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Citation de lilianelafond


Les orphelins n'ont d'histoire que celle inventée par les autres. Aussi devaient-ils inventer la leur. Pendant des années, il se raconta toujours la même : un petit homme bossu avait accompagné son enfance. il revenait des foires avec des surprises plein les poches, des jouets fabuleux, des bonbons au goût inoubliable. De nature loquace, toujours gai, il était reconnaissant à quiconque lui confiait une vieille casserole, une marmite trouée à réparer. Bien loin d'être "un beau brin de Tsigane", non seulement il était bossu, mais il boitait et son visage était profondément laid. Un jour, à l'occasion d'une noce, il avait retapé deux chaudrons en cuivre pour cinquante forints. En sus de cette somme énorme, il avait également reçu deux petites oies chétives, qui tenaient à peine sur leurs pattes.
"Prenez-les, brave homme, je n'ai pas le coeur à les supprimer", lui avait dit sur un ton larmoyant la future maîtresse des lieux, puis incidememnt elle avait ajouté: "il ne faudrait pas qu'elles nous contaminent les autres!"
Sur le chemin du retour, il avait acheté du pain frais, de l'andouillette, des fritons - un plein panier de victuailles. En ce soir-là, dans leur maison - une frêle construction en torchis, située à l'écart, loin de l'îlot, au bord d'une fosse de déblai –, ils n'avaient manqué de rien. Le dîner terminé, ils avaient dansé: Pommesauté avait joué du pipeau et Nani chanté ce qui resterait pour lui les plus belles chansons du monde; il avait dansé, rejoint ensuite par son père, et ils avaient tournoyé sur les airs de Nani jusque tard dans la nuit, puis gagnés par la fatigue, ils s'étaient couchés tous les cinq, les deux petites oies faisant désormais partie de la maisonnée. Les semaines étaient passées. L'automne était arrivé, avec ses nuées de corneilles, puis la joie régnait sous leur toit. Par miracle, Pommesauté avait découvert qu'il était également possible quand l'ouvrage venait à manquer de gagner sa vie autrement que par la chaudronnerie. Il tressait des paniers pour les fermières, confectionnait des paillassons pour les bâtiments publics ou les églises. Pendant ce temps, les oies, qui ne dépérissaient plus, engraissaient, s'étoffant au fur et à mesure que Noël approchait.
"Est-ce qu'elles vont pondre?" demanda Gereben un matin tout en les caressant pendant que son père renouvelait la paille de leur litière. "Elles pourraient pondre si elles le voulaient?
– Bien sûr, mon petit, seulement elles n'en auront pas le temps, répondit le chaudronnier d'une voix douce. À Noël, elles vont se transformer en jolis fritons."
Et ainsi en aurait-il été, si un événement n'était pas survenu...
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