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Critiques de Bertrand Leclair (48)
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Le Vertige danois de Paul Gauguin

Novembre 1884, Paul Gauguin alors âgé de 36 ans, rejoint sa femme Mette, d'origine danoise, et leurs cinq enfants réfugiés à Copenhague, après avoir tenté brièvement et sans succès de " vivre de la peinture ", ayant abandonné à la suite du krach boursier de 1882 son métier de courtier en Bourse à Paris qui assurait l'aisance matérielle de sa famille.

Juin 1885, précipitamment, Paul Gauguin quitte définitivement le Danemark et sa femme, emmenant avec lui son fils Clovis âgé de cinq ans pour regagner Paris et surtout la peinture, son authentique raison de vivre.



Que s'est-il passé ? Six mois de pression, de doute, de mal-être, d'interrogations, de vertige comme Bertrand Leclair qualifie justement cette période obscure et peu connue de la vie de l'artiste, objet de son roman, et cruel dilemme pour cet homme alors anéanti, méprisé par ses proches et en particulier par sa belle-famille, tiraillé entre sa fascination pour la peinture et la nécessaire subsistance de sa famille nombreuse.



L'avenir du fond d'un appartement sinistre de Copenhague sans perspective exhalante, sans moyen de subsistance, loin de Paris où se trouvent ses amis peintres, en pleine période impressionniste, c'est quoi au juste ?

L'auteur, avec franchise, admet d'ailleurs que " pas plus qu'on ne connaît le facteur décisif de son départ brutal, on ne sait rien de cette guerre quotidienne ( avec son entourage ). On ne peut qu'imaginer. "

Imaginer, certes, mais fort heureusement Bertrand Leclair s'appuie aussi sur des extraits de correspondance de Paul Gauguin et l'analyse de ses tableaux qui en disent long sur l'état d'esprit du peintre. Ainsi, sa " Nature morte dans un intérieur ", représentant un appartement danois [ http://www.repro-tableaux.com/a/paul-gauguin/nature-morte-dans-un-inte.html ] est simplement sinistre, bien loin de ses chefs-d'œuvre tahitiens ultérieurs, éclatants de couleurs et de lumière, dont Stéphane Mallarmé dira : " il est extraordinaire qu'on puisse mettre tant de mystère dans tant d'éclat. "



Cette parenthèse danoise de Paul Gauguin est donc habilement restituée, fort bien écrite ( que de citations potentielles, un régal ), et j'ai particulièrement apprécié ce court roman qui, à mi-chemin entre biographie, roman et analyse psychologique, donne à voir la force qui amène un individu à se reprendre en mains après une chute vertigineuse et destructrice, à exercer sa liberté de choisir son avenir, à répondre favorablement à l'appel de sa passion et à assumer son choix contre l'avis de son entourage : bref, à devenir lui-même.

Une alchimie entre doutes et volonté qui peut tous nous concerner.



" L'important, c'est de progresser dans sa propre voie, sans rien lâcher de son désir instinctif. ", souligne l'auteur avant de constater que " l'adversité est constitutive de son œuvre. "

Gauguin lui-même écrira à Aline sa fille " Il est vrai que la souffrance vous aiguise le génie. Il n'en faut pas trop cependant, sinon elle vous tue. "

Nul doute cependant, sans ce vertige danois, Paul Gauguin ne serait peut-être jamais devenu le peintre que nous connaissons.



Grand merci à Babelio et Actes Sud pour cette belle et instructive lecture.
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Le Vertige danois de Paul Gauguin

Où l’on comprend sans effort (si tant est qu’on le sache) que Gauguin n’ait séjourné que brièvement au Danemark pour tracer la route plus tard vers la Polynésie.



Dans les années 70... du 19ème siècle, Paul Gauguin, courtier en bourse, amateur et collectionneur d’art avisé, balbutie lui-même du pinceau à ses heures perdues. Au point que dix années plus tard, à l’âge de trente-quatre ans, marié à Mette-Sophie et père de cinq enfants, il lâche son emploi pour se consacrer à sa propre carrière de peintre. Exaspérée par les difficultés financières engendrées peu à peu par cette « lubie », Mette finit par se réfugier auprès de sa famille à Copenhague dont elle est originaire et où, contraint et forcé, Gauguin la rejoint.



Si l’on se remémore les toiles flamboyantes qui passeront plus tard à la postérité et l’amour obsessionnel de Gauguin pour la couleur, on soupçonne à quel point ce séjour danois fut pour lui un calvaire. Sombre comme un hiver scandinave, amer comme l’accueil d’une austère belle-famille hermétique à son art et peu confiante en son avenir de peintre, sinistre comme l’inspiration que put générer un environnement aussi sclérosant, ce bref épisode nordique, en général peu évoqué dans la biographie de Gauguin, ne dura en effet que quelques mois. Il fut cependant, si l’on en croit ce témoignage romancé, d’une noirceur et d’une intensité telles qu’il semble précisément marquer l’amorce de cet envol de l’artiste vers la lumière et la liberté qu’il poursuivra sa vie durant.



S’appuyant – jusqu’à en citer de nombreux extraits – sur la correspondance et les écrits de Gauguin, Bertrand Leclair dépeint à merveille les errances esthétiques et intimes d’un artiste complexe, touchant, tourmenté par son irrépressible besoin de peindre, son amour incompris pour sa famille et l’impitoyable scepticisme de ses proches. Une écriture intelligente et dense, un texte remarquable, fiévreux et passionnant, pour un petit ouvrage qui m’a séduite de la première à la dernière page.



Une visite au musée d’Orsay s’impose ensuite afin d’y redécouvrir quelques œuvres de Paul Gauguin sous cet éclairage nouveau. A compléter opportunément, et sans hésiter, par un petit voyage direction les Marquises. Bah quoi ? Il faut bien parfaire sa culture…



Ҩ



Un enthousiaste et chaleureux merci aux éditions ACTES SUD et à l’équipe de BABELIO pour cette très intéressante découverte.




Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Le Vertige danois de Paul Gauguin

Cela rimerait-il a quelque chose de juger sous le seul critère de la morale, un homme qui a quitté femme et enfants pour pouvoir s'adonner à sa passion - qui devient sa raison d'être -, pour réaliser son œuvre, une œuvre de peintre, qui se sait unique, quand cela n'est plus d'actualité de jouer les censeurs, même si la tentation à condamner l'acte et non pas l'individu peut exister, parce que ne pas le faire serait donner la personne en exemple ? Ne soyons pas plus moralistes que de raison. D'ailleurs, comment, avec le recul, qualifier de tels actes quand, dans l'autre plateau de la balance, il y a le poids d'une œuvre artistique. Car, si la morale c'est l'action, alors Paul Gauguin a choisi, selon ses propres critères.

L'écriture très littéraire et presque "picturale" adoptée par Bertrand Leclair nous invite d'ailleurs à changer notre regard, et non à faire un procès, totalement inutile, puisque l'on ne peut revenir sur ce qui a été fait ni l'effacer.

Et nous voici devant l'homme et l'artiste Paul Gauguin, pour lui poser la seule question qui vaille : est-ce par la faute de votre épouse et à cause d'elle que vous êtes devenu ce que vous avez été ? Soyez honnête, Monsieur Gauguin, au moment de planter là votre chère (puis maudite) Mette, la Danoise, n'est-ce pas plutôt grâce à elle que vous avez fait cette mue et que vous êtes devenu vous-même ? Si elle ne s'était opposée à vous, l'auriez-vous fait ce pas ?

Tout était-il écrit d'avance ? Rien de moins sûr. C'est, à lire Bertrand Leclair entre les lignes, un véritable coup de pouce (et un coup de pied aux fesses), un électrochoc que Mette a donné à son époux, Paul Gauguin, mais certes pas pour le résultat qu'elle escomptait : elle voulait qu'il renonçât à ses chimères, à ses ambitions artistiques, pour conjurer le mauvais sort et redresser une situation plus que compromise par une mauvaise gestion dans l'entreprise de fabrication de toiles de bâche imputrescibles qu'il aurait dû conduire au succès commercial. Des toiles ? Oui, il va en produire, et compter grâce à elles, mais des toiles d'un autre genre, comme le dit avec humour Bertrand Leclair.



Mais cela c'est l'écorce. Et l'arbre alors ?



L'arbre de celui qui aurait pu s'y pendre, d'abord. Car Gauguin cherchait désespérément à éviter de se mettre une corde suicidaire au cou. Déjà qu'il avait celle du mariage. La même ? Comment donc ne pas en finir avec la vie ? En peignant.



Songeons que Gauguin, même libéré de ses obligations matrimoniales et paternelles par un simple départ - ou une

simple fuite - , n'a pas allongé pour autant ses jours en faisant ce qu'il aimait : né en 1848, il est mort en 1903. Sous ce rapport, Gauguin ressemble à Mozart et à Rimbaud : vie pleine, remplie par l'art seul, pour lui par la peinture qui mange tout, et un amour addictif du tabac et de l'alcool, et peut-être d'autres plaisirs destructeurs. Positionnement de rupture aussi en matière artistique, un défi à relever et un risque à courir comme il le découvrira. Le succès ne peut être immédiat pour lui puisqu'il refuse de faire de la peinture bourgeoise, de la peinture prisée par ceux qui raffolent de l'art affadi du Salon officiel. Il ne veut pas se rendre aimable. Strindberg le note : "Cette personnalité se complaît dans l'antipathie qu'elle suscite". Même ce qu'il aime, il veut pour lui-même le brûler : l'Impressionnisme est en vie, et déjà il veut le dépasser, l'enterrer. Au moins ses attaques contre la peinture de salon (et du Salon) sont compréhensibles, car cette peinture est morte avant de voir le jour et figée comme un squelette dans sa fosse. Mais

peut-on en dire autant avec l'Impressionnisme ? En réalité, Gauguin ne condamne pas cette École : il se demande comment faire pour aller plus loin et quoi faire de mieux ? Pourquoi n'est-il donc pas satisfait ? Parce qu'il "prend" la peinture comme certains hommes veulent étreindre les femmes, et cela à un moment où la peinture semble prendre

un coup de vieux, car Gauguin sait bien que la peinture est maintenant sérieusement concurrencée par la photographie. Quelle place va-t-il se faire dans la famille des grands peintres - car il ne doute pas de devenir un peintre au-dessus du lot grâce à son œuvre - et que va devenir la peinture avec lui ? Ne sera-t-il qu'un "autodidacte à l'ambition brutale", dont la Grande Peinture pourrait se passer ? Quelle vision a-t-il ? Il ne peut pas la traduire immédiatement dans ses toiles : le rejet de ce qu'il fait et de ce qu'il pense par son épouse, sa famille et par des milieux dont il pourrait espérer une aide le plonge un moment dans une stérilité qui le fait enrager. Mais impossible d'en rester là. De quel côté va-t-il tomber ? Dans une existence petite-bourgeoise conforme aux attentes de son épouse ? Ou "vertigineusement" dans la création artistique ? Suit une question rationnelle : Gauguin pourra-t-il vivre de sa peinture ? Il ne sait pas plus que les autres ce qui l'attend. Déjà qu'il a dilapidé l'héritage de sa mère en tableaux de valeur. En fuyant dans la peinture dès qu'il a une minute de libre, au lieu de s'occuper de redresser les comptes de son entreprise, qui est en train de baisser pavillon, il fait le désespoir de son épouse, à qui il a fait cinq enfants en dix ans. Pour sa belle-famille danoise - car tout cela se passe à Copenhague où Gauguin a accepté de suivre Mette -, il est devenu la bête noire, d'autant qu'il ne fait rien pour arranger les choses et qu'il ne cesse de remettre de (la peinture à) l'huile sur le feu ! On l'a pourtant aidé à démarrer, on lui a mis un pied à l'étrier, on lui a tout facilité, mais, soit incapacité soit malchance, il n'a pas su ou pas voulu faire. Et chacun de se demander : quand va-t-il remonter le courant ? Quand va-t-il se reprendre ? Jamais ! On le voit bien, il est indécrottable. Et de plus, c'est un incroyant, qui n'a pas peur de le clamer haut et fort et d'afficher son certificat d'athéisme dans une terre pétrie de protestantisme. Le bruit s'en répand partout, achevant de le discréditer aux yeux de la bonne société. Qu'il est désespérant cet homme ! Et pourtant, on a pu croire en lui, car il a fait des efforts. Il a même semblé avoir d'autres centres d'intérêt que la peinture : il s'est un temps passionné pour la graphologie, mais ça a été bientôt pour dire le rapport qui pouvait exister entre elle et la peinture. Toujours la peinture ! Et puis le voilà qui emprunte, non pas pour tenter de remettre son affaire à flot, mais encore et toujours pour satisfaire son goût pour la peinture et s'acheter le matériel nécessaire.

Il lui prend même l'idée d'exposer ses œuvres, mais pas les meilleures aux yeux des autres, le plus provocant plutôt ! Et ce qui vient, à la suite, ce ne sont pas les railleries, la furie ou l'indignation, mais le silence accusateur et assassin, ou le dédain. Il n'aura droit qu'à une comparaison sous la plume d'un critique, mais pas à son avantage. Il réagira en se présentant comme un génie non reconnu, que l'on veut blesser et humilier. Pour les spécialistes, le jugement est sans appel : ce peintre est un barbare, on le maudirait presque. Un damné vous dit-on !

Il n'en a cure et se dit qu'il n'est la cible que des béotiens et des sots. Car même si on ne veut pas de sa peinture, celle-ci est toujours là, seule ligne de fuite, seule trouée de ciel bleu dans un environnement ténébreux. Et que produit-il alors, au sortir d'un long hiver ? De la beauté pure, une peinture aux couleurs éclatantes. Une image du parc du Moulin-de-la-Reine, à Ostervold.

Est-ce gagné ? Va-t-il s'enraciner au Danemark, accepter la réalité en retrouvant sa sérénité ? L'illusion est de courte durée. Après ce moment de plénitude, de jouissance, d'accomplissement, dans l'éternité d'un instant, et même s'il veut trouver quelque chose de profitable à tous, pour rester sur place, malgré ce qu'il lui en coûte, il ne pourra résister longtemps. C'est que dans son sang coule un peu celui de sa grand-mère, Flora Tristan, une femme qui n'a jamais

voulu se laisser dicter sa conduite. Ah! Si seulement Mette était une artiste, rien ne les séparerait. Lui remontent à la mémoire les souvenirs des jours heureux, des heures insouciantes, de l'époque où il était amoureux et acceptait d'avoir un fil à la patte, du rôle de Gustave Arosa qui l'avait fait entrer à la Bourse, cela juste après six années en mer sur un navire de guerre et des bâtiments de toutes sortes. Il n'a finalement revu Paris qu'en 1871, après la Commune. Il fait la connaissance de Mette grâce à Arosa, et il flambe pour elle. Se succèdent alors des fêtes et des bals costumés. C'est le temps des rires, des amusements, du bonheur simple. Mette aussi était amoureuse, et malgré leurs disputes actuelles, elle ne l'a pas oublié. Il lui arrive encore - elle se surprend à le faire - de prendre la défense de Gauguin devant sa famille. Mais à présent, c'est l'enfer. On ne peut plus se voir en peinture. Ceux qui s'aimaient sont devenus l'un pour l'autre des étrangers. En raison des difficultés financières, la peinture est devenue, entre Mette et Paul, un fossé de séparation aux bords infranchissables. Gauguin est mis soudain devant un choix de clarté : ou Mette et leurs enfants ou la peinture.

Une fois le choix fait, le chemin emprunté sera sans retour. Et si la manie de peindre ne quitte pas Paul Gauguin, qu'il aille au grenier ou au diable !



François Sarindar, auteur de : Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)



Je pourrais prolonger cette critique sur des pages et des pages : j'en garde quelques-unes que je glisserai en commentaires.

La découverte de ce livre fort, de cette lecture marquante, je la dois à Piatka, que je remercie ici de tout mon cœur.

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La villa du jouir

« La Villa du Jouir », roman érotique d’un essayiste et romancier français Bertrand Leclair, évoque la soumission sexuelle de l’homme par la femme, ce qui change des conventions traditionnelles...

Marc, écrivain, épris, intoxiqué par Hannah, rabatteuse, va accepter de devenir un esclave sexuel. Intrigué, curieux, il y consent plus volontiers grâce au salaire promis et sous la raison invoquée d’écrire des nouvelles érotiques. Dans une île grecque, Marc devient le soumis Adonis et va intégrer le harem des 4 émigrants sans papiers d’une domina, princesse nigériane. L’auteur nous fait vivre toute son initiation dans l’apprentissage du plaisir et de la jouissance. Dans cet endroit secret, dédié au plaisir et fréquenté par quelques oligarques triés, Marc-Adonis va atteindre des plaisirs inconnus et chercher en lui la femme insoupçonnée. Il expérimente aussi l’obéissance, la perte de contrôle, l’attente et la frustration, la jalousie.

L’auteur parvient à décrire minutieusement les sensations et les sentiments de Marc dans les séances auxquelles il est soumis, sans tomber dans les stéréotypes, la vulgarité ou la répétition. Mais c’est cru. C’est trash & cash !

A la fin du roman, l’on retrouve Marc, désespéré de n’avoir pas pu surmonter ses émotions et d’avoir choisi la fuite. Fuite qu’il savait sans retour. Hanté, il recherche désormais à localiser la Villa sans succès. Il revit sans fin les six semaines passées à tenter d’atteindre le paroxysme.

Merci aux éditions Serge Safran et à Masse Critique de m’avoir donné l’opportunité de lire ce roman érotique réussi.

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Le Vertige danois de Paul Gauguin

Gauguin débarque à Copenhague en 1885 pour y rejoindre sa femme Mette et ses cinq enfants. Il vient de lâcher son emploi de courtier en bourse à Paris et débute une carrière de vendeur de bâches. Mais c’est la peinture qui l’obsède. Bien avant Pont Aven et Tahiti, les débuts sont difficiles. La reconnaissance tarde à venir, les soucis financiers s’accumulent, la vie danoise l’éreinte et les relations avec sa femme et sa belle-famille deviennent insupportables.





La peinture comme refuge. La peinture qui seule, « lui rend le présent habitable, [...] lui est tout à la fois la clé de l’avenir et ce qui permet d’en suspendre un instant le couperet. » La peinture qui, également, scellera la fin de son couple : « La peinture n’est plus un prétexte aux agressions ou aux rapprochements amoureux, elle est réellement devenue le nom de ce qui les sépare, irrévocablement, cela même qui bloque le balancier conjugal en position d’hostilité perpétuelle. »





Larguer les amarres. Gauguin va y consentir après moult hésitations. Une décision brutale, un couperet qui tombe d’un seul coup. Il part subitement pour la France avec son fils de 6 ans, Clovis, abandonnant les siens : « Il s’est sauvé du soir au matin, peut-être, et avec lui la peinture, comme le voudrait la légende, aussi bien sur son versant doré (l’homme qui a tout sacrifié à sa passion irrépressible pour la peinture) que sur son versant noir (l’homme qui a abandonné femme et enfants pour propager la syphilis en Polynésie au nom de l’art). »





Et parce qu’il manque une lettre, la première adressée par Gauguin à sa femme après leur séparation, on ne saura jamais les véritables raisons de ce départ brutal. Alors Bertrand Leclair interprète. Il déduit à partir des lettres suivantes, il imagine. Et sans doute parce qu’il est en empathie totale avec l’artiste, il a bien du mal à lui donner tort. Pour lui c’est le mépris de sa belle-famille danoise qui l’a poussé à partir. Gauguin ne serait donc pas un salaud ayant abandonné les siens et son départ était la seule solution, la seule réponse à cette question radicale vers laquelle son expérience danoise l’avait mené : peindre ou se pendre ?





Un séjour à Copenhague douloureux mais nécessaire pour la maturation de l’œuvre à venir. L’artiste s’est construit dans cette épreuve, face aux jugements des autres mais aussi face à sa propre culpabilité de mari et de père incapable d’entretenir sa famille. Les doutes, les hésitations face à cette volonté de larguer les amarres en butte aux conventions sociales et à la bien-pensance, tout cela est parfaitement restitué dans le récit de Bertrand Leclair. La langue est belle, d'un lyrisme contenu. Un superbe texte qui éclaire d'un jour nouveau un épisode peu connu et pourtant essentiel de la vie de Gauguin.


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Le Vertige danois de Paul Gauguin

Dans la collection "un endroit où aller", Actes Sud, j'aime ce livre (roman précise l'éditeur en couverture) où Bertrand Leclair se penche sur une courte période de la vie du couple que formèrent Paul Gauguin et Mette Gad. Une narration très dense de douze petits chapitres transportant à Copenhague où le couple déposa ses valises et changea plusieurs fois d'adresse en 1884 et 1885. Les raisons de cette installation sont tout d'abord exposées, il faut bien des explications pour réussir à comprendre comment ces deux-là, qui s'étaient rencontrés en 1873, puis mariés et qui vécurent ensuite si "bourgeoisement" à Paris, déménagèrent une première fois à Rouen pour des raisons pécuniaires avant d'opter enfin pour ce repli danois. La vie d'artiste ? Pas tout à fait, car à ce moment là, Gauguin n'est pas le créateur qu'il deviendra plus tard. Non, il a perdu son emploi de courtier en bourse suite au krach de 1882 et il prétend depuis qu'il sera peintre. Mais Gauguin est bien le seul à y croire. C'est un amateur que Pissarro a pris un temps sous son aile. L'élève a insisté, persisté. Gauguin était aussi un collectionneur avisé (il possèdait des oeuvres de Cézanne, Renoir, Manet). du côté de Mette ce retour au pays, elle qui avait bagarré auprès de sa mère pour épouser Paul, était peut-être une assurance de sécurité pour l'avenir de leurs cinq enfants nés en dix ans : Emil, Aline ("La petite rêve"), Clovis ("L'enfant endormi"), Jean René et Paul Rollon le plus jeune. Cinq témoins muets de cet épisode de la vie de leurs parents dont le dernier chapitre dévoilera le destin.



Une mutation (reconversion) de Gauguin se joue à Copenhague mais pas celle qu'espérait probablement Mette. le déménagement avait été soigneusement balisé mais Paul avait-il imaginé de tels déchirements à venir ? La famille Gad n'a pas ménagé ses efforts et fait jouer ses relations pour que Gauguin devienne représentant exclusif pour la Scandinavie d'une compagnie de toiles de bâches imputrescibles ! L'avenir paraît radieux et pourtant rien n'est acquis. C'est la chronique d'un désastre annoncé pour ceux qui ont entendu parler de Gauguin, de son fameux tempérament, de ses mauvaises manières... Oui, on lit bien un roman, une histoire dont on met vite de côté le dénouement connu au profit d'un angle de vue différent. S'appuyant sur l'oeuvre peint, les divers écrits et correspondances de Paul Gauguin ainsi que sur certains témoignages contemporains, le regard de Bertrand Leclair se pose, sensible et pénétrant, sur cette parenthèse de 1884/1885 pendant laquelle Gauguin ayant quitté sa vie d'avant s'apprête à devenir le peintre qu'il voulait être. Métamorphose d'un autodidacte en artiste. Ce peintre qu'il veut être enrage d'être ici, ce père qu'il veut rester se désespère aussi. Période décisive et terrible, captée avec intensité par Bertrand Leclair, entre les premières tentatives impressionnistes et juste avant la révolution de Pont-Aven, celle où tout a vacillé. Moments de vertiges personnels, intimes, collision entre l'homme et l'artiste.



Les difficultés matérielles s'accumulent, car il devient par trop évident que Paul Gauguin n'a pas la fibre commerciale, ne fait aucun effort pour apprendre une langue que ses enfants maîtriseront bientôt. Nouveaux déménagements dans Copenhague même, pour encore plus petit, toujours moins cher. Pressions de la belle famille, humiliations danoises, doutes et incertitudes empoisonnent le quotidien familial et participent au délitement conjugal. Mette donne des cours de français pendant que lui, réfugié dans son atelier-mansarde, au-dessus du salon, interroge son talent, sa paternité, hanté peut-être, selon Bertrand Leclair, par les démons d'une généalogie dominée par l'absence d'un père, mort prématurément, la violence d'un grand-père maternel dont la femme (Flora Tristan) a demandé le divorce très tôt. Un croquis de cette époque montre une soupière de laquelle il a fait émerger la tête de quatre de ses enfants, celle de Mette et la sienne : le mot mélasse est inscrit sur la panse. C'est dire comment il se voit avec sa famille. Il peint peu à ce moment là, "Le moulin de la reine", un autoportrait en train de se peindre, "Nature-morte dans un intérieur", et commence à écrire. Mais la peinture alors le dissuade de se pendre ; a-t-elle été la seule cause de sa séparation d'avec ses enfants (sans jamais que le couple ne divorce) ? Rien n'est moins sûr. Paul quittera Copenhague accompagné du plus jeune de ses enfants...



Loin des légendes de tous ordres ayant circulé sur le peintre, ce roman d'un petit pan de vie de Paul Gauguin et Mette Gad, réussit finement à éloigner des portraits à charges ou des stéréotypes trop fréquents dont nous usons trop souvent par facilité pour définir nos goûts et juger les artistes.









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Malentendus

"Cette histoire est en effet la leur, dévastée par la surdité ou plus exactement par l'obstination d'un père à vouloir réparer cette inadmissible erreur de la loterie génétique : une absurdité, assurément." (P. 19)

Yves et Marie-Claude Laporte découvrent que Julien leur gamin est sourd. Le père est imprimeur, son affaire est prospère, mais il y a cette tache, ce gamin sourd. Personne n'a jamais été sourd dans la famille, tensions entre le père qui veut à tout prix faire parler son fils et le gamin qui quittera la maison pour faire sa vie.



Roman? Certes en partie, mais surtout coup de gueule, Oh combien intelligent! d'un auteur, père lui-même d'un enfant sourd, enfant sourd que tous, Éducation Nationale en premier, veulent à tout prix faire parler...on doit les entendre, comme on nous entend, vous ou moi...alors qu'ils sont sourds ou comme on dit "non entendants"....c'est à dire incapable de nous entendre, nous qui avons les oreilles qui fonctionnent...oui!

Certes il y a la langue des signes, mais qui la comprend parmi nous, les non-sourds, nous, les entendants. Qui comprend ces gesticulations des mains, ces mimiques de la bouche, du visage,. ...interdites par l'Education Nationale jusque dans les années 60 ! "...au début des années 1960, la langue des signes était toujours interdite dans l'éducation des enfants sourds, en France. Elle devait le rester encore plus de vingt ans, et de fait il n'y avait pas d'alternative à l'oralisme que les éducateurs avaient imposé partout." (P. 125)



Ne parlons pas de l'Eglise qui proclamait alors"...nous devons bannir les signes qui ne serviront jamais qu'à détruire la langue. Vive la méthode orale qui améliore le sort de la malheureuse et grande famille des sourds-muets en pourvoyant au progrès de l'art, art sublime de sagesse et de charité, la grande et sainte entreprise que nous appelons la rédemption du sourd-muet"



Eglise droite dans ses bottes face à un Islam qui, quant à lui porte "un respect religieux" à ces sourds

Il n'y a pas si longtemps que ça, chez nous, à tout prix ces gamins devaient parler, il le fallait. Ils devaient être comme chacun de nous, s'intégrer à notre monde...au monde." Rien de bon à chercher là dedans" disait le père de Julien, qui voulait faire de lui un ouvrier dans l'imprimerie familiale.



Julien, découvre après l'abandon du foyer familial que des sourds ont pu, ailleurs, obtenir des responsabilités et également ce qui se fait à l'étranger.. Il évoque Bell, inventeur du téléphone, certes un génie, mais un être peu honorable face aux sourds...



Et l'auteur renverse notre langue, renverse notre langue...



Nous parlons des malentendants pour évoquer les sourds, incapables de nous entendre...Lui nous parle des "malentendus"...ceux que nous ne sommes pas capables d'entendre, cette minorité qui doit faire des efforts...et qui a tant de choses à nous dire!



Et que nous ne sommes pas capables de reconnaître"Les sourds, malheureusement n'ont pas de canne blanche" (P. 115)



Mais les temps changent..La langue des signes est dorénavant une langue, admise par l'Education nationale qui l'ignorait, il y a quelques années encore. Dorénavant, tout étudiant, sourd ou non, peut passer les épreuves orales du baccalauréat en langue des signes...



Mais encore la majorité d'entre nous est bien incapable d'entendre ce qu'ils ont à nous dire!

"Qu'importe la surdité de l'oreille, quand l'esprit entend? La seule surdité, la vraie surdité, la surdité incurable, c'est celle de l'intelligence" (Victor Hugo)
Lien : https://mesbelleslectures.co..
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La villa du jouir

Après cette sulfureuse lecture, je suis époustouflé. Tant et tant que j'en éprouve beaucoup de difficultés à en commencer une critique.

J'ai découvert ce livre grâce au blog d'Anne Bert, écrivaine dont j'admire la plume. C'est donc en toute confiance, face à son jugement, que j'ai téléchargé ce roman.

Marc est un écrivain à succès. Il rencontre, lors d'un salon littéraire à Berlin, une jeune et très troublante femme; Hannah. Séduit, il passe avec elle le reste de son séjour, un désir intarissable anime ce nouveau couple mais Hannah, mystérieuse, repart sans laisser ses coordonnées, si ce n'est un contact téléphonique. Hannah appelle Marc pour le retrouver à Paris. Elle se dévoile et lui avoue qu'elle n'est qu'un appât, qu'elle est la pour recruter Marc pour le compte d'une princesse russe (titre qu'elle doit à son mari), originaire du Nigéria. La princesse veut que Marc rejoigne son harem de mâle, tous dévoués au plaisir de la maîtresse des lieux qui a pour nom : la villa du jouir.

J'arrête là le résumé, je vous conseille fortement cette lecture et préfère que vous découvriez l'histoire par vous même.

Le titre est aguicheur mais ici, nous sommes en présence d'une magnifique littérature. Evidemment que le thème principal de ce roman est l'érotisme. Soumission, domination. Mais n'y cherchez pas le standard du genre. Si ce n'est une courte scène de punition, où l'on devine qu'aucun des participants n'apprécient les châtiments corporelles, la soumission est ici d'avantage psychologique que physique. Et à qui, Marc devenu Adonis, pour la durée de son séjour à la villa, est-il soumis? A son désir pour la princesse, à son sexe, au plaisir?

Ici, aucune concession à la pudibonderie. Les scènes d'érotisme sont crues à souhait, sans jamais tomber dans la basse pornographie ou la trivialité. Ce livre est écrit dans un rythme rapide, provocant l'émois. Le style est riche, l'histoire passionnante. Quand on atteint la dernière page, on en reste désœuvré, on éprouve un regret, un seul, c'est que le roman est déjà fini.

S'il y avait eu une étoile de plus pour coter ce roman, je pense que je l'aurais ajouté.

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Malentendus

Ce jour-là, le monde d'Yves Laporte s'écroule. Ce jour-là, son existence bourgeoise bien réglée vole en éclats. Ce jour-là, les projets qu'il avait pour un de ses enfants sont anéantis, d'un mot. Jamais, il n'aurait imaginé une sortie de route comme celle-ci, jamais. Ce jour-là il apprend que Julien, son second fils, alors âgé d'un an, est sourd.

Effaré par cette annonce, il refuse d'abord d'y croire. Mais face au corps médical, il n'y a aucun doute possible sur la surdité de Julien. Alors, Yves Laporte va se donner les moyens et se battre comme un lion en cage pour « faire parler » son fils.

On est dans les années soixante, la « langue pure » est préconisée. A coups de séances d'orthophonie, Julien apprend à oraliser, des années durant. Très tôt, il est appareillé. L'implant émet des sons aigus atroces, et tombe souvent.

Pour la majorité des gens de cette époque-là, il est mal vu d'être sourd. La personne qui n'entend pas est un être différent, une sorte de monstre, une personne imparfaite, voire un demeuré. Yves Laporte va donc s'acharner à « réparer » son enfant... Et tout cela, il le fait « par amour » dit-il.

Toute son enfance, Julien est isolé des entendants parce qu'il n'entre pas dans le moule, et est mis à distance des autres sourds pour ne pas être contaminé par la langue des signes, ce langage officiellement banni de l'éducation des sourds (la langue des signes française a été reconnue comme langue à part entière par la loi du 11 février 2005). L'interdiction d'enseigner la langue des signes dans les écoles a été levée dans les années quatre-vingt-dix ! Les oralistes considéraient que les sourds devaient apprendre à parler pour s'intégrer au mieux dans la société. Dans certains établissement, on attachait les mains des sourds dans le dos pour éviter qu'ils ne signent...

Adolescent, Julien découvre qu'un langage des signes existe. Furieux, il prend son envol. Il quitte la maison familiale avec rage et se rend à Paris pour en savoir plus sur cette méthode. Il parviendra à dompter son handicap, deviendra professeur, se mariera, aura des enfants... et ne reverra jamais ses parents.

Un passé pesant, une famille entière décimée. Un énorme gachis à cause d'un père, qui en souhaitant le meilleur pour son fils, n'a jamais vraiment pris le temps de l'écouter.

Un roman familial déchirant. Un sujet mal connu enfin éclairé. Une réalité surprenante. Un narrateur très présent et investi qui s'adresse au lecteur. Un auteur impliqué (père lui-même d'une fille sourde). Une écriture sensible.


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Malentendus

A travers l'histoire de Julien né sourd dans les années 60, l'auteur aborde l'histoire terrible des sourds au XXème siècle (stérilisé les sourds, mains attachées pour ne pas utiliser la langue des signes qui a même été interdite à un moment....), On retrouve aussi les thèmes du rejet des personnes différentes et de la place du handicap dans le noyau familial. Dans ce roman , il y a une part autobiographique car l'auteur à lui même une fille atteinte de surdité et une part de fiction car le garçon est né dans les années 60. Ce livre ne peut pas vous laissez indifférent...
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Le Bonhomme Pons

Je viens de faire une fort étonnante - mais aussi fort réjouissante - expérience littéraire !

Les éditions Belfond viennent en effet de lancer une toute nouvelle collection, judicieusement intitulée « remake », inspirée d’une pratique cinématographique courante consistant à donner une nouvelle version d’une œuvre du passé.

J’avoue que l’adaptation de ce concept m’a intriguée. Ayant longtemps été une grande lectrice des auteurs français du XIXe siècle, et notamment de Balzac, mon attention a été inévitablement attirée par Le bonhomme Pons.



Et là, phénomène étrange, les longues descriptions, les digressions, rebutantes pour certains lecteurs et que, pour ma part, je n’avais jamais ressenties comme telles, ni même vraiment perçues chez Zola, Flaubert ou donc Balzac - sans doute parce qu’ils étaient les seuls auteurs que je fréquentais dans mon adolescence, et même un peu plus tard, et que ces commentaires de nature historique ou sociologique, voire philosophique me paraissaient donc tout à fait naturels -, et bien ces structures narratives auxquelles je ne suis plus du tout habituées aujourd’hui me sont soudain apparues comme une manière très particulière, évidemment fortement ancrées dans leur époque. Cela peut paraître évident. Mais il me fallait sans doute ce recul donné par des années de lectures différentes, contemporaines, pour le percevoir avec autant de netteté. Toutefois je m’empresse de préciser que j’ai adoré les retrouver !



Il faut dire que Bertrand Leclair excelle à se couler dans le style balzacien. N’était-ce l’objet de son récit, qui nous rappelle sans cesse qu’il nous parle d’un homme et de la société d’aujourd’hui, on pourrait par moment vraiment croire que c’est Balzac lui-même qui a écrit certaines phrases !

Et c’est là que réside le deuxième effet troublant de ce livre : on se trouve exactement dans la même position qu’un lecteur du XIXe siècle qui lisait l’un des auteurs cités plus haut. Car quels que soit l’enthousiasme, l’admiration, l’émotion que j’ai pu avoir - et que tout autre lecteur d’aujourd’hui puisse ressentir - à leur lecture, on est en décalage ; la réalité qui est dépeinte n’est pas la nôtre ; on ne saisit pas toutes les allusions, on ne connaît pas toutes les personnalités impliquées, les lieux ont changé, les vêtements, les pratiques, les modes de transports, les métiers ont évolué... Tout cela a un caractère historique, daté.

Quand on lit du Balzac sous la plume de Leclair, on est dans notre univers. Qu’il évoque les pages du supplément « Argent » du Monde, l’affaire Courroye, les communautés des années flower power ou encore l’invasion par les bobo de la rue Saint-Blaise dans le XXe arrondissement de Paris, tout cela fait écho à un monde qui dépasse largement les pages du roman, à notre monde. Notre lecture se nourrit alors de notre propre perception des événements ou des éléments mentionnés. Et cette dimension-là, bien évidemment, je n’ai pas pu en faire l’expérience lorsque je dévorais toutes ces oeuvres que j’ai tant appréciées.



Il existe néanmoins un trait d’union entre le XIXe siècle de Balzac et le XXIe de Leclair : il s’agit des thèmes traités. Ce qui est dit, dans les deux cas, c’est l’insolence des possédants, la marchandisation de l’art, la pauvreté des esprits bornés à la seule valorisation financière des productions humaines. Les vices que relevaient Balzac, loin d’avoir disparu, sont aujourd’hui poussés à leur indécente extrémité...



Avec quelques années d’écart, cette lecture surprenante me permet de poser un regard différent sur mes lectures de jeunesse, de les réévaluer, et c’est aussi inattendu que troublant et passionnant !



Et la bonne nouvelle, c’est qu’il y a un un remake de Bouvard et Pécuchet dans la même collection...


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Le Vertige danois de Paul Gauguin

Tout d'abord, je tiens à remercie Babelio et les éditions Actes sud pour l'envoi de ce titre. D'après mon ressenti, le vertige danois de Paul Gauguin de Bertrand Leclair est plus proche d'une biographie romancée que d'un roman. Toutefois la lecture en est aisée et vivante. Le récit est admirablement documenté, captivant et animé notamment grâce à l'emploi de citations de la correspondance de Gauguin. Des recherches sur la critique picturale et l'époque nous immergent dans ce Danemark de la fin du XIXè siècle avec réalisme. Ce livre est un hommage à la persévérance de Paul Gauguin qui a dû faire face à d'énormes difficultés pour maintenir sa vocation picturale. Il n'avait pas l'appui de ses proches, bien au contraire, il était dénigré. Il n'avait plus de statut social bien établi, ce n'était plus le pilier de famille. Il était méprisé par sa belle famille autant dans son rôle social que dans la voie picturale qui était la sienne, bien éloignée de l'Ecole danoise et des ventes qui auraient pu subvenir au bien être de ses enfants. La fiction remplit les blancs qui ne sont pas exposés par la correspondance, la pudeur parfois du peintre quant à son malaise et à une partie de ses difficultés. Au contraire nous sommes en présence du portrait d'un homme torturé et à la fois puissant dans sa conviction que la peinture est toute sa vie.
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Par la ville, hostile

Deuxième livre que je lis de cet auteur et je dois dire qu'il doit avoir la particularité de choisir des thèmes qui sont poignants. La il aborde l'expulsion d'une personne en nous faisant pénétrer dans l'esprit de l'huissier et de l'expulsée. Son style d'écriture nous permet de ressentir l'oppression , la force de la violence sociale sur un drame qui arrive malheureusement très souvent de nos jours. Livre poignant, touchant.
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La villa du jouir

Un roman psycho-érotique qui décrit la lente capitulation face au désir sexuel d'un homme. Les descriptions des scènes sexuels, de la vie dans la villa sont prenantes, absorbantes, la tension sexuelle que subissent les personnages est presque palpable au travers des pages que l'on tourne. Au fil des pages, l'auteur fait tomber nos principes uns à uns comme il le fait avec le personnage principal qui est Marc et qui deviendra Adonis. Si l'amour pour Hannah et la curiosité sont les appâts qui attirent notre jeune auteur à la villa, c'est le désir sexuel et l'amour pour la princesse qui vont l'amener à se libérer peu à peu et à aller toujours plus loin dans l'acte sexuel. Rien ne lui sera épargné, La princesse manipulant Marc comme un chef d'orchestre ou un fin stratège qui avance ses pions sur l’échiquier sachant par avance que le résultat sera échec et mat.

Marc n'est pas seul dans la villa pour satisfaire le désir insatiable de nos trois jeunes femmes et des invités occasionnel de la villa. Il partage son quotidien avec quatre autres esclaves sexuels qui sont tous différents.



J'ai aimé cette approche de l'histoire ou ce sont des femmes qui sont aux commandes et qui imposent leur volonté aux hommes. La plupart des œuvres érotiques mettent aux commandes des hommes qui imposent leurs volontés à des femmes. C'était rafraîchissant et troublant de s'imaginer à la place d'Adonis.

On comprend aisément sa détresse à la fin du livre et l'on partage sa nostalgie.



Le style de l'auteur est directe et sans détour, il décrit avec franchise chaque scènes, chaque gestes et mets en scènes les personnages dans des situations qui vont au-delà de ce qu'on peut avoir l'habitude de lire. C'est effectivement une œuvre qui nous amène dans une autre dimension du plaisir.





Merci à Babelio et aux éditions Safran
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Surveillances

Douze nouvelles pour parcourir les univers actuels, réels, fantasmés, anticipés ou réagencés, des surveillances de masse et des soumissions plus ou moins librement consenties.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2020/10/27/note-de-lecture-surveillances-collectif/
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Perdre la tête

Il est extrêmement rare que j’accepte l’envoi d’un livre de la part d’un écrivain : si la rencontre ne s’opère pas, il est bien trop délicat d’exprimer une déception sans blesser l’auteur, même en y mettant toutes les précautions... Pourtant, lorsque Bertrand Leclair m’a aimablement proposé de m’envoyer son dernier roman, je n’ai pas su résister ! Mais il faut dire que chacun des deux titres que j’avais précédemment lus de lui avaient fini dans ma sélection des meilleurs livres de la saison... Et puis, Perdre la tête, cela avait tout d’une délicieuse promesse...



J’ignorais parfaitement à quoi m’attendre, et je n’ai pas voulu savoir quel en était le sujet avant d’entrer dans le texte. J’avais envie de me laisser surprendre, et je crois que j’ai bien fait, tant il paraît difficile de résumer ce livre, ou d’en dévoiler la trame, sans passer à côté de ce qui en fait le sel. Mais si je devais toutefois le faire en deux mots, je dirais qu’il s’agit d’un écrivain qui se réveille dans une chambre d’hôpital, en Italie, suite à une rocambolesque escapade amoureuse avec la femme d’un riche marchand d’art, qui pourrait bien être lié à la mafia.

Présenté ainsi, cela peut sembler un brin déconcertant. Mais Bertrand Leclair nous invite d’emblée à suivre son personnage dans les méandres - fort sinueux - de son esprit pour nous offrir une étourdissante histoire, dans laquelle ce qui se joue relève tout à la fois de la fiction la plus échevelée et des questionnements sur l’écriture.

Lorsque Wallace se repasse le film des surprenants événements qui viennent de lui arriver, alors qu’il est cloué sur un lit médicalisé, c’est autant pour essayer de les comprendre que pour tenter d’en écrire le roman. Mais sans doute serait-il plus juste de dire qu’il tente de les écrire pour s’efforcer de les comprendre...



Car, ce qui fait la particularité de Wallace, c’est qu’il est à la fois personnage, auteur et narrateur. L’auteur du roman que nous avons nous-mêmes entre les mains l’interpelle sans cesse, alternant la deuxième et la troisième personne, parfois même la première, comme il observerait un cobaye pour mieux approcher ce qu’il est lui-même en train d’accomplir en tant que romancier : comment naît le geste d’écriture, qu’est-ce qui préside à la création d’un livre, comment s’y mêlent l’imagination et l’expérience vécue de celui qui écrit... produisant ainsi un subtil effet de mise en abîme.



Il faut accepter de se laisser prendre par ce texte sans opposer de résistance, accepter d’être parfois un peu décontenancé. Mais sachez que cela se fait aisément grâce à la très belle écriture que Bertrand Leclair cisèle tel un orfèvre.

Et comme on est du côté du jeu et non d’une ennuyeuse et prétentieuse entreprise littéraire, on rit aussi beaucoup. Ce qui n’est pas la moindre des qualités de ce roman !
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Le Vertige danois de Paul Gauguin

Beau roman de Bertrand Leclair sur la période où Gauguin a vécu avec sa femme et ses cinq enfants au Danemark. On découvre la passion dévorante de Gauguin pour son art, son incapacité à faire autre chose et à gagner de l'argent pour nourrir sa famille, le désespoir et la colère de sa femme devant ce manque d'argent. L'auteur nous dévoile les tensions du mariage, les jugements radicaux de la belle famille du peintre. Il nous décrit un homme déchiré, mal dans sa peau, vivant dans une perpétuelle crise et dans un environnement de colère permanente et mépris. Il s'agit aussi d'une période où Gauguin écrit, nous parle de peinture et quels mots, nous sommes heureux de les lire et de partager sa vision de son art.





En outre, Bertrand Leclair écrit très bien et c'est un plaisir de découvrir ses phrases et ses réflexions sur la peinture. Je recommande. Les pages se tournent avec aisance.

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Malentendus

"Malentendus" est un ouvrage fort de part les thématiques qu'il aborde : l'histoire de sourds, la haine de l'autre -celui qui est différent-, la place du handicap dans le noyau familial, etc. Mais "Malentendus", c'est surtout l'histoire d'un père qui voulait bien faire et qui n'a pas compris : compris qui était son fils, compris sa différence, ses faiblesses mais surtout ses forces. Ce père qui a tout perdu en voulant nier le handicap et changer son enfant en une personne qui correspondait à son idéal.

C'est aussi la destinée incroyable d'une personne sourde qui a vécu plusieurs vies : celles d'un enfant-monstre au pays des entendants, celle d'un professeur respecté, d'un bon père de famille, mais d'un homme sans passé aussi, dans le monde des sourds...



"Malentendus" est édifiant sur les difficultés posées par la surdité, leur impact sur une cellule familiale et sur la construction identitaire des individus. Des questionnements, des choix difficiles, des erreurs commises, parfois irréversibles... Le lecteur est sans cesse confronté à ces questionnements, invité à prendre parti pour ensuite revenir à une position plus objective.



Bertrand Leclair dévoile les parcours de vie atypiques des personnes sourdes qui luttent, encore aujourd'hui, pour se faire accepter et avoir une place légitime dans notre société entendante.



Si le style est parfois difficile d'accès,voire à certains moments déstabilisant, (écriture au fil de la pensée de l'auteur, restitution brute des souvenirs, des faits, des émotions, des rencontres), le récit n'en demeure pas moins authentique et touchant.
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Aux confins du soleil

Certains romans se lovent à même la chair des histoires vraies, de la grande histoire comme de celles, anonymes et secrètes, des vies minuscules. Ils rongent leurs tissus jusqu’à débusquer dans le flux du passé un trouble, un tremblement, un point d’inachèvement où l’écriture puisse s’engouffrer et se déployer. Aux confins du soleil fait partie de ces romans.
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Le Vertige danois de Paul Gauguin

Il y a quelques jours, je vous parlais d'un ouvrage récemment paru regroupant d'anciens écrits de Bertrand Leclair et rendant compte d'une réflexion sur la personnalité et le geste artistique de Paul Gauguin. Ces différentes études débouchèrent par la suite sur un roman. Cela ne vous surprendra pas - et si vous ouvrez à votre tour ce Chantier Gauguin, sans doute aurez-vous envie de faire la même chose que moi - je me suis précipitée sur le vertige danois à peine les pages de ce recueil refermées...



Bertrand Leclair a choisi de scruter un moment très précis de la vie de Gauguin, celui où il va définitivement laisser derrière lui sa femme, ses enfants, et renoncer à toute tentative de répondre aux injonctions sociales, pour se consacrer entièrement à la peinture.



Gauguin est-il cet enragé qui envoya tout au diable pour partir au bout du monde, avec son art pour seul viatique ? Est-il cet albatros célébré par Baudelaire, ce génie incompris, cette victime sacrificielle se résignant à souffrir pour prix de sa création ? Les mythes ont la vie dure, et il faut dire que nous n'aimons rien tant qu'en auréoler nos idoles.

Mais les choses ne sont jamais si simples, et Bertrand Leclair le sait bien. A travers la lecture attentive de la correspondance de Gauguin ainsi qu'une fine analyse de ses oeuvres, il a su déceler la tension qui se jouait au plus intime de l'artiste, dont les quelques mois passés en 1885 à Copenhague furent l'acmé, précipitant ainsi son destin. Et c'est bien cela qui intéresse l'écrivain: entre l'image du peintre dénué de talent, de raté incapable même de subvenir aux besoins de sa famille que son entourage lui renvoie, et sa conviction profonde d'être un artiste dont le génie finira tôt ou tard par éclater au grand jour, Gauguin oscille, chancelle et peine à se fixer un cap.

Leclair nous le montre dans toute son ambivalence, entre arrogance et désarroi, entre rage et détresse, balançant entre son amour et sa responsabilité de père et l'élan qui le pousse vers la peinture. Il le dépouille de toute aura sulfureuse ou hagiographique pour nous le montrer simplement humain, ce qui signifie dans son cas un être cherchant à atteindre, ou au moins toucher du doigt, quelque chose qui le dépasse.



Dans ce texte d'une splendide densité, avec l'art du mot juste et la force de la formule qui claque, Bertrand Leclair nous permet de pénétrer au plus intime de la psyché de Gauguin pour nous faire vivre ce moment de vertige où l'artiste prit définitivement son essor, fût-ce à son corps défendant. Car c'est bien son épouse - ou la famille de celle-ci, c'est tout comme -, qui le poussa hors du foyer pour le précipiter vers son destin. C'est du moins ce que prétend croire Gauguin. Sans doute lui fut-il plus facile de l'entendre ainsi. Mais une chose est sûre, c'est qu'il mit alors toute sa détermination et sa rage à s'affirmer comme ce sauvage qu'on lui reprochait d'être pour se dédier à ce qui était l'épicentre son existence : la peinture.





Un texte qui apportera sans nul doute un précieux éclairage pour la visite de l'exposition "Gauguin l'alchimiste" qui se tient actuellement au Grand Palais.
Lien : http://delphine-olympe.blogs..
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