- Ecoute bien ce que je vais te dire, Urkizu. Quand la faim te tenaillera, ne laisse personne s'approcher de ce trou qui est là-haut. Mange seul les galettes et le poisson. Mais... à quoi bon parler ! Tu n'en seras pas capable ! Tu vas prendre tous les sacs et les distribuer dans le campement. Tu entends ce que je te dis ! Tu n'est pas aussi malin que je le croyais !
La vie, c'est la vie, pas ses résultats. Ni la grande maison en haut de la montagne ni les couronnes et les médailles d'or ou d'imitation qui occupent les rayonnages. La vie n'est pas que cela. La vie, c'est la vie et ce qu'il y a de plus grand. Celui qui la perd, perd tout.
p.338
Aujourd'hui, nous sommes allés chez Borders. J'ai feuilleté un album de photos intitulé The Way We Were édité par l'université de Toronto. Le livre essaie de comparer le sort des soldats canadiens lors de la Seconde Guerre mondiale, concrètement pendant le débarquement en Normandie, et celui des personnes d'aujourd'hui ou d'il y a quelques années. On y voit par exemple, une photo en noir et blanc de la plage de Dieppe, prise en 1944 : des dizaines de soldats morts, étendus sur le sable dans des positions qui n'auraient jamais pu être celles d'un être vivant. Les tanks brûlent. Les bateaux du débarquement sont à moitié enfouis au bord de l'eau. Puis, à la page suivante, une photo de la même plage de Dieppe, mais prise dans les années 1980 : une famille prend le soleil, un couple lit des magazines sous un parasol, des enfants tournent autour d'un château de sable. [...] Après avoir feuilleté le livre, j'ai pensé : " Ce que nous appelons destin est un problème de calendrier. Tout dépend de la nature de la grosse ligne qui croise la fine qui est à nous." Il est, bien sûr, facile d'accepter cette vérité à Reno. Ce le serait moins si j'étais en Irak ou en Afghanistan. p. 218
"Je suis un Soldat américain. Je suis un guerrier, un membre de l'équipe. Je sers le peuple des Etats-Unis, je vis selon les valeurs militaires. Pour moi, la mission sera toujours primordiale. Je n'accepterai jamais la défaite. Je ne céderai jamais. Je n'abandonnerai jamais un compagnon tombé à terre. Je suis discipliné, fort mentalement et physiquement, entraîné et compétent dans mes tâches et mes exercices guerriers. Mes armes, mon équipement et moi-même sommes toujours prêts. Je suis un expert et un professionnel. Je suis prêt à me déplacer, affronter, anéantir les ennemis des Etats-Unis d'Amérique dans le combat commun. Je suis le gardien de la liberté, du style de vie américaine. Je suis un Soldat américain."
p.336 (The Soldiers's Creed) => texte imprimé sur une carte souvenir officielle distribuée lors de l'enterrement d'un soldat mort en Irak.
J'étais une toute petite fille quand les premiers Blancs apparurent dans notre pays. Ils arrivèrent comme des lions, oui des lions rugissants, et ils continuèrent ainsi jusqu'à présent, et moi, je n'oublierai jamais leur arrivée. Mon peuple était dispersé sur tout le territoire qui porte aujourd'hui le nom de Nevada. Mon grand-père, chef de la nation païute tout entière, était dans un campement près du lac Humboldt avec une petite partie de sa tribu quand une bande armée venant de Californie et se dirigeant vers l'est fut aperçue. [...]
- Je ne veux pas entendre cette histoire, a dit Sara.
- Pourquoi ? lui ai-je demandé.
- Parce qu'elle est sûrement très triste, a-t-elle répondu. p.247
Mais qu'est ce que tu crois Shola ? Qu'on vit tous comme toi, à faire toujours ce qu'on a envie de faire ? Et bien non, Shola, la plupart des gens n'ont pas cette chance. On doit, qu'on le veuille ou non, respecter certains engagements.
Mes yeux se sont habitués à l'obscurité. J'ai distingué une petite tête et, derrière, une queue rayée.
- C'est un raton laveur, a dit Ángela qui était derrière moi.
Izaskun et Sara voulaient rester avec lui mais, contrairement à Ángela, je ne leur en ai pas donné l'autorisation. Le guide ne mentionnait pas les ratons laveurs parmi les dangers qui guettaient le visiteur, mais il disait que certains pouvaient avoir la rage.
Le silence règne toujours à Reno, même le jour. Les casinos sont étanches, leur intérieur recouvert de moquette, aucun son ne sort des pièces où s'alignent les machines à sous et les tables de jeu. On ne remarque pas non plus la circulation dans la rue la plus fréquentée, Virginia Street, ni celle des autoroutes qui traversent la ville, la 80 et la 395, comme si elles étaient, elles aussi, moquettées ou si les voitures et les camions passaient en catimini.
Quand tombe la nuit, le silence, ou ce qui est subjectivement ressenti comme tel, devient encore plus profond. Le tintement d'une clochette pourrait éveiller l'attention des vigiles urbains. Si un pétard explosait dans une maison, ils se dirigeraient à toute vitesse vers elle, gyrophare allumé.
Le silence est la première chose que nous ayons perçue le jour de notre arrivée à Reno, le 18 août 2007, après que le taxi eut quitté l'aéroport pour nous laisser seuls devant ce qui serait notre maison, 145, Collège Drive. Il n'y avait personne dans la rue. Les conteneurs à ordures semblaient en pierre. p.9
... un conte prophétique, excellent. A mon avis le meilleur de la soirée.
Je souris en écoutant les paroles de mon ami. Il se souvenait enfin du récit que je lui avais fait au Restop. Le moment était arrivé de lui montrer la carte que j'avais cachée dans ma manche.
- Oui, qu'il soit bon ne fait aucun doute. Mais toujours est-il que je changerais la fin. Un tel fatalisme ne me plaît guère, lui dis-je.
Mon ami prit un air surpris.
- Je parle sérieusement, je n'aime pas le fatalisme de ce conte. Je le trouve implacable, le même fatalisme qui transparaît lorsqu'on dit que la vie ressemble à un coup de dés. Ce qu'on veut dire par là, c'est qu'à la naissance, nous sommes dépositaires d'un destin, et que notre volonté ne compte pour rien. Nous devons accepter notre destin, que nous le voulions ou non. La mort s'achemine-t-elle vers nous ? Mourir, il faut bien en passer par là.
En haussant les épaules, mon ami me laissa entendre qu'il ne voyait pas d'autre voie.
- Tu penses ce que tu veux. Mais moi, en ce qui concerne ce conte, je ne vois pas d'autre dénouement possible, m'expliqua-t-il.
- Moi, je lui en ai donné un autre.
- Tu as écrit une variante ? dit-il en levant les sourcils.
- Exactement. Je l'ai ici.
-Ne m'appelle pas petite chienne ! Je ne suis pas une petite chienne ! Tu te trompes de A à Z.
-Mais qu'est ce que tu es, alors ?
-J'appartiens à la famille des lions !