Citations de Bernard Friot (II) (102)
La pension relève du droit du travail : elle n'est ni un patrimoine relevant du droit de propriété, ni une allocation relevant du droit de l'aide sociale.
Tous titulaires de notre salaire et de notre outil de travail : chaque personne, à sa majorité, doit être dotée de la capacité de maîtriser son travail et de contribuer effectivement à la souveraineté populaire sur la valeur économique.
Aucune puissance économique ou politique ne peut réduire ou supprimer la pension, ni imposer aux retraites des tâches qu'ils ou elles ne veulent pas faire. C'est une expérience formidable d'autonomie populaire par rapport au patronat et à l'État capitalistes.
Gagne-pain et gagne-temps libre, le travail est pour celui qui l’exerce un moyen pour autre chose que son objet.
Sortir de la soumission libérera l'énergie nécessaire pour faire de la politique.
Ce n'est pas parce que j'aurai et que tu n'auras pas que je serai solidaire avec toi. Cette forme extrêmement violente de la solidarité accepte que l'autre n'ait pas et le définit par son manque. Tout autre est la solidarité salariale : je serai solidaire avec toi parce que nous serons coresponsables de la production de valeur, coresponsables du niveau de salaire moyen, coresponsables des choix dans ce qui va être produit et dans l'exercice du travail concret, coresponsables dans la définition des limites de la monnaie, coresponsables de l'effectivité de la carrière salariale de chacun.
Nous devons pouvoir déployer nos vies dans un large espace public libéré du capital.
La médiation de la valeur, du travail abstrait, de la monnaie permet d'objectiver le pouvoir, de le tenir à distance, de le sortir de la gangue d'un rapport social de parenté, de voisinage, de statut de naissance, naturalisé. Penser qu'en renonçant à reconnaître quelqu'un comme producteur (et donc par de la monnaie) on le reconnaîtra comme personne, c'est oublier que les personnes ne se baladent pas dans la nature, elles non plus.
L'égalité, la justice et la solidarité sont des moteurs décisifs d'une mobilisation populaire, mais il s'agit de leur donner une toute autre pratique et de tout autres objectifs, en les vouant non pas au partage de la valeur, mais à l'émancipation de sa production.
Mais vivre de son travail n'est pas cet absurde "ne rien devoir à personne" revendiqué comme un idéal. Travailler est toujours une aventure collective pour financer l'investissement, trouver des fournisseurs, des partenaires, écouler la production, améliorer le processus de fabrication. Penser que chacun va s'en tirer grâce à son travail est une illusion. Les groupes capitalistes, par exemple, n'existent qu'en s'appuyant sur les marchés publics.
L'emploi, c'est l'origine du chômage puisque, dès lors qu'on qualifie un poste et non pas une personne, toute personne sans poste va être chômeuse. Alors que si on qualifie les personnes, on leur attribue un salaire à vie. On reconnaît que c'est la personne qui est en capacité de produire de la valeur économique, et non pas le poste de travail.
C'est nous qui produisons, c'est nous qui décidons.
Faire société, ça n'est pas seulement organiser la production des biens et des services nécessaires à la vie commune, ce qu'en langage technique on désignera par l'expression "production de valeurs d'usage". C'est aussi affronter la violence dans laquelle cette production s'opère, une violence qui s'exprime dans la valeur économique : la valeur d'échange dans le capitalisme, dont il s'agit de se débarrasser pour une pratique de la valeur libérée de la violence spécifique au capital.
Ce n’est pas la moindre des perversions de la réaction réformatrice (comme il y a une réaction nobilitaire dans le temps qui ont précédé la révolution de 1789) que de nous enfermer depuis trente ans dans un récit de notre histoire collective qui nous voue au non-futur : une opinion fort répandue est que les enfants auront une vie plus difficile que leurs parents. Nous pouvons sortir de ce récit mortifère
L’épargne n’est pas une opération interpériodique de soi à soi par laquelle de la monnaie ou de la valeur sont transférées d’une période à l’autre sous forme de ”revenu différé”, chacun récupérant demain sa mise d’aujourd’hui. L’épargne est un rapport social intrapériodique dans lequel la propriété de titres est une propriété lucrative qui donne à son détenteur le droit de recevoir une partie de la monnaie mise en circulation à l’occasion de l’attribution de valeur à la richesse produite. Qu’on soit en répartition ou en capitalisation, c’est toujours le travail de l’année qui produit la richesse correspondant à la monnaie qui finance les pensions de l’année.
Nul n'échappe par décret ou par volontarisme à la valeur économique. La société n'est pas une addition de communautés, elle affronte la violence économique dont les communautés tentent de s'exonérer.
[...] il faut insister sur la violence du vocabulaire de l'insertion ou de l'intégration.
Ce sont les conflits entre humains qui rendent fragile la coopération avec la nature.
Le fondement politique de la qualification devra toujours être posé contre sa prétendue naturalisation dans quelque critère que ce soit. Bien sûr, il faudra des critères si l'on veut échapper à l'arbitraire, mais leur caractère politique devra toujours être posé, et donc leur évolution toujours possible.
Il est donc décisif pour la bourgeoisie capitaliste, qui a le monopole du travail et qui entend bien le conserver puisque c'est le fondement de sa puissance de classe, de faire admettre comme naturelle, cette séparation des travailleurs des fins et des moyens du travail. Gagne-pain, et gagne-temps libre, le travail est pour celui qui l'exerce un moyen pour autre chose que son objet. Le travailleur est invité à ne lui donner aucun objet en lui-même. Il "fait son travail" au sens où certes il applique son savoir-faire à un travail concret qui produit une valeur d'usage, mais ce n'est pas lui qui l'a décidé et ce qui advient de ce produit concret n'est pas de son ressort, pas plus que le contexte dan lequel s'inscrit la valeur économique qu'il crée. C'est d'ailleurs ce que nous exprimons crûment lorsque, à quelqu'un qui s'étonne du peu de légitimité à ses yeux de ce que nous faisons, nous répondons " je fais mon travail". Traduction : je ne suis pour rien dans ce que je fais. Question : pourquoi est-ce que je le fais quand même alors que j'entends bien vivre dans un pays démocratique ? Pourquoi est-ce que j'exclus le travail de la démocratie? Évidemment, travailler contre ma déontologie me trouble, je "souffre au travail", comme on dit.