Ma mère me poursuit dans la chambre, le flan à la main en criant toujours :
- Tu vas bouffer, tu vas bouffer? Tu vas voir si tu ne vas pas le bouffer! T'as joué avec lui pendant dix minutes, maintenant, c'est moi qui joue avec toi !
Je la traite de folle, de tarée, de débile, de vieille peau. Je l'insulte avec une volupté mauvaise. "Vieille peau", c'est mon mot préféré. C'est l'insulte qui percute, qui fait mal. Entre un "Fous-moi la paix" et un "Lâche-moi", il y a "Connasse" ou "Salope", ou "Vieille peau". Toujours le même dialogue.
Elle, de son côté :
- Merci, merci beaucoup, toujours aussi gentille à ce que je vois ! Mais qu'est-ce que je t'ai fait? Pourquoi toujours moi? Pourquoi? Je n'en peux plus !
Il y a derrière nous, depuis des années, une accumulation de bagarres et d'insultes, mais aujourd'hui, c'est la guerre, et c'est la première fois que nous en arrivons là. Si loin.
Je ne savais pas que ma mère était aussi inquiète. Je croyais avoir caché suffisamment de choses pour la rassurer. On ne peut pas rassurer une mère en se taisant et en cachant.

J’ai une fille à moi,
Une fille qui m’attend au moment tendre,
Une fille à moi,
Elle est le monde,
Elle est mienne.
Filles de garages, dévêtues…
Arquées, sautées, nées pour souffrir,
Destinées à se dépouiller dans un lieu déserté.
Nous pourrions être si bien ensemble, je sais que nous le pourrions,
Des mensonges, je te dirais d’affreux mensonges.
Laisse-moi te parler du monde que nous inventerons,
Ni entreprise, ni expédition, invitation ou invention.
Nous pourrions être si bien ensemble.
Le temps perdu à attendre est soustrait du plaisir,
Il décapite les anges que tu détruis ;
Les anges se battent, les anges pleurent ;
Les anges dansent et les anges meurent, affolés par ta beauté.
Libère-moi mon amour, libère-moi.
Tu me rends réel.
Tu me donnes la raison d’être des amants.
Tu m’arraches aux souffrances égarées.
Libère-moi mon amour, libère-moi.
Toi seule peux me rendre réel.
Jim MORRISON
C’est peut-être cela que l’on cherche toute sa vie,
Rien que cela, le plus grand chagrin possible,
Pour être soi-même avant de mourir.
Louis-Ferdinand CELINE
« « Maintenant, nous deux, c’est à la vie à la mort. » C’est bien plus tard cette nuit-là que j’ai réalisé pourquoi il l’avait dit en me prenant la main. Ce n’était pas anodin, cette phrase. J’avais cru à une déclaration classique, genre « Je suis amoureux de toi, je veux qu’on reste ensemble, que l’on fasse un bout de chemin tous les deux ». C’était une phrase de mort. Elle m’est restée plantée dans le cœur. Elle y est toujours. »
J'aime l'idée de l'amour. Pas l'acte. Mais l'amour se fait, il ne se rêve pas.
Et puis, j'ai la pilule. Ma mère m'a permis de la prendre à quatorze ans, non par précaution maternelle, en prévision de turpitudes quelconques, mais tout simplement pour régulariser un cycle trop perturbé. Les gamines anorexiques comme moi ont ce genre de problèmes, comme si elles avaient du mal à être femmes. Du mal à vider une assiette, du mal à suivre les lunes, du mal à vivre.
C’est le plus dur. Personne ne pourra comprendre qu’après avoir appris du médecin du centre qu’il était séropositif je l’aie rejoint quand même, aimé quand même. Pas même moi, je ne comprends pas.
La mort me tente toujours comme un galop de liberté sur un cheval fou.
Cet amour-là était à mort. Une volonté, consciente ou non, de détruire, de tuer
Voyou poète, poète voyou. Tendre et respectueux, vulgaire et séduisant, inconnu et pourtant si proche. Homme.