Dans le cadre de Masse Critique, je viens de lire un attrayant florilège de textes, pour les cent ans du Tour de France, rassemblé par Benoît Heimermann, grand reporter à l’Equipe Magazine, écrivain, auteur de documentaires et président de l’Association des écrivains sportifs
Dans son introduction, l’auteur revisite l’Histoire du tour de France au fil de ces 10 décennies, ainsi que les plumes célèbres qui l’ont encensé, magnifié..
Auparavant, l’auteur, nous parle avec beaucoup de justesse de l’objet
« Bicyclette », symbole extraordinaire dans l’histoire des hommes….
Une phrase à la première page de l’introduction qui condense à elle-seule l’importance de cet objet, hautement symbolique, techniquement et humainement : « Deux apprentissages prioritaires occupent l’enfant à l’aube de son plus jeune âge : maîtriser l’écriture et maîtriser une bicyclette » (p.9)
« Depuis son invention, la bicyclette a été le véhicule privilégié d’un futur prometteur et radieux » (…) « Codicille non négligeable : le vélo jouissait à cette époque d’une cote de popularité exceptionnelle. Vedette de l’Exposition universelle de 1900, la « fée bicyclette » chevauchait les avantages conjugués de la perfection et de l’agrément. (p.12)
Jules Romains admet qu’il « apprend la bicyclette pour apprendre à se conduire dans la vie » (p.13)
L’auteur rappelle les grands noms de la littérature, inspirés par le Tour de France : Albert Londres, Yves Gibeau, Kleber Haedens, Armand Lanoux, Pierre Daninos, Pierre Benoît, Jean-Pierre Chabrol, Jacques Perret…pour arriver au nom incontournable : Antoine Blondin qui entre 1954 et 1982, suivit quelques 27 tours de France, au fil desquels il ne donna pas moins de 524 chroniques à l’Equipe.. « Journal où, à l’entendre, il se sentit plus en confiance qu’au sein de n’importe quel cénacle littéraire » (p.18)
Cette anthologie est présentée en huit parties thématiques, avec à chaque chapitre, des sélections de textes d’écrivains, avec une brève notice biographique pour chacun.
I-Tour d’Enfance
II-Campionissimo [sur les grands champions de la route, depuis 100 ans]
III-Qui m’aime me suive [Le Tour est un compagnonnage, avec son noyau d’assidus]
IV.La kermesse héroïque [3 semaines de fête, de mythes et légendes]
V. C’est mon tour [Les chantres du Tour ne sont pas que des spectateurs, mais souvent, de purs pratiquants qui sacrifient au culte de la petite reine]
VI. Les femmes aussi [Le Tour est misogyne-Quelques pionnières ont accompagné le Tour, et en ont fait des chroniques ]
VII. Drôles de drames [ Le Tour en dehors des enthousiasmes et des victoires, ne va pas sans accidents, tricheries, et mensonges]
VIII. Le Tour est un roman [« Le Tour est une fiction sans cesse recommencée »]
Il y aurait mille choses à citer, souligner dans cette anthologie, j’ai opté, par parti pris, je l’admets, de parler des noms de la littérature, plus confidentiels…Au départ, je souhaitai, mettre en exergue le chapitre consacré aux plumes féminines : Colette, Gabriele Rolin, et Annie Ernaux, mais les textes sont décevants, sauf celui de cette dernière, qui a servi de préface au Tour du Tour par trente-six détours, de François Salvaing, 1990
-Le mercredi 26 juin 1963, un jour gris et moite, le Tour de France arrive à Rouen. Une étudiante- c’est moi-, écrasée par la fatigue des examens, se réveille à 17h 30 dans sa chambre de la cité universitaire. A ce moment, tout l’absurde de l’existence se résume à ceci pour elle : elle vient de rater ce qui a été le grand désir de ses quinze ans, voir passer le Tour de France.
Nous sommes des millions à avoir des moments de notre vie inséparables du Tour. Bobet, Anquetil et les autres font partie de notre mémoire, de notre imaginaire, de nous-mêmes. Source de rêves et d’émotions, ils nous ont d’une façon ou d’une autre, à un moment, aidés à vivre. C’est cela même qui définit une culture. Le Tour de France a été, demeure, l’épreuve sportive la plus populaire. (…)
Le Tour de France est comme l’accomplissement extrême de cette humanité. Il devient donc épopée. L’espace se fait géographie (…) Le temps se fait histoire, étape après étape, celle d’une communauté d’hommes, avec ses luttes internes, ses drames, et le dur désir de durer dont parle Eluard, de durer jusqu’au bout au moins, de gagner, peut-être.-
Parmi les artistes que j'ai découverts, Paul Souchon (1874-1951)- Poète et dramaturge qui a voué sa vie à Victor Hugo, et à sa maison-musée de la place des Vosges, dont il fut longtemps le conservateur . je choisis de citer
quelques strophes d’une de ses poésies : « Compagnons du Tour de France » [Les Chants du stade-1923]
Naguère, la canne à la main,
Le baluchon sur les épaules,
Les Compagnons, sur le chemin,
Sifflotaient à l’ombre des saules.
Nous sommes d’autres compagnons,
Mais, esclaves d’une machine,
Nos mains se crispent aux guidons
Et nous courons, courbant l’échine
(…)
La route ! Nous la conquérons
A chaque coup de nos pédales,
Avec elle nous pénétrons
Dans les villes aux belles dalles.
(…)
Enfin, là-bas, voici paris
Qui nous attend au bord du fleuve
Ses applaudissements fleuris
Sont la couronne de l’épreuve.
Offrons-lui, vaincus ou vainqueurs,
Gonflés de joie et d’espérance,
Les derniers efforts de nos cœurs
Où palpite toute la France.
Cette anthologie de par sa variété, son éclectisme devrait contenter un grand nombre de passionnés du Tour de France et de la littérature, avec la découverte d’auteurs moins médiatisés : Jean Meckert, James Waddington, François Bott, Olivier Dazat, Jacques Sternberg, Christian Laborde, Ludovic Janvier (poète et auteur de deux études sur Samuel Beckett),etc. et des extraits d’œuvres aux tons les plus colorés.-Ce florilège est enrichi de deux bibliographies.
J’achève sur les lignes enthousiastes d’Aragon parues dans Ce soir, juin 1947.
-Le Tour…c’est la fête d’un été d’hommes, et c’est aussi la fête de tout notre pays, d’une passion singulièrement française : tant pis pour ceux qui ne savent en partager les émotions, les folies, les espoirs ! Je n’ai pas perdu cet attrait de mon enfance pour ce grand rite tous les ans renouvelé. Mais j’ai appris à y voir, à y lire autre chose : autre chose qui est écrit dans les yeux anxieux des coureurs. La leçon de l’énergie nationale, le goût violent de vaincre la nature et son propre corps, l’exaltation de tous pour les meilleurs…-
Avant ma lecture, j'avais quelque réticences, n'étant pas une inconditionnelle du cyclisme...mais cette anthologie, comme ce type de florilège, offre le plaisir de découvrir sur un sujet de prédilection, des points de vue, des perceptions, des écrits d'époques et de tons, très variés, qui nous font faire de jolies découvertes...Ceci au fil d'une lecture, qui n'est pas obligatoirement linéaire, nous permettant de vagabonder, piocher au fil des humeurs et des envies
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