Béatrice Leroy

Le 31 mars 1992, le roi Juan Carlos d'Espagne s'est rendu dans la grande synagogue de Madrid, a demandé le pardon au Grand Rabbin au nom de ses ancêtres, et a abrogé l'édit d'expulsion du 31 mars 1492. Des cérémonies juives et judéo-chrétiennes se sont déroulées dans toute l'Espagne, commémorant le triste exode qui s'était passé cinq cents ans auparavant, notamment à Tolède où venus du monde entier se rassemblèrent tous ceux qui portent le nom de Toledano ; ils y reçurent les clefs de la ville. Des torches furent allumées et gagnèrent les pays d'accueil de 1492, le Maroc, l'Italie, la Grèce, la Turquie, la France, l'Angleterre, la Hollande... sept havres pour les juifs d'Espagne au long des XVI et XVII e siècles.

Il s'agit d'évoquer un royaume, qui n'a vécu comme tel, dans son indépendance, que du IXe au XVe siècle ; mais son histoire, dans ces six siècles, est d'une grande originalité, tous les peuples de l'Occident semblent y avoir laissé des représentants et beaucoup de temps forts de l'Histoire s'y sont déroulés. Les voyageurs actuels, qui prennent le Camino de Santiago, et qui suivent les fêtes de la Saint Firmin à Pampelune, savent-ils tous que des Français ont régné en Navarre, ont cultivé la vigne et tissé le drap dans les cités du royaume, que des Anglais s'y sont battus et aussi chanté sur la harpe, que des Allemands y ont travaillé dans les mines, que des gens du Hainaut et de Flandre venaient sculpter pour les rois, que des Musulmans et des Juifs vivaient sans heurt dans les murs de Tudela, de Pampelune, d'Estella ?

Les hérétiques arrêtés sont "questionnés" à l'eau, au chevalet, à la corde ; s'ils avouent, ils sont condamnés, selon leur faute, au port du sambenito, un scapulaire jaune brodé de croix ou de signes particuliers, et qui sera toujours suspendu avec leur nom dans la nef de l'église pour que la mémoire de s'en perde pas ; ou seulement à une amende, à la prison, ou au "mur" (l'enfermement à vie). S'ils refusent d'abandonner leur judaïsme, ils sont livrés au bras séculier, au bûcher. L'auto da fe, l'acte de foi en portugais, est la cérémonie publique de la lecture de leur sentence, suivie de leur procession en ville, portant sambenito et bougie allumée; enfin de leur mise à mort par le feu.