Citations de Bernard Berrou (68)
Et ma vie danse aussi.
Car en Bretagne, le soleil a du tact : il n’impose ni sa tyrannie ni son ennui. Cet ennui du soleil punaisé sur un ciel bleu n’est pas pour nous.
Je préfère un ciel gris, riche en lumière en Bretagne, à la monotonie du soleil partout ailleurs.
Et quand je suis loin de ces lumières de Bretagne, tout devient sombre pour moi et je m’éteins.
‘'Lumières’’ – Stéphane Hoffmann
Le millefeuille du Faou
Philippe Le Guillou
Oui, ce gâteau mémoriel porte bien son nom, authentique feuilleté d'archives intimes, grimoire aux feuillets épars, tabernacle d'un royaume d'arbres et d'eaux, de forêts et de vagues, à l'exacte suture de l'Armor et de l'Argoat. Et, si le millefeuille, au glaçage rose, de feu Bernard Postollec reste pour moi une merveille inégalable et à jamais perdue, ses indignes avatars ont, malgré tout, un mérite : celui de restituer magique et intact, le mystère de mon enfance au Faou.
Collines raisonnables, baie profonde, forêts, vallons, patchwork de prairies, contrastes étourdissants entre terre et mer, il n'en faut pas plus pour éprouver une émotion paysagère sans nuances. Quand elle se décline avec tant de générosité, la géographie est une belle et chère compagne qui nous conduit naturellement vers l'exaltation du temps poétique.
...le mot Portugal se posait dans mon esprit comme un point d'appareillage vers les cinq océans, un pays regroupant les portulants, les astrolabes, les caravelles, les abris de grands navires de croisière.
La peinture est bien une affaire mentale. L'abstraction d'une oeuvre ne se mesure pas à son degré de ressemblance avec la réalité extérieure, mais par ce que l'artiste transmet de personnel en y apportant tout ce qu'il a de plus profond en lui, ses désirs, ses sensations, ses pulsions, ses frustrations, ses faiblesses, ses espoirs...
L'occasion d'observer les petites choses qui nous environnent devient de plus en plus rare, l'écoute du silence de moins en moins possible. A tous ceux qui souhaitent réveiller l'imaginaire qui sommeil en eux, je conseille de commencer par voyager dans leur jardin, s'ils ont la chance d'en posséder un. C'est un voyage sans tapages et sans trop de rêves déçus. Il coûte moins cher que d'aller en Patagonie, et l'on risque pas d'être énervé par les attentes aux aéroports et les formalités de douane.
L'artiste qui croit se réaliser à l'intérieur d'un cocon ne sera jamais un créateur. Il lui faut à tout prix se replacer sur une lisière qui touche à l'incertitude sous peine de mentir à lui-même. Le tableau peut naître de la lutte du peintre contre ses propres faiblesses. C'est le seul élan prometteur.
Je fais partie de ces voyageurs solitaires qui s'épanouissent dès que le sol s'élève et que s'élargit l'horizon.
Je crois beaucoup aux endroits qui ne sont cités dans aucun guide, à tout ce qui échappe aux clichés.
Comme le menhir de Penhap sur la lande
Gilles Martin-Chauffier
Avant que l'île aux Moines ait son église, la légende raconte qu'on suivait à la jumelle l'office de celle de l'île d'Arz qui hissait des drapeaux pour l'offertoire, la consécration et la communion.
L'influence des paysages sur le corps et sur l'esprit est inaliénable, mais sans l'émotion qui nous étreint, un paysage n'existerait pas. Ce qui importe, c'est moins ce que l'on découvre que l'état dans lequel on se trouve quand on regarde.
On est sous le choc, surpris par la forêt de Névet qui nous fait face. Elle se présente comme une barre naturelle impénétrable dont on ne mesure pas les limites. Impossible d'évaluer son étendue, car il faut garder à l'esprit qu'elle se prolonge au-delà de Locronan par la forêt du Duc. "Aux portes de l'aventure !", me dis-je, en aiguisant mon regard sur un horizon d'arbres, un bloc compact sans brèche ni clairière, un obstacle végétal sans vie apparente, mais doté d'un extrême pouvoir hypnotique. Etrange sensation dans une ivresse prometteuse, associée à un malaise diffus : voilà qu'à la nuit tombante, dans notre bouillonnement intérieur et l'angoisse de l'inattendu, se réveillent des contes peuplés d'ogres et de génies. On se rappelle de bestiaires illustrés, on se met à rêver d'égarements fabuleux sur des chemins forestiers.
Qui a lu "Ulysse" de Joyce n'arpentera pas les rues de Dublin de la même manière qu'un visiteur accroché à un guide touristique.
Si les visages sont le reflet de notre âme, l'âme possède une infinité de visages.
Le granit breton, on ne le dit jamais assez, est un rappel du climat historique dans l'ordre du temps que nous ne datons pas avec précision, mais il figure la marque vivante d'un tempérament inaltérable. Preuve nous est fournie par la devise inscrite en première page du bulletin municipal : "Il vaut mieux chanter sur un tas de pierres que de pleurer sur un tas d'or."
C'est dans les parages de Peumerit, sur ces vieux sols du commencement, avec vue sur baie, que j'ai parfois rêvé de poser mon sac afin de goûter une ascèse sans modération, proche de l'ivresse, vivre dans une paix souveraine où rien ne se passe. Une vie à l'ancienne, désenchantée, nourrie de marches vers la mer, de lectures essentielles et d'ennui fertile, un quotidien sans éclat, aux habitudes semi-rustiques, qui aurait pour corollaire un retour aux origines en écoutant la rumeur d'éternité du grand ouest.
Pour bien connaître la Bretagne, il fallait que je cultive à tout moment l'art de la déviation.
"Le jeudi, j'allais à la grève même par temps maussade, me promener, courir sur les rochers, affoler quelques crabes dans leurs trous d'eau de mer, mer emprisonnée lors du reflux. Surtout, je cueillais les berniques. Quelquefois, je les ramenais à la maison où nous les mangions avec du pain et du beurre. En général, je les croquais, toutes crues, sans rien. Cette cueillette était simple : soulever le goémon où la bernique était cachée (les meilleures car à l'abri du soleil donc les plus fraîches, dans les deux sens du terme), un coup de couteau pour la décrocher du rocher puis un autre pour la décoller de sa coquille et hop ! sous la dent."
La Bretagne, pour moi, c'est Concarneau - Jean Picollec
Avant Goulien, j'ai vu tout à coup un chevalier errant progresser dans le soir. Il ne portait pas de justaucorps de drap fin, mais avait revêtu un bleu de travail délavé. Pas de heaume sur le crâne, juste un béret basque. Non plus de bouclier fixé à son bras, ni de lance à la main, mais c'est bien Don Quichotte que je voyais en chair et en os. Il donnait des éperons à un cheval décharné, haut sur pattes, qui trottait résolument vers les éoliennes. Les raisons de s'attaquer à ces géants ne devaient pas lui manquer. Deux cents mètres plus loin, j'ai compris où il se rendait. Un troupeau de vaches broutait autour des éoliennes dans un enclos vaste comme six terrains de football. A part ça, la campagne est à peu près complétement vide. Le mérite des éoliennes de Goulien est de ventiler l'atmosphère en dispersant instantanément le méthane dégagé par le pet des vaches, pour un résultat final qui ne change en rien le réchauffement climatique.
A cette époque l'oeil était affûté pour l'ombre. Le temps paraissait plus long dans l'ombre et le remplissait de milliers d'instants qui nourrissaient la vie intérieure. De l'obscurité pouvait naître une sage hébétude. Alors la lueur vacillante de la lampe à pétrole ou celle dansante de l'âtre apprivoisaient les ombres et rassuraient les âmes sensibles.