Le désir est-il le nouveau nom de l'amour ? L'écrivaine et essayiste Belinda Cannone nous parle des métamorphoses de l'amour dans son dernier ouvrage, "Le nouveau roman de l'amour" (Stock).
Ton désir est toujours déraisonnable. Qu'y faire ? Lorsqu'il doit s'absenter pour voyager, tu lui écris : " S'il te plait ne pars pas si longtemps. Une semaine, je m'efforcerais de l'apprivoiser, mais trois sont au-delà de mes forces. Ne pars si longtemps. Si tu veux, je serai ton Afrique, tous tes animaux, tes lions, tes antilopes, ton ciel de feu, tes rochers brûlants, ta montagne royale, tes serpents silencieux, ta pluie bienfaisante, tes ravines perdues, tes pierres d'anciens volcans, tes peintures secrètes, tes galops, tes sueurs, tes fatigues et tes repos. Je serai ton Afrique.
Il te désire. Alors tu retrouves cet état bienheureux de l'enfance, quand tu croyais sans avoir besoin de te le dire que tu étais l'enfant la plus merveilleuse du monde, car c'est ainsi que te regardaient tes parents. Tu ne le pensais pas avec des mots, à peine en avais-tu conscience tant cela allait de soi. Prise dans le regard désirant de l'homme pareillement, tu n'interroges jamais ta beauté ou ta séduction, tu ne les mets pas en doute : tu es la plus belle femme du monde pour cet homme, et pour le temps de votre désir.
Quand tout interdit aura disparu, restera notre tremblement émerveillé devant la nudité.
Nous deux. Comme des bêtes à antennes qui s'approchent l'une de l'autre, hument, palpent, tournent, antennes contre antennes, se dégagent, s'approchent encore, reculent. Déjà fini ? On n'a rien vu rien compris du délicieux abîme où nous entraîne la rencontre. Recommencer. Et les bêtes se frôlent, s'écartent puis reviennent, s'envisagent, murmurent et fourmillent de fastueuses pensées, aussi floues que détailleuses.
L’autre fois (le printemps), je me promenais dans une belle ville, très animée, et j’observais des centaines de touristes en train de s’autophotographier, à bout de bras ou d’une longue baguette étudiée pour. Cette furie des selfies est troublante. Si la meilleure position pour voir le monde et en jouir est hors de soi, pour les adeptes du selfie, la perception de l’émerveillement est exclue.
226.
Aller au-delà de la frontière, se réfugier dans l'univers de la chambre, pour inventer votre intimité.
Si tu écrivais un éloge de l'intimité, tu y vanterais la pudeur, qui permet d'être nu, tu y louerais le secret, quand il isole et unit deux amants, tu évoquerais la plainte de sa jouissance sonnant pour tes seules oreilles et le gémissement qui accompagne la joie d'étreindre, tu décrirais les yeux de qui est éperdu, le sourire de pénombre flottant sur ses lèvres à toi seule destiné...
109.
Dans le lit. L'après-midi glisse entre paroles, rires, frottements des corps nus, étreintes, baisers. Temps perdu. Tu penses à deux vers simples de Roberto Juarroz : Aujourd'hui je n'ai rien fait / Mais quelque chose s'est fait en moi. La lumière qui perce le rideau annonce le printemps.
Il faut s’arrêter devant le réel, et cet arrêt seulement rend possible l’émerveillement.
Cette poésie qui déjoue nos façons d'entendre les mots, qui les démembre puis les réassemble pour les faire sonner selon d'autres réseaux d'autres significations, que provoque-t-elle en moi, sinon l'émerveillement ?
S'émerveiller résulte souvent, devant la beauté du monde comme devant l'invention artistique, d'une déroute de nos habitudes. (p. 105)
On écrit pour apprendre ce qu’on pense, et pour penser enfin jusqu’au bout ce qui végète, inabouti, en soi. C’est pourquoi je me représente toujours l’écriture comme un déploiement.