Le métro, sa grisaille, ses retards, sa déprime... Les clichés ont la peau dure. Mais il est parfois possible de leur tanner le cuir et de voir au travers. Pour Bertrand Guillot, le métro est avant tout une scène sur laquelle nous défilons tous à tour de rôle (et le prix de la place défie toute concurrence). La comédie n'est pas exclue, la romance non plus, le drame pointe parfois... Bref, aujourd'hui, le romanesque est dans le métro, bien plus que dans les séries ou la télé-réalité.
C'est aussi l'un des derniers lieux du « lien social », où les frontières et les séparations si solides en surface s'évanouissent subitement sur les quais. Tout est permis. Dans le métro, il n'y a plus de première classe depuis longtemps. Dans la vie « à l'air libre », c'est un peu différent... Paradoxalement, on étouffe là-haut.
Le métro est un sport collectif est le fruit d'une année d'observation, de reportage, de chroniques. Bertrand Guillot traduit, avec justesse et humour, l'ambiance des stations. Son sens du portrait -- particulièrement du portrait féminin --, sa science du détail juste font merveille dans ce recueil où la délicatesse du trait n'atténue en rien le réalisme des personnages et des situations.
© éditions rue fromentin, 2012.
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Dans tous les manuels scolaires, c'est une date incontournable. 4 août 1789 : Abolition des privilèges. On l'apprend au collège. On l'apprend au lycée. Mais l'étudier ? Jamais.
Peut-être parce qu'elle vient juste après le 14 juillet, et que la suite est forcément mineure. Peut-être aussi parce que c'est le mois d'août et que le mois d'août, c'est les vacances : que pourrait-il bien s'y passer de sérieux ? Peut-être, surtout, parce qu'on ne connaît aucun des acteurs de ce 4 août.
Pour le 14 juillet, c'est simple : la rue s'est soulevée (autant dire, nous), c'est héroïque, c'est romanesque, aujourd'hui la date résonne en feux d'artifice et bals des pompiers. Le 4 août a pour seul décor l'Assemblée nationale tout de suite on sent la distance. Et parmi les députés, pas une seule vedette à mettre en avant ! À la limite, Sieyès. Ou alors Mirabeau, mais il est de ces héros de l'Histoire qu'on interdit aux mineurs. De toute façon, ce soir-là, Sieyès et Mirabeau avaient séché la séance. Non, vraiment, pas une seule tête connue.
Page 7, Les Avrils.
Et pourtant, ça ne disparaît pas comme ça, des privilèges. Qu'on demande aux militants qui tentent depuis des années d'imposer une taxation des transactions financières, aux féministes qui luttent contre le privilège masculin, aux écologistes qui ferraillent contre le carbone subventionné, aux élus qui s'échinent en vain pour soumettre à l'impôt les multinationales du numérique. Il est de petites victoires, des bastilles miniatures qui chutent ici ou là, mais les privilèges contemporains se portent plutôt bien.
C'est en pensant à ces combats épuisants et à notre monde à bout de que je me suis demandé ce qui s'était vraiment passé, cette fameuse nuit du 4 août 1789.
Page 9, Les Avrils.
Ces hommes sont presque tous des inconnus. Pour la plupart, ils le resteront. Ce sont eux, pourtant, qui sont en train d'inventer notre jeu politique. Eux qui s'apprêrent à changer la face de la France plus encore que les héros de la Bastille. Eux qui, bientôt, vont faire tomber en quelques heures un régime vieux de dix siècles. Eux qui, en une nuit, vont poser les fondements d'un nouveau système basé sur le progrès, la liberté individuelle, l'égalité publique et la propriété privée - ce système si révolutionnaire en 1789 et qui est le nôtre aujourd'hui, ce système dont nous savons maintenant qu'il ne peut pas durer, et qui pourtant a la vie dure. Mais il est déjà tard.
Page 13, Les Avrils.
- Savez-vous ce que disait Confucius ? [...]
- Non.
- Lorsque tu entreprendras quelque chose, sache que tu auras contre toi, ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui voulaient faire la même chose... et l'immense majorité de ceux qui ne voulaient rien faire du tout.
A voix basse, ils (les livres) partageaient leurs rêves: certains se voyaient passer leur vie en noble compagnie sur les étagères bien rangées d'une bibliothèque; d'autres aspiraient à passer de main en main, voir le monde, traîner sur des bancs publics et finir la nuit dans un bar, avant d'être oubliés un jour sur la banquette d'un train en route vers d'autres aventures. (p.13)
- Et tu ne sais pas quelle fin il a choisie ??
-Non. qui s'en soucie ? La vie est dans le début des histoires, Junior. Les fins ne sont jamais que de la morale. (p.57)
Necker joue volontiers de sa popularité dans l'opinion car aussi étrange que cela puisse paraître il arrive parfois aux Français de s'enticher d'un banquier.
Depuis que Mathilde tenait une chronique régulière au journal, elle ne mettait plus guère les pieds dans une librairie qu'à l'occasion de soirées dédicaces avec auteur, éditeur, cacahuètes et vin blanc. Et elle n'avait sans doute plus acheté de roman depuis des mois. Que pouvait bien devenir l'industrie du livre si les plus grands lecteurs ne concevaient plus les livres que gratuits ?
Les livres portaient les espoirs démesurés et les doutes abyssaux de leurs auteurs, ce qu'ils avaient vécu et ce qu'ils auraient aimé vivre, ainsi que d'infimes morceaux d'âme dont ils n'avaient pas conscience. (p.12)
La vie littéraire est, comme la vie, soumise aux lois de la sélection naturelle. On y est donc en état de guerre perpétuelle. Mais l'art est de vivre sur le champ de bataile sans se battre et sans être blessé. (p.66)