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Citations de Bernard-Marie Koltès (195)


Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu, c'est que vous désirez quelque chose que vous n'avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir...
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L’autre jour, il y avait une réception dans la société pour les chefs noirs du village. Toutes ces dames européennes étaient fringuées comme tu peux l’imaginer. Mais au moment de l’arrivée des plats… cela a été une ruée invraisemblable, comme des chiens, de tous les Blancs, et en dix minutes, il ne restait plus rien. Les Noirs et leurs femmes restaient sans bouger dans leur coin. Je me suis enfui devant une telle humiliation. Bichette pleurait de honte. Je deviens foncièrement raciste anti-Blancs…
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« En bref : je me suis trouvé en contact – pour la première fois peut-être, en tout cas d’une manière aussi violente – avec ce qui doit constituer le plus bas niveau de la classe exploitée, ou du moins celui qui m’a le plus bouleversé, sans doute parce qu’ils avaient moins de vingt ans, qu’ils me ressemblaient sur le plan des aspirations, et qu’enfin ils portaient la marque horrible d’une vie détruite déjà, sur leur visage. Te donner les détails serait trop long, inutile peut-être ; mais disons qu’il s’en ai suivi une conversation de toute une nuit, jusqu’à 10 heures le matin, qui m’a fiat un choc tel que je n’arrive pas encore à calmer mon esprit. Je n’ai pas pu ouvrir la bouche ; pour la première fois que je suis au Parti [communiste], je me suis senti du mauvais côté, et , enfin, j’ai fui comme un voleur, avec une honte dont je n’arrive pas encore à bien à voir quelles en sont les causes. […] Ainsi, ces exploités de vingt ans, c’est la part malheureuse, c’est – toujours métaphysique ! – la part de Dieu, sans conteste possible. Mais si, de l’autre côté, Rothschild, de Wendel, l’argent, et tous ses profiteurs, sont le Mal incontestable, nous, où sommes-nous ? Je me dis : je suis au Parti communiste, j’ai choisi mon camp ; mais quand la situation me catapulte à la figure me vrais exploités, je vois l’énormité du luxe de mon existence. J’ai choisi mon camp, me dis-je ? Mais en cas de catastrophe, sur quelle solidarité compterais-je, sinon sur celle de l’argent, et pourquoi pourrais-je y compter, sinon à cause de mes origines ? Sur quelle solidarité, eux, peuvent-ils compter ?
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Je reste persuadé que la vie est ce qu’on en fait, et qu’il n’est pas d’âge qui soit particulièrement malheureux – si ce n’est celui où l’on abandonne la partie – et on peut l’abandonner à tout âge. Je trouverai la vie laide le jour où je me « mettrai assis » et ne voudrait plus me relever.
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UNE PUTE (s’approchant de Zucco pour le relever). – Ne cherche plus la bagarre. Ta belle gueule est déjà bien abîmée. Tu veux donc que les filles ne se retournent plus sur toi ? C’est fragile, une gueule, bébé. On croit qu’on l’a pour toute la vie et tout d’un coup, elle est bousillée par un grand connard qui n’a rien à perdre pour sa gueule à lui. Toi, tu as beaucoup à perdre, bébé. Une gueule cassée et toute ta vie est fichue comme si on t’avait coupé la queue. Tu n’y penses pas avant, mais je te jure que tu y penseras après. Ne me regarde pas comme cela ou je vais pleurer ; tu es de la race de ceux qui donnent envie de pleurer rien qu’à les regarder. (p. 46)
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ZUCCO. – Je suis un garçon normal et raisonnable, monsieur. Je ne me suis jamais fait remarquer. M'auriez-vous remarqué si je n'étais pas assis à côté de vous ? J'ai toujours pensé que la meilleure manière de vivre tranquille était d'être aussi transparent qu'une vitre, comme un caméléon sur la pierre, passer à travers les murs, n'avoir ni couleur ni odeur ; que le regard des gens vous traverse et voie les gens derrière vous, comme si vous n'étiez pas là. C'est une rude tâche d'être transparent ; c'est un métier ; c'est un ancien, très ancien, rêve d'être invisible. Je ne suis pas un héros. Les héros sont des criminels. Il n'y a pas de héros dont les habits ne soient trempés de sang, et le sang est la seule chose au monde qui ne puisse pas passer inaperçue. C'est la chose la plus visible au monde. Quand tout sera détruit, qu'un brouillard de fin du monde recouvrira la terre, il restera toujours les habits trempés de sang des héros. Moi, j'ai fait des études, j'ai été un bon élève. On ne revient pas en arrière quand on a pris l'habitude d'être un bon élève. Je suis inscrit à l'université. Sur les bancs de la Sorbonne, ma place est réservée, parmi d'autres bons élèves au milieu desquels je ne me fais pas remarquer. Je vous jure qu'il faut être un bon élève, discret et invisible, pour être à la Sorbonne. Ce n'est pas une de ces universités de banlieue où sont les voyous et ceux qui se prennent pour des héros. Les couloirs de mon université sont silencieux et traversés par des ombres dont on entend même pas les pas. Dès demain, je retournerai suivre mon cours de linguistique. C'est le jour, demain, du cours de linguistique. J'y serai, invisible parmi les invisibles, silencieux et attentif dans l'épais brouillard de la vie ordinaire. Rien ne pourrait changer le cours des choses, monsieur. Je suis comme un train qui traverse tranquillement une prairie et que rien ne pourrait faire dérailler. Je suis comme un hippopotame enfoncé dans la vase et qui se déplace très lentement et que rien ne pourrait déplacer du chemin. Ni du rythme qu'il a décidé de prendre. (p. 36)
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Par le haut. Il ne faut pas chercher à traverser les murs, parce que, au-delà des murs, il y a d'autres murs, il y a toujours la prison. Il faut s'échapper par les toits, vers le soleil. On ne mettra jamais un mur entre le soleil et la terre.
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LA MÈRE. – Je te donne de l’argent. C’est de l’argent que tu veux. Tu t’achèteras tous les habits que tu veux.
ZUCCO. – Je ne veux pas d’argent. C’est mon treillis que je veux.
LA MÈRE. – Je ne veux pas, je ne veux pas. Je vais appeler les voisins.
ZUCCO. – Je veux mon treillis.
LA MÈRE. – Ne crie pas, Roberto, ne crie pas, tu me fais peur ; ne crie pas, tu vas réveiller les voisins. Je ne peux pas te le donner, c’est impossible : il est sale, il est dégueulasse, tu ne peux pas le porter comme cela. Laisse-moi le temps de le laver, de le faire sécher, de le repasser.
ZUCCO. – Je le laverai moi-même. J’irai à la laverie automatique.
LA MÈRE. – Tu dérailles, mon pauvre vieux. Tu es complètement dingue.
ZUCCO. – C’est l’endroit du monde que je préfère. C’est calme, c’est tranquille, et il y a des femmes.
LA MÈRE. – Je m’en fous. Je ne veux pas te le donner. Ne m’approche pas, Roberto. je porte encore le deuil de ton père, est-ce que tu vas me tuer à mon tour ?
ZUCCO. – N’aie pas peur de moi, maman. J’ai toujours été doux et gentil avec toi. Pourquoi aurais-tu peur de moi ? Pourquoi est-ce que tu ne me donnerais pas mon treillis ? J’en ai besoin, maman, j’en ai besoin.
LA MÈRE. – Ne sois pas gentil avec moi, Roberto. Comment veux-tu que j’oublie que tu as tué ton père, que tu l’as jeté par la fenêtre, comme on jette une cigarette ? Et maintenant, tu es gentil avec moi. Je ne veux pas oublier que tu as tué ton père, et ta douceur me ferait tout oublier, Roberto.
ZUCCO. – Oublie, maman. Donne-moi mon treillis, ma chemise kaki et mon pantalon de combat ; même sales, même froissés, donne-les moi. Et puis je partirai, je te le jure.
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HORN (regardant les dés). – C’est moi qui prends. (Silence ; les appels de la garde.)
CAL (bas). – Il grince des dents.
HORN. – Quoi ?
CAL. – Là, derrière l’arbre, le nègre, dis-lui de partir, Horn. (Silence. Aboiements au loin ; Cal sursaute) Toubab ! Je l’entends. Il traîne près de l’égout ; qu’il y tombe, je ne bougerai pas. (Ils misent.) Saloperie ; il traîne et quand je l’appelle, il ne répond pas, il fait celui qui réfléchit. C’est lui ? Oui. Réfléchis, vieux cabot ; je n’irai pas te repêcher. Il a dû sentir l’odeur d’une bête inconnue ; qu’il se débrouille ; il ne devrait pas tomber ; et s’il tombe, je bouge pas. (Ils regardent les dés. Cal ramasse ; bas : ) Le gars, Horn, je peux te le dire, ce n’était même pas un vrai ouvrier ; un simple journalier ; personne ne le connaît, personne n’en parlera. Alors il veut partir ; moi je dis : non, tu ne partiras pas. Quitter le chantier une heure avant ; c’est important, une heure ; si on laisse prendre une heure, il y a l’exemple que cela fait. Comme je te le dis, je dis donc : non. Alors il me crache aux pieds et il part. Il m’a craché aux pieds et à deux centimètres d’était sur la chaussure. (Ils misent.) Donc j’appelle les autres gars, je leur dis : vous le voyez, le gars ? (Imitant l’accent nègre : ) – Oui, patron on le voit – il traverse le chantier sans attendre l’arrêt ? – oui patron oui patron sans attendre l’arrêt – sans casque, les gars, est-ce qu’il a un casque ? – non patron on voit bien il ne porte pas son casque. Moi je dis : souvenez-vous en : il est bien parti sans que je l’autorise – oui patron oh oui patron sans que tu l’autorises. Alors il est tombé ; le camion arrivait et je demande encore : mais qui conduit le camion ? mais à quelle vitesse il fonce ? il n’a pas vu le nègre ? Et alors, hop ! (Cal ramasse.)
HORN. – Tout le monde t’a vu tirer. Imbécile, tu ne supportes même pas ta foutue colère.
CAL. – C’est comme je te le dis : ce n’est pas moi, c’est une chute.
HORN. – Un coup de feu. Et tout le monde t’a vu monter dans le camion.
CAL. – Le coup de feu c’est l’orage ; et le camion, c’est la pluie qui aveuglait tout.
HORN. – Je n’ai peut-être pas été à l’école, mais toutes les conneries que tu diras, je les connais d’avance. Tu verras ce qu’elles valent ; pour moi, salut, tu es un imbécile et ce n’est pas mon affaire. Je mets cent francs.
CAL. – Je suis.
HORN (tapant sur la table). – Pourquoi tu y as touché, bon Dieu ? Celui qui touche à un cadavre tombé à terre est responsable du crime, c’est comme cela dans ce foutu pays. Si personne n’y avait touché, il n’y aurait pas eu de responsable, c’était un crime sans responsable, un crime femelle, un accident. L’affaire était simple. Mais les femmes sont venues pour chercher le corps et elles n’ont rien trouvé, rien. Imbécile. Elles n’ont rien trouvé. (Il tape sur la table.) Débrouille-toi. (Il fait tourner les dés.)
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J'aimerais renaître chien, pour être moins malheureux. Chien de rue, fouilleur de poubelles ; personne ne me remarquerait. J'aimerais être un chien jaune, bouffé par la gale, dont on s'écarterait sans faire attention. J'aimerais être un fouilleur de poubelles pour l'éternité. Je crois qu'il n'y a pas de mots, il n'y a rien à dire. Il faut arrêter d'enseigner les mots. Il faut fermer les écoles et agrandir les cimetieres. De toute façon, un an, cent ans, c'est pareil ; tôt ou tard, on doit tous mourir, tous. Et ça, ça fait chanter les oiseaux, ça fait rire les oiseaux.
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Zucco. -(...) C'est une rude tâche d'être transparent ; c'est un métier; c'est un ancien, très ancien rêve d'être invisible. Je ne suis pas un héros. Les héros sont des criminels. Il n'y a pas de héros dont les habits ne soient trempés de sang, et le sang est la seule chose au monde qui ne puisse pas passer inaperçue. C'est la chose la plus visible du monde.
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La Mère. - (..) Pourquoi cet enfant, si sage pendant vingt-quatre ans, est-il devenu fou brusquement ? Comment as-tu quitté les rails, Roberto ? Qui a posé un tronc d'arbre sur ce chemin si droit pour te faire tomber dans l'abîme? Roberto, Roberto, une voiture qui s'est écrasée au fond d'un ravin, on ne la répare pas. Un train qui a déraillé, on n'essaie pas de le remettre sur ses rails. On l'abandonne, on l'oublie. Je t'oublie, Robeto, je t'ai oublié.
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(...) le désir d'un acheteur est la plus mélancolique chose qui soit (...)
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En Algérie, je suis une étrangère et je rêve de la France : en France, je suis encore plus étrangère et je rêve d'Alger. Est-ce que la patrie c'est l'endroit où l'on n'est pas ? (p.48)
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[...] toutes les sortes de oui, je les sais : oui attendez un peu, attendez beaucoup, attendez avec moi une éternité là ; oui je l'ai, je l'aurai, je l'avais et je l'aurai à nouveau, je ne l'ai jamais eu mais je l'aurai pour vous. Et que l'on vienne me dire : mettons qu'on ait un désir, qu'on l'avoue, et que vous n'ayez rien pour le satisfaire ? je dirai : j'ai ce qu'il faut pour le satisfaire ; et si l'on me dit : imaginez pourtant que vous ne l'ayez pas ? – même en imaginant, je l'ai toujours.
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MATHILDE - Quelle patrie ai-je, moi? Ma terre, à moi, où est-elle? Où est-elle la terre sur laquelle je pourrais me coucher? En Algérie, je suis une étrangère et je rêve de la France; en France, je suis encore plus étrangère et je rêve d'Alger. Est-ce que la patrie, c'est l'endroit où l'on n'est pas? J'en ai marre de ne pas être à ma place et de ne pas savoir où est ma place. Mais les patries n'existent pas, nulle part, non. (...)
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Les souvenirs sont des armes secrètes que l'homme garde sur lui lorsqu'il est dépouillé…
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LE DEALER - Je ne suis pas là pour donner du plaisir, mais pour combler l'abîme du désir, rappeler le désir, obliger le désir à avoir un nom, le traîner jusqu'à terre, lui donner une forme et un poids, avec la cruauté obligatoire qu'il y a à donner une forme et un poids au désir.
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LE CLIENT - [...] Ainsi, vous prétendez que le monde sur lequel nous sommes, vous et moi, est tenu à la pointe de la corne d'un taureau par la main d'une providence ; or je sais, moi, qu'il flotte, posé sur le dos de trois baleines ; qu'il n'est point de providence ni d'équilibre, mais le caprice de trois monstres idiots.
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LE DEALER - [...] moi, je tiens ma langue comme un étalon par la bride pour qu'il ne se jette pas sur la jument, car si je lâchais la bride, si je détendais légèrement la pression de mes doigts et la traction de mes bras, mes mots me désarçonneraient moi-même et se jetteraient vers l'horizon avec la violence d'un cheval arabe qui sent le désert et que plus rien ne peut freiner.
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