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De façon plus générale, comme toute technologie la blockchain est un "enabler", et non une solution. Elle ne pourra pas fonctionner sans une volonté politique et une validation par la justice des dispositifs créés. Il est donc peu probable que la blockchain se passe des institutions.

Face à la blockchain, l’Etat est Janus : d’un côté, il aura la tentation d’interdire et de contrôler, d’autant que les professions menacées comme celles des notaires ne resteront pas sans rien dire. Mais tout l’intérêt du caractère décentralisé de la blockchain risquerait alors d’être atténué.
D’un autre côté, il faudra bien, à moins de rester dans le virtuel, qu’une jonction se fasse entre d’une part ce que la blockchain permet et d’autre part la vie réelle - notamment en termes de reconnaissance juridique -. Certains technophiles ou utopistes imaginent certes un monde sans Etat ; mais dans le cas des titres de propriété, par exemple, ces titres devront bien être reconnus juridiquement.

La technologie n’est jamais une solution : celle-ci ne vient que des usages. L’important est donc de voir ce que rend possible la technologie, et de développer des stratégies qui intègrent les possibilités apportées par la blockchain.

La blockchain, une menace pour les institutions ? par Julien Lévy, Professeur affilié à HEC Paris, Directeur du Centre Digital d'HEC, auteur de l'étude annuelle Netexplo Trend report
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Le premier enjeu est un enjeu de scalabilité, c’est-à-dire de passage à grande échelle. La blockchain n’est actuellement pas encore véritablement mature. En termes de blockchain publique, la blockchain Bitcoin est considérée comme la seule véritablement robuste à l’heure actuelle, même si celle d’Ethereum progresse rapidement. Cela étant, la blockchain Bitcoin présente des contraintes techniques qui freinent un éventuel déploiement massif et généralisé (ce qui n’est pas forcément son but d’ailleurs) : citons ainsi le temps de dix minutes pour valider une transaction, qui permet d’assurer une sécurité du réseau mais qui n’est pas adapté pour utiliser le bitcoin en tant que moyen de paiement courant, ou encore la limite des sept transactions maximum par seconde, à comparer aux 2000 en moyenne d’un réseau comme Visa.

En lien avec ces limites techniques figure un enjeu de gouvernance. Les choix technologiques du bitcoin sont en effet décidés par sa communauté. Celle-ci connaît périodiquement des débats voire des conflits sur les décisions à prendre. Début 2016, les acteurs du bitcoin se sont ainsi divisés entre les partisans d’une augmentation de la taille des blocs (limités à 1 mégaoctet à l’heure actuelle) et les défenseurs d’une réduction de la taille de chaque transaction. Parmi ces derniers, certains plaident également pour la création de "sidechains", des blockchains secondaires rattachées à la blockchain originelle qui géreraient notamment les micro-transactions, sans que cette proposition ne fasse elle non plus le consensus. Les débats sont donc aujourd’hui loin d’être tranchés et conditionneront le développement à venir du bitcoin.

A tout cela s’ajoute plus globalement un défi majeur pour les blockchains : parvenir à créer une expérience utilisateur qui leur permettrait d’être utilisée par tout un chacun. Nous en sommes encore loin aujourd’hui mais il s’agit avant tout d’une question de temps, de la même façon que le réseau Internet a préexisté au Web (la principale application d’Internet, qui permet la publication et consultation de documents - textes, sons, images...- et qui utilise les techniques de liens hypertextes) et aux navigateurs internet.

Par ailleurs, un autre enjeu essentiel réside dans la consommation énergétique, très élevée, des blockchains utilisant le système du proof-of-work – c’est-à-dire Bitcoin en premier lieu, et Ethereum jusqu’à 2017, avant le basculement vers un système alternatif intitulé proof-of-stake justement pour réduire cette consommation. Si aucune étude scientifique et académique n’a pu évaluer précisément l’impact du proof-of-work sur l’environnement, il est en tout cas certain que ce processus de sécurisation du réseau passe, par nature, par un gaspillage d’électricité très important. Le développement des blockchains ne pourra s’exonérer de cette question-là.

Enfin, s’ajoutent à tout cela des questions juridiques et éthiques majeures, par exemple en termes de responsabilité, sans parler des enjeux plus culturels et humains liés à l’acceptation des concepts sous-jacents à la blockchain, qui redéfinissent un certain nombres de paradigmes actuels.
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Dans le monde numérique, et au-delà, la blockchain s’est imposée comme le grand sujet de l’année 2016. "Technologie révolutionnaire", "machine à créer de la confiance", "innovation de rupture d’une ampleur inédite"... : les superlatifs s’accumulent peu à peu dans les médias au fil des semaines.

Pourtant, tout comme le phénomène d’"uberisation" avait cannibalisé l’année 2015 en étant employé - parfois - de façon excessive, la blockchain court aujourd’hui le danger de devenir un simple buzzword, brandi comme symbole d’une "disruption ultime", sans être pourtant véritablement compris par ceux qui en parlent.
Ces derniers mois, nous avons entendu beaucoup de choses sur la blockchain, des projections les plus fascinantes aux affirmations les plus douteuses. Huit mois après la Une de The Economist ("Comment la blockchain pourrait changer le monde"), que l’on peut considérer comme le départ de l’emballement autour du sujet, il nous a donc semblé important de mettre "pause" sur cette machine médiatique, afin de prendre le recul nécessaire pour analyser les ressorts du phénomène blockchain.

Pour dépasser les effets d'annonce et saisir la réalité du terrain, nous avons rencontré celles et ceux qui font et pensent les blockchains. Leurs points de vue et nos synthèses avaient nourri le site de Blockchain France. Mais pour prendre le temps de l’apprentissage, de la réflexion, et pour inscrire cette technologie dans le temps long de la diffusion et du débat public, il était nécessaire de leur donner la parole plus longuement. C’est l’objet de ce livre.

Nous avons ainsi choisi 20 voix pour vous raconter cette technologie dans sa richesse et sa complexité. Cette combinaison de la parole directe des acteurs de la blockchain et d’un volet de découverte didactique, c’est le panorama d’une révolution. Ce livre est destiné à tous ceux qui veulent découvrir la blockchain, la comprendre en profondeur et élargir leurs horizons.
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La blockchain n’en reste pas moins un outil au potentiel important pour mettre en place des systèmes plus sûrs, plus intuitifs et plus collaboratifs, capables de créer un système assurantiel recentré sur ses utilisateurs.
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Il existe dans la nature des exemples impressionnants de ce que l’on appelle l’intelligence collective. Les termites, par exemple, qui travaillent ensemble à l’établissement de leurs immenses monticules ; ou les oiseaux migrateurs, qui fonctionnent en parfaite coordination sur des distances phénoménales sans que nulle part un être ou un groupe d’individus n’émette d’ordre à ce sujet.

On sait aujourd’hui que cette coordination est produite indirectement, par le fonctionnement et la lecture notamment de traces, y compris hormonales. C’est donc la lecture a posteriori de ces traces laissées par les autres membres du groupe qui permet l’émergence de ce qu’on appelle "l’intelligence collective", sans que nulle part on ne puisse vraiment rencontrer cette intelligence elle-même. Les biologistes l’appellent la stigmergie. Elle est à la fois le fruit de la somme des intelligences individuelles du groupe, et plus que cela à la fois.

Cette idée d’agréger une multitude de petits travaux individuels pour réaliser quelque chose de supérieur à la somme des parties n’est certes pas nouvelle pour les humains, qui se sont très tôt constitués en organisations destinées à accomplir certains objectifs. Mais si on se penche sur les réalisations les plus imposantes et les plus immédiatement visibles, les Pyramides d’Egypte ou des domaines Aztèques, la Grande Muraille, le Colisée, et plus récemment nos gratte-ciels partout dans le monde, on constate qu’aucune n’est le fruit d’une intelligence collective humaine. Elles sont pratiquement toujours le fruit des ordres données par une ou plusieurs personnes, bien souvent complètement absente de la mise en œuvre technique.

Aujourd’hui le mode de décision prôné dans la majorité des discours est devenu celui du marché, du Winner takes all, réputé plus efficient qu’une prise de décision hiérarchique. Pourtant, la compétition (puisque c’est elle qui est au cœur de la logique de marché) n’est pas toujours le meilleur moyen d’allouer les ressources. On peut prendre comme exemple très simple la Recherche et Développement sur les sujets pharmaceutiques, aujourd’hui compartimentée en autant de silos qu’il existe de laboratoires, tous lancés dans une course dont les termes sont simples: le premier qui dépose le brevet gagne. Se demander si la mutualisation des ressources et des hommes sur ces sujets-là ne serait pas meilleure pour le bien public, c’est prendre conscience des limites de la gouvernance systématique par le marché.

La question qui se pose est donc de savoir s’il nous est possible, à nous humains, d’atteindre en partie cette forme d’intelligence collective déployée par d’autres espèces, et de l’appliquer à des buts plus ambitieux que la création d’une termitière. Ce ne serait pas la première fois que l’on imiterait la nature dans ce qu’elle sait le mieux faire. Elle nous a donné envie de voler ; pourrait-elle nous conduire vers des formes d’organisations plus horizontales et plus efficientes ?

A mon sens, la blockchain est un outil capable de nous amener vers cette intelligence collective.

Perspectives et enjeux des blockchains de demain - Primavera de Filippi, Chercheuse au Cersa (CNRS) et au Berkman Center for Internet & Society à l'université d'Harvard
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Prenons deux exemples pour montrer à quel point les choix de développement sont révélateurs d’un choix de société.

Prenons par exemple les inégalités sur Bitcoin. Le coefficient de Gini, qui est un instrument utilisé par tous les pays pour mesurer l’écart de richesse au sein de leur population, est infiniment plus élevé dans Bitcoin que dans nos sociétés modernes, pourtant passablement inégalitaires ; plus révélateur encore, il continue de croître avec la montée en puissance du réseau. En réalité, nous assistons à un jeu de Monopoly : au départ, nous étions tous égaux devant Bitcoin, mais ceux qui ont pris de l’avance en début de jeu gagnent à la fin. "Plus tu gagnes, plus tu gagnes" : il n’existe dans Bitcoin aucun mécanisme redistributeur qui permet de protéger des distributions de valeur plus équilibrées.

Or ce choix-là n’est pas une nécessité. On peut faire appel à d’autres systèmes, comme ceux décrits par Christopher Boehm (Hierarchy in the Forest) ou Pierre Clastres (la Société contre l’Etat), pour comprendre l’importance des systèmes de contre-hiérarchie. Ainsi dans ces sociétés de chasseurs-cueilleurs les femelles et les mâles bêta prennent le pouvoir contre les mâles alpha et mettent en place des mesures pour limiter leur domination. Ce sont des exemples connus mais qui illustrent un fait : un système qui n’a pas de contre-pouvoir va nécessairement virer au monopole. Il s’agit d’un choix à faire au moment d’en fixer les règles.

Un second exemple pourrait être la fameuse "longue traîne" décrite par Chris Anderson. Il s’agit de cette idée de dissocier d’une part les "gros succès", qui attirent individuellement l’attention, et la multitude de petits succès qui viennent ensuite, mais dont la somme peut être collectivement supérieure à celle des " hits" en terme d’impact. Cette économie secondaire, alternative, crée à son échelle un système fondé sur des micro-choix.

Or cette longue traîne n’est pas permise par Amazon, ni Google et consorts parce qu’en leur cœur réside un algorithme qui crée de la concentration. A l’inverse, Jamendo avait mis en place des contre-mesures qui la protégeait. Là encore, la technologie est affaire de choix, et ce choix n’est pas univoque.

Il est urgent pour nous tous de réapprendre cette vérité, puisqu’il me semble que nous l’avons oubliée. Dans les milieux technologiques, les développeurs, les hackeurs, ne la connaissent pas assez. Et une fois cette prise de conscience faite, viendra l’heure des choix : c’est ce qu’on appelle value sensitive design, c’est-à- dire prendre conscience lors de la création que celle-ci prend place dans un système de valeur, et effectuer ses choix en conscience.

Il est urgent de commencer à développer des financements de projets plus égalitaires - par exemple via les coopératives -, des algorithmes plus égalitaires, des gouvernances de plateforme - par exemple par les utilisateurs - plus égalitaires. Des exemples comme ceux du collectif Inspire en Nouvelle-Zélande sont à suivre.

On constate aujourd’hui une sorte d’automatisme, de passage apparemment obligé pour les créateurs : des jeunes, qui veulent créer une technologie, sont très vite poussés par une certaine valorisation sociale dans la culture extractive. Cette culture extractive, c’est celle des start-up, avec la volonté unique de réussir une Licorne (Nb : start-up dont la valorisation boursière dépasse 1 milliard de dollars) ou un Exit (Nb : sortie du capital rapidement après lancement et avec forte plus- value). Or une autre voie existe, même si elle n’est pas très visible. Il y a tout un travail à faire aujourd’hui envers les développeurs pour leur montrer cette autre voie.

Il faut dénaturaliser l’idée du développement de la technologie, l’idée que ce développement est naturel, que le capitalisme est naturel ... Il faut se rendre conscient qu’il s’agit de choix humains.

Or la blockchain arrive vite. Une sorte de consensus informel prédisait les prototypages en 2016, et les premiers systèmes utilisables en 2017. Sans se placer dans ce débat, je crois important de rappeler que l’on a toujours tendance à exagérer l’importance des technologies quant au potentiel de développement sur le court terme, et à les sous-estimer sur le long terme.

Souvenons-nous de la hype autour de l’intelligence artificielle, comme de celle autour de la réalité augmentée. Si cela n’a pas pris sur le moment 20, 25 ans après, nous y sommes. Il est tout à fait possible que la blockchain soit l’éléphant qui accouche d’une souris. Mais ce ne sera pas grave, et ce n’est pas pour cela que la blockchain n’aura pas d’importance ensuite, le temps qu’elle se déploie réellement. Cela peut arriver vite: on a vu avec le moteur de recherche par exemple (Nb: inventé au début des années 1990, il décolle véritablement au début des années 2000) que ce délai de montée en puissance se réduit constamment avec l’accélération technologique. Il faut s’attendre à ce que la blockchain compte vraiment dans moins d’une dizaine d’années.

Les grandes entreprises et les défenseurs du capitalisme seront les premiers à s’en saisir mais je ne pense pas que cela soit un mal. Quand on regarde l’histoire des grandes évolutions sociales, comme la grande révolution féodale du Xe siècle ou la grande révolution capitaliste du XVe siècle, le scénario est un peu le même : on est face à un système épuisé qui ne marche plus, et où tout le monde va chercher des alternatives, aussi bien les gens qui ont les moyens que les gens qui sont au bas de l’échelle.

C’est justement parce que les éléments ultra-capitalistes investissent dans ce changement qu’il pourra avoir lieu. C’est à l’intérieur des structures romaines en déclin que se sont formées les graines du changement qui allaient former la féodalité, et c’est à l’intérieur des grains du système féodal que les grains qui allaient devenir le capitalisme se sont développés. Il est naturel de penser que c’est à l’intérieur du système capitaliste en déclin que les graines des communs vont se développer.

Ce qui peut d’ailleurs amener des paradoxes, comme Facebook, parfait produit du capitalisme d’extraction et en même temps puissant encapaciteur d’auto- organisation en P2P. Le changement n’est peut-être pas encore totalement là où on voudrait qu’il aille, mais il va dans la bonne direction, et il faut s’en saisir. Ne refusons pas un outil sous le prétexte qu’il a été développé pour les mauvais motifs ; il faut garder en tête Luther au XVe siècle lorsqu’il voit à sa juste valeur le potentiel de l’imprimerie pour la diffusion de ses idées. Il faut se saisir et s’approprier les potentiels des technologies, même si elles sont en partie dominées par des forces qui ne sont pas nécessairement émancipatrices.

Les deux visages de la blockchain - Michel Bauwens, Théoricien du pair-à-pair, Fondateur de la Peer-to-peer Foundation
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Mais on l’a dit : une technologie n’est jamais univoque. Et tout n’est pas mauvais dans Blockchain.

A nouveau, il est nécessaire mettre les choses dans le contexte. On peut considérer qu’il y a toujours au moins trois couches dans l’élaboration d’une technologie. Il y a d’abord celle des financeurs de projets, qui ont une influence déterminante sur le design, puisque ce sont eux qui vont donner les ordres à ceux qui travaillent. Ensuite, il y a ceux qui développent la technologie ; ceux-ci ne sont pas des exécutants passifs, des esclaves, mais sont des créatifs, à l’image de la communauté des développeurs blockchain, et vont donc influencer fortement sur le design de la technologie. Il s’agit d’un groupe social fortement influencé par
l’éthique ‘hacker’. Enfin, il y a les utilisateurs qui ont en tout temps ‘subverti’ les technologies pour les adapter à leur besoin. La technologie est donc bien un terrain de lutte, ou des influences variées essayent d’adapter les fonctionnalités à leurs propres besoins.

Prenons l’exemple d’Internet. A l’origine, Internet est né de l’idée de militaires qui cherchaient des moyens de communications pouvant survivre à une destruction nucléaire. Puis ce sont les scientifiques qui ont repris l’idée pour en faire un réseau de partage des connaissances. Tim Berners-Lee, en inventant le World Wide Web, a ensuite crée une couche civique, qui a démocratisé l’Internet. Enfin est arrivé le commerce, qui est venu se greffer dessus et a fait tout pour qu’il y ait des contrôles, de la surveillance sur les accès utilisateurs, etc.

Internet n’est donc pas quelque chose de simple ; il y a des aspects P2P, des aspects décentralisés, des aspects centralisés, et ce sont ces couches successives qui ont fait que l’on a aujourd’hui un système finalement assez contradictoire dans son idée sous-jacente. La blockchain suit le même chemin des différentes couches de développement et de leurs motivations contraires.

Dans la blockchain, une chose m’intéresse en particulier : la promesse d’une nouvelle organisation. Il faut bien comprendre qu’Internet a pourtant déjà fait baisser considérablement les coûts de l’auto-organisation humaine, et que les individus n’ont pas attendu la blockchain pour commencer à s’organiser ; certaines études témoignent d’une croissance exponentielle des organisations citoyennes depuis une dizaine d’années. Cela étant, si nous n’avons pas besoin de la blockchain pour nous auto-organiser, celle-ci peut renforcer ce mouvement.

A mon sens, la blockchain peut représenter une deuxième couche, une seconde baisse des coûts de publication, de communication, de transaction. En créant une banque de données universelle, en créant une sécurité universelle, la technologie a le potentiel de faciliter encore davantage l’auto-organisation humaine. C’est une seconde vague d’accélération qui pourrait se dessiner, et en ce sens, il serait intéressant que des forces disons progressistes, ou émancipatrices, qui sont concernées par des valeurs comme la durabilité de la planète et une équité dans la distribution de la richesse, apprivoisent et s’approprient à leur tour le potentiel de la blockchain.

Mais dans ce cas la blockchain revêt une coloration différente. On quitte en effet le technocratique et l’individu, pour entrer dans le domaine des coopératives, des communautés productives pour soutenir des domaines comme la pêche ou l’agriculture éthiques. Dans cette approche, on réinvestit le collectif et il y a une forme de gouvernance démocratique. La blockchain pourrait être utilisée pour automatiser les accords de ces organisations-là.

On peut également trouver à la blockchain un potentiel intéressant autour de la transparence. Aujourd’hui, il existe deux principales façons dans nos sociétés d’allouer les ressources : en faisant choisir l’Etat, c’est-à-dire hiérarchiquement, ou en faisant choisir le marché, c’est-à-dire compétitivement. Mais lorsque l’on atteint un système véritablement transparent, une troisième option émerge de façon très forte : la coordination mutuelle libre.

Cette coordination mutuelle libre est déjà en action sur Wikipédia et pour Linux. L’économie de l’immatériel connait donc déjà ce qu’on appelle la stigmergie, cette possibilité pour chacun de gérer son propre effort et donc de collaborer, et ce parce que tous les signaux sont lisibles. En appliquant la transparence à la comptabilité ou à la logistique, et c’était la proposition du Livre Blanc de Provenance par exemple, il devient théoriquement possible grâce à la blockchain de passer à une économie matérielle qui fonctionne elle aussi selon le principe de la coordination mutuelle libre.

C’est une vision à mon sens très émancipatrice, puisqu’elle permet l’émergence d’un système où chaque individu peut librement allouer son temps et son énergie, et la création du même coup des ressources partageables.

Ce qui m’intéresse dans la blockchain, c’est donc son potentiel d’encapacitation ("empowerement") de l’organisation collective de l’humanité.

Des projets comme ArcadeCity, ou Backfeed, sont des projets qui peuvent être interprétés sous cet angle-là. Pour qu’ils se multiplient, il est important d’aller éduquer les forces égalitaires au potentiel de la blockchain. Car dans la blockchain comme ailleurs le constat est le même : aussi bien les investisseurs à risques que les défenseurs de l’idéal propriétaire et libertarien se montrent toujours plus rapides dans l’adoption de la technologie que d’autres parties de la société. L’enjeu de la blockchain est de s’assurer qu’elle ne s’engage pas dans une voie unique, celle de l’individu atomique et égocentré, mais qu’elle investisse bien, aussi, des valeurs qui sont celles de liberté, d’égalité de fraternité.

Les deux visages de la blockchain - Michel Bauwens, Théoricien du pair-à-pair, Fondateur de la Peer-to-peer Foundation
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Rêvons un peu. Imaginons que demain, le lien de subordination constitutif du salariat soit brisé, non au profit d'une régression vers le travail à la tâche, mais au bénéfice du libre choix de participer à des projets satisfaisant aux objectifs de chacun.

En tant qu'initiateur d'un projet, je souhaite réunir les collaborateurs qui partagent mes valeurs et dont les compétences complètent les miennes. En tant que participant, je cherche à combiner en diverses mesures la nécessité de subvenir à mes besoins matériels, l'aspiration à servir une cause désirable, le besoin de développer du lien social et l'envie d'utiliser et d'accroître mes compétences. Ce faisceau de motivations peut me conduire à me concentrer sur un seul projet, ou bien à participer à plusieurs. Dans le cadre d'un même projet, je peux être aussi invité à endosser de multiples rôles.

Nous voyons se constituer aujourd'hui de nouveaux réseaux sociaux tels que Colony ou Part-up dont le but est précisément d'offrir l'accès à ce nouveau Web collaboratif, cet univers fluide où nos aspirations et nos compétences trouvent à s'ancrer dans des projets, aussi simplement que nous hélons virtuellement un chauffeur Uber depuis notre mobile.

Au bout du compte, comment caractériser ces nouveaux modes d'organisation que la blockchain pourrait outiller ? Ils devraient tout d'abord être ouverts. Les firmes actuelles sont dotées de dispositifs de protection renforcée vis-à-vis de l'extérieur. Une organisation décentralisée se doit d'être poreuse, afin de laisser son réseau atteindre naturellement et rapidement son optimum. Cette porosité n'est pas un simple état passif, mais une capacité dynamique à inviter chaque acteur à exprimer son potentiel.

La résilience de l'organisation n'est pas affectée par son ouverture, car elle ne dépend pas d'une sélection initiale, incertaine et coûteuse ; l'accès à une position d'influence au sein de l'organisation dépend de la validation consensuelle de contributions effectives. L'influence reconnue au participant se doit d'être proportionnelle à l'engagement effectif, ainsi qu'à l'alignement vis-à-vis des valeurs du groupe. La forme naturelle de la structure de décision de telles organisations est donc méritocratique, plutôt que démocratique - même si rien n'empêche d'introduire des formes plus égalitaires de prises de décision.

Lorsqu'une rémunération rétribue l'activité des participants, il convient également qu'elle soit proportionnelle aux contributions effectives, afin de prendre en compte la diversité d'implication. Là encore, l'équité ne peut s'assimiler systématiquement à l'égalité, sauf à en faire explicitement une valeur cardinale du réseau. Des mécanismes complémentaires de redistribution - tel que le revenu universel d'existence, par exemple, - peuvent être trouvés en dehors de l'organisation.

Ouverte, méritocratique, équitable : tels pourraient être les attributs d'organisations décentralisées collaboratives. Exceller dans ces dimensions ne saurait dépendre uniquement d'une technologie, aussi puissante soit-elle. On touche ici à l'humain et au social, qui débordent de toute part l'approche techniciste. Mais il faut reconnaître le caractère transformatif de la blockchain dans cette évolution, et s'en saisir comme d'un outil irremplaçable pour substituer au pouvoir descendant de la hiérarchie la forme du consensus entre pairs, à une échelle inédite dans l'histoire des organisations.

La blockchain, catalyseur de décentralisation des organisations - Philippe Honigman, Entrepreneur, Fondateur de ftopia
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La blockchain peut être considérée comme doublement sécurisée.

Elle est d’abord sécurisée lors la création de nouveaux blocs.

● Un premier élément de sécurité repose sur le couple clé publique/clé privée, qui est un système de cryptographie dite "asymétrique". On peut comparer ce couple à celui RIB/PIN dans le monde bancaire. La clé publique est l’équivalent du RIB : elle est l’adresse publique du compte d’un utilisateur donné. Cette clé n’a pas d’autre fonction que la réception des paiements. En revanche, pour soumettre une transaction dans la blockchain, il est nécessaire de disposer de sa clé privée, unique, équivalent du PIN bancaire. Sans cette clé, il est impossible de signer numériquement ses transactions. Ainsi, personne ne peut signer de transaction au nom d’un autre individu, à moins de disposer de sa clé. Il reste bien sûr à la charge de chacun de faire en sorte que cette clé ne se perde pas et ne soit pas révélée.

● Deuxièmement, la validation des blocs est soumise à un processus que l’on appelle le "minage". Celui-ci vise à certifier certains éléments (l’authenticité des transactions, l’identité des parties, etc.) sans avoir recours à un intermédiaire de confiance ou une autorité centrale. Ceux qui vérifient les transactions sont les mineurs. Ils ne vérifient pas transaction par transaction mais bloc par bloc, un bloc étant constitué de plusieurstransactions. Des procédés comme la Preuve-de-Travail (Proof-of-Work) assurent l’objectivité de leur validation.

D’autre part, elle est sécurisée grâce à sa réplication sur l’ensemble des nœuds du réseau. En effet, le registre étant dupliqué autant de fois que le réseau comporte de nœuds, il faudrait, pour falsifier une transaction, corrompre simultanément plus de la moitié de ces nœuds. En cas de tentative de fraude, la majorité des serveurs détecterait rapidement une incohérence par rapport à l’historique du système : la fraude serait donc repérée et rejetée.

Il reste certes possible, sur le papier du moins, de corrompre plus de la moitié des nœuds du réseau et d’installer sa propre "vérité" : c’est l’attaque dite des 51 % ("Goldfinger"). Cependant, une telle attaque, en plus d’être extrêmement coûteuse (et donc à la portée d’extrêmement peu d’organisations), n’aurait aucune garantie de réussite. En effet, chaque nœud a toujours le choix de ne pas accepter le nouveau consensus créé par le fraudeur, et de continuer une chaîne de blocs parallèle.

Depuis sa création, la blockchain de Bitcoin n’a ainsi jamais été "hackée". En 2010, soit au tout début du Bitcoin, une faille dans le protocole a permis l’émission de plusieurs milliards de bitcoins frauduleux ; la faille a cependant été repérée immédiatement, et en quelques heures ces bitcoins furent retirés de la circulation.

Par ailleurs, les affaires de bitcoins volés apparues parfois dans les médias s’expliquent simplement par le fait que ce sont les plateformes internet qui contenaient les clés privées des détenteurs de bitcoins qui ont été piratées, et non la blockchain Bitcoin elle-même. Ces utilisateurs n’étaient pas allés au bout de la logique Bitcoin, qui nécessite, pour bénéficier entièrement du caractère sécurisé, de ne pas transiter par un intermédiaire, et de stocker ses clefs privées à froid, sur un disque dur externe par exemple.
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Il est toujours surprenant de se souvenir que l'entreprise telle que nous la connaissons n'a pris son essor qu'il y a deux cents ans. La prédominance de cette forme sociale est telle aujourd'hui qu'il est difficile de penser la production économique en dehors de son cadre. En 1980, la part de l'emploi salarié a atteint 90% aux Etats-Unis !

Les économistes se sont préoccupés des raisons de ce succès fulgurant. Les travaux nobélisés de Ronald Coase, en particulier, ont montré que la firme disposait de l'avantage de coûts de transaction moins élevés que le marché libre, lorsqu'il est nécessaire de faire travailler ensemble de nombreuses personnes de façon prolongée. La recherche de ressources qualifiées et la négociation de conditions satisfaisantes pour les parties entraînent des coûts élevés. Embaucher et débaucher des travailleurs en fonction de la demande devient une stratégie plus coûteuse que leur intégration à long terme sous la forme d'un contrat de travail.

On peut du coup se poser la question de la limite à la croissance de la firme. Si ce modèle d'organisation sociale de la production est plus efficace que le marché libre, comment se fait-il que nous constations des limites à la croissance des entreprises ?

Une réponse tient aux limitations humaines en matière de planification et de coordination. Nos ressources cognitives ne nous permettent de travailler étroitement qu'avec un petit nombre d'individus. Une autre limite bien connue, celle du nombre de Dunbar, rappelle que nous ne pouvons entretenir de relations directes qu'avec environ 150 personnes, au maximum.

Face à ces limitations, nous avons inventé la hiérarchie de commandement et de contrôle, s'appuyant sur des procédures opératoires standardisées, associées à des fiches de postes elles-mêmes insérées dans un organigramme structurant l'ensemble de l'entreprise.
L'efficacité de ce dispositif a largement fait ses preuves. Cependant, l'accroissement de la taille d'organisations hiérarchiques va de pair avec une complexification des systèmes de décisions, des coûts de coordination interne élevés, et un manque d'agilité, en particulier dans des environnements marqués par des changements rapides.

A partir d'une certaine taille, tout se passe comme si l'organisation est peu à peu paralysée par son propre poids, et devient incapable d'identifier les opportunités nouvelles dont des structures plus lestes savent se saisir.

Chefs d'entreprise et théoriciens ont tenté d'adresser cette limite de multiples manières : formes plus sophistiquées d'organisations comme le managementmatriciel, tentatives d'aplatir la structure hiérarchique en la réduisant à 3 ou 4 niveaux, dispositifs d'innovation ouverte rassemblant des équipes hybrides au sein de réseaux non hiérarchiques.

On a vu encore émerger des formes nouvelles de coordination, plus coopératives et plus fluides, telles que l'holacratie ou la sociocratie, ainsi que des organisations ouvertes comme Linux ou Wikipedia.

La blockchain, catalyseur de décentralisation des organisations - Philippe Honigman, Entrepreneur, Fondateur de ftopia
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