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Citation de Partemps


Hölderlin a même trouvé sa source. C’était le plus facile. L’eau ne manque pas à Tübingen. Au bout du "jardin" coule une fontaine. Les autres l’appellent "Fontaine des Philosophes". Lui, l’a baptisée "Castalie". Apollon et ses muses règnent désormais sur les lieux. Les mots suivront. Reprenons la lecture : une rivière, un haut platane, une source claire, une brise légère. Le décor est reconstitué, ici, sur la rive du Neckar. N’a-t-il rien oublié ? Quel parfum dans l’air ? Quelle musique à l’oreille ? Socrate est précis, pourtant : l’endroit est "tout embaumé" Quelle est donc cette odeur ? Quel est cet arbre "élancé", "en pleine floraison", qui "fournit une ombre si délicieuse" à Phèdre et à Socrate ? Un gattilier. Un gattilier ? A quoi ressemble un gattilier ? Agnus-castus dans les livres de botanique. Agnos dans la langue de Platon. Agnos reste énigmatique. Faut-il le rapprocher d’"agneia", la pureté, ou bien d’"a-gnoia", l’ignorance ? L’origine demeure incertaine. Quant à cactus, il serait une traduction de hagnos ou hagios (sacré), qui aurait dérivé en chaste. Le chaste et le sacré se seraient fondus l’un dans l’autre. On dit que les femmes grecques, lors des fêtes des Thesmophories, avaient coutume de couvrir leur lit de branches d’agnos afin de demeurer chastes. Le pouvoir du gattilier ne semble donc pas se limiter au délice de l’ombre qu’il projette. L’agnos procurerait l’agneia. Achevons notre description : "arbrisseau à feuilles caduques à la senteur agréable de un à trois mètres de haut" - des feuilles "palmées", formées de cinq à sept pétioles. Et ses fleurs, si odorantes, ont-elles une couleur ? sont-elles blanches ? ou mauves ? ou roses ? ou d’un bleu pâle ? Il semblerait que toutes ces couleurs soient possibles. Hölderlin a-t-il demandé à Vergo de lui décrire un gattilier ? de lui définir son parfum ? Qu’est-ce qu’un air "embaumé" pour ses narines ? Qu’est-ce qu’un air embaumé sous un bois de platanes ? Le poète est "grisé". Parle même de "nectar". Le gattilier a peut-être un parfum de troën, de rose, de seringa, que sais-je... Parviendra-t-il à communiquer à son Hypérion une "étincelle de cette douce flamme" ? Une flamme si chaude, si brillante. Le gattilier donne de la joie et libère la pensée. Le dialogue peut se poursuivre au "son harmonieux des cigales". Les cigales ? Comment chantent donc les cigales ? Les cigales habitent le grand Sud. Pas de concert à Tübingen. Que peut-il entendre, en lisant ? Quel oiseau ? Quelle sauterelle ? Quel grillon ? La lecture se poursuit en silence. Sous le platane et le gattilier, Socrate conte la légende des cigales. Il est midi à Tübingen, comme à Athènes. Hölderlin écoute. Avant la venue des Muses, le monde était un monde sans cigales. Les hommes buvaient, mangeaient, se reproduisaient -sans chanter. Certains s’en contentaient. D’autres espéraient de plus vifs plaisirs. C’est pour eux que les Muses vinrent au jour. Terpsichore les charma, Calliope les ravit, Euterpe les grisa. Ils en perdirent la soif et l’appétit - et s’éteignirent dans la joie. De leurs esprits extasiés naquirent des créatures qu’on n’avait encore jamais vues sur cette terre : des êtres capables de chanter au soleil, sans boire ni manger, jusqu’à la mort. Les autres hommes les nommèrent cigales. La cigale est une enchanteresse enchantée. Phèdre et Socrate sont comblés : l’oeil, par la majesté du platane, le nez par le gattilier, la peau par la douceur de l’air, l’oreille par le chant des cigales... et les pieds par la fraîcheur de la source. Hölderlin se souvient encore de cette mémorable journée où ils étaient allés déjeuner à l’Auberge de l’Agneau. "Ils", c’est-à-dire Magenau, Neuffer, et lui. Les trois membres de la "Ligue des Poètes". Auparavant, ils avaient traversé le jardin au bord de l’eau et s’étaient arrêtés devant la fontaine, sa fontaine de Castalie ; là, "ils s’étaient lavé le visage et les mains" avant d’entonner l’Hymne à la Joie de Schiller. Hölderlin avait "les larmes aux yeux." Magenau s’en souvient. Magenau l’a écrit.
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