
– Shelley est un peu vieux jeu mais c’est un bon policier, vous savez ? Simplement, le dernier cadavre qu’il a rencontré doit être celui d’une bouteille de Château Margaux 1945 chez le duc de Windsor. Jusqu’à présent, on faisait surtout appel à lui quand il y avait des petits soucis dans le grand monde. Quand le fils du duc de Warwick a été accusé d’avoir violé une petite femme de chambre, Shelley a été parfait en prouvant que, bien qu’elle dormît – et sans doute sous l’emprise de l’alcool –, la demoiselle était indubitablement consentante. Quand une célèbre présentatrice de télévision, Nigella Lawson, a été accusée de détourner des fonds de la société de son ex-mari, vous savez le célèbre publicitaire Charles Saatchi, c’est Shelley qui a réussi à dénouer un paquet de nœuds et c’est encore lui qui a enquêté sur la disparition du plus petit nénuphar du monde. Mais faire appel à Shelley pour enquêter sur un corps démembré, jeté sur une berge de la Tamise, c’est une jolie marque d’humour, je dirais, de la part du chef superintendant Forsythe. C’est comme si vous demandiez à la reine de vous commenter un match de boxe. Au demeurant, si l’on peut reprocher beaucoup de choses à Shelley, ce ne sera ni la précision ni la procrastination.

Elle défroissa sa chemise, la tira sur ses genoux, sonna à la porte.
Effrayée, elle eut un mouvement de recul quand une cloche fêlée se mit à sonner quelque part. La porte ne bougea pas. Les volets restèrent clos. Alors, elle entreprit de faire le tour de cette grande ferme isolée, qu’on appelle hofstede par ici. Un grand carré de murs aveugles, de briques rouge sombre, sur lesquels poussaient des rosiers sauvages et de l’aubépine. De l’autre côté, à l’opposé de l’entrée de la maison, un grand portail, bleu lui aussi, n’avait pas été ouvert, depuis des années.
Elle continua de longer le mur d’enceinte.
Masqué par un rouleau de ronces, un soupirail était resté ouvert. Elle se griffa et se brûla les jambes, les bras, les mains. Mais se coula, fluette, par l’orifice béant, non sans avoir éparpillé son ultime poignée de poivre. Avec un peu de chance, elle pourrait s’abriter là pour la nuit. Voire quelques jours.
Elle déchira sa chemise de nuit en se laissant avaler par la meurtrière. Il y avait trois caisses en dessous, du solide, qui faisaient une sorte d’escalier, contre le mur. La cave était haute sous plafond. Et spacieuse.
Tous les sens de la jeune femme vibraient, aux aguets.
Le bourreau n'est jamais en face de vous, disait l'un de ses professeurs, pas plus que le monstre de l'enfance ne se cache sous le lit, en fait il est en vous, et il attend le moment où vous serez le plus fragile pour vous soumettre à la question.
Jacks. Benoit Chavaneau
- En fait, si tout s'était passé comme prévu, je crois qu'aujourd'hui tu serais avec ton frère. C'est pour cela qu'il y a deux pièces : une pour Henri et une pour toi. Seulement voilà, ce jour-là, le maître t'a gardé en retenue et tu es sorti une heure plus tard. C'est cette punition qui t'a sauvé. Bref dans ton malheur, on peut dire que tu as eu de la chance.
L'enfant s'accouda aux côtés du policier,
- Vous pensez vraiment que c'est une chance ?
p. 216

Agitation sur les berges de la Tamise où un sac poubelle renfermant les restes d’un corps démembré a été retrouvé. Dépêché sur place par Scotland Yard, l’élégant inspecteur Shelley rencontre avec surprise sa nouvelle équipière : la Française Marie Altbauer, consultante stagiaire en martyrologie. Après un échange volcanique, l’enquête débute. Le médecin légiste est formel, la victime a été disséquée vivante. La coupe est précise voire professionnelle. Selon Altbauer, ce geste vise à l’humiliation ultime du supplicié. Peu après, un deuxième puzzle humain est déniché près du Millenium de Londres. La tuerie fait planer le spectre de Jack l’Éventreur au-dessus de la capitale anglaise. Il est temps pour la spécialiste d’établir le profil de bourreau. Et de l’empêcher de recommencer.
***
En écrivant « Jacks », qui aurait pu s’appeler Jack mais je ne vous dirai pas pourquoi (sourire) , j’avais l’ambition de travailler à ma manière sur cette figure imposée du « patinage artistique littéraire en matière de roman noir »: Je voulais produire un roman sur Jack L’éventreur puis l’accompagner d’une partie documentaire personnelle.
Des centaines de romans et autant d’essais ont été écrits sur le plus mythique des tueurs en série ( il en sort trois par an rien qu’en anglais depuis les années 70) , j’en ai lu beaucoup, j’en ai annoté quelques uns, avec cette sensation de lire souvent la même chose comme si ces centaines de ripperophiles avaient tous cherché leurs clefs sous le même réverbère, alors que l’essentiel se trouvait ailleurs. Beaucoup ont prétendu démasquer Jack , pour ce faire ils ont découpé au ciseau les pièces du puzzle pour les faire entrer absolument là où ils voulaient qu’elles rentrent! Alors elles sont plus ou moins rentrées. L’exemple le plus fameux de cette manie est celui de Patricia Cornwell.
Mais ce faisant, on n’ a jamais cherché dans les nombreuses zones d’ombres qui environnent encore l’Éventreur: Quel est son mode opératoire? Pourquoi ce passage – de crime en crime – d’un schéma organisé à un schéma désorganisé? De quelle façon l’assassin se déplaçait-il dans cette jungle dangereuse qu’était le Whitechapel de 1888 ( la plupart des ruelles étant trop étroites pour des calèches) ? De quelle manière procédait-il pour prélever des organes dans le noir le plus complet et souvent sous la pluie?
Pendant presque trois ans , l’ex-professeur à L’Insee a fouillé de manière curieuse et méticuleuse enrichissant d’autant le travail du romancier . Et dieu sait que j’en ai fait des découvertes sitôt que je suis retourné aux sources et aux archives d’époque!
« Jacks » est le fruit de cette recherche passionnante et passionnée. Ce n’est pas un roman historique, d’autres auteurs bien plus compétents que moi l’ont déjà fait. C’est un vrai thriller avec ses personnages parfois fictifs, parfois réels, avec une intrigue originale et beaucoup de suspense. Et tout cela en mettant très haut les exigences en matière de style.Car seul compte votre plaisir.
Jacks est un roman original au terme duquel j’aimerais que vous vous disiez : » oui! ça a dû se passer comme ça, nécessairement. »
Benoît CHAVANEAU
DEDICACES JACKS .
je dédicacerai Jacks le 5 NOVEMBRE à la Librairie Henri IV à l'issue d'une petite conférence rendant compte de mes derniers travaux sur Jack l'Eventreur . (15 Boulevard Henri IV 75004 Paris)
Les 19et 20 Novembre, je serai présent au Salon du Touquet.

La fillette eut un regard plaintif.
— Quand est-ce que je pourrai sortir ?
— Pas aujourd’hui. Il y a de l’orage. Demain peut-être.
— Alors je suis un petit oiseau en cage, fit l’enfant grave.
— D’une certaine manière, oui.
— On a un canari à la maison. Mais papa dit qu’il faut bien faire attention quand on nettoie la cage. Car s’il s’envolait dehors il mourrait.
— Oui. Il y a des oiseaux faits pour voler dehors et d’autres pour chanter dans une cage.
— Et moi je suis un canari… épilogua Isabelle.
— Oui, un joli petit canari.
Il se saisit du pot de chambre de la fillette, déverrouilla la porte de la cabine qu’il referma soigneusement.
Puis il revint dans le carré. En fait, c’était juste un vaste reu avec une marquise et le poste de timonerie mais Vermeer aimait le mot de carré qui donnait à son bateau quelque chose d’une caravelle ou d’une goélette. Il se servit une assiette. Et écouta le bruit de la pluie. Après avoir mangé un morceau, il alla chercher le plateau d’Isabelle, lui rendit son seau d’émail et lui souhaita un bel après-midi. Elle avait prévu de lire et de dessiner. Comme une enfant malade qui doit garder la chambre. Bien sûr, l’homme lui ferait plusieurs visites, à l’improviste, à la manière d’un garde-chiourme. Bien qu’il serve les repas à heures fixes, il s’efforçait d’être imprévisible, toujours, et de rester parfaitement calme, quel que soit le comportement de l’enfant.
Les libellules ponctuaient la surface du canal à petits pas de ballerines. Accoudé au bastingage arrière de la Médée, Vermeer se laissait fasciner par les insectes légers quand un gros poisson luisant jaillit hors de l’eau et happa goulûment l’une des demoiselles.
— Pas de chance, soupira Vermeer. Tu volais trop bas. Ou c’est ce foutu poisson qui saute trop haut. On est toujours la libellule de quelqu’un qui saute plus haut que vous. Ou la carpe de quelqu’un qui vole trop bas.
Madame Lucienne remplit son cahier et la Médée s’ébranla. La péniche franchirait plusieurs centaines d’écluses entre les Flandres et le Canal du Midi et, à chaque fois, de façon rituelle, l’homme cacherait l’enfant. Du moins sur le trajet aller. Car, au retour, l’enfant ne serait plus là.
– Comme vous le savez tous, je ne suis pas profileuse ni psychologue. Moi, mon domaine c’est les supplices, et tous les moyens de donner la mort.
– Il doit s’amuser votre chéri ! lança un autre homme goguenard.
C’était un autre classique quand elle parlait de ses études.
– Je l’espère. Mais le sadomasochisme ne fait pas partie de ma vie amoureuse. Si tant est que j’en ai une.
– Bon, alors, c’est qui ce tueur ? relança le premier policier, un gros rouquin assez nerveux qui se dandinait sur sa chaise.
– Charles ou Elizabeth.
– Pardon ?
– Charles ou Elizabeth… C’est plus facile pour moi de vous donner le nom du troisième royal baby.