembre. La vie voit le jour le 25 septembre, sous forme de bactéries. Les poissons débarquent le 17 décembre, les premières plantes terrestres le 20, les animaux le 21, les reptiles le 23, les dinosaures le 25, les nouveaux mammifères le 26, les oiseaux, les fleurs et les fruits le 28. Le 30 décembre, c’est la fin du crétacé, la disparition des dinosaures, l’apparition des primates et le retour à la mer des mammifères. Les premiers humains font leur apparition le 31 décembre à 22 h 30. L’Homo sapiens naît le 31 décembre à 23 h 56 et l’agriculture est inventée à 23 h 59 et 35 secondes. Tout ce qui constitue le récit de l’humanité dans les livres d’histoire, tout ce qui compose notre mémoire collective, nos rois, nos batailles, nos inventions, nos œuvres d’art : tout tient dans les dix dernières secondes du calendrier cosmique.

On peut encore dire les choses ainsi : les 12 000 dernières années (celles qui correspondent au développement de l’homme moderne depuis l’agriculture) représentent 0,00008 % de la durée d’existence de l’univers. Un clignement d’œil.

Cette mise en perspective permet de comprendre que les humains ne sont sur cette planète que les invités de dernière minute, et que la vie de chaque individu, malgré les attentes, les espoirs, les souffrances et les douleurs qui lui confèrent une sensation d’éternité, ne dure en réalité pas plus qu’une nanoseconde. On naît, on s’agite un peu, et l’on meurt. Nous ne sommes que des témoins fugaces de l’univers, dont nous sommes autorisés à contempler une microscopique partie, ignares de tout le reste. Il faut nous envisager comme de simples ritournelles : des petites mélodies qui passent, plus ou moins harmonieuses, populaires ou détestées, mais en réalité souvent ignorées. Les plus chanceuses de ces chansons traîneront encore un peu dans la tête des gens même quand elles seront passées de mode, mais elles finiront bien un jour par s’envoler définitivement.
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