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Citation de Ledraveur


« La tentation du Bien est beaucoup plus dangereuse que celle du Mal »
Chaque groupe religieux se caractérise par une manière de voir le monde, de le penser et de s'y comporter. Mais quand la société se dilue, les processus archaïques de socialisation resurgissent et la loi du plus fort gouverne à nouveau. Alors les croyants se replient dans le groupe où ils se sentent protégés. C'est ainsi que se met en place une morale perverse. Les religieux sont solidaires de ceux qui partagent les mêmes croyances, mais ignorent le monde mental des autres et en viennent parfois à se réjouir des malheurs qui frappent ceux qui ne croient pas comme eux, ce qui peut être considéré comme une perversion collective.
En ce sens, le communautarisme est une adaptation à la défaillance culturelle. Quand on ne peut plus fabriquer de structures sociales, quand on se sent mal au sein d'un trop grand nombre d'individus, alors on se réfugie auprès des familiers. C'est une légitime défense, mais dans ce cas l'empathie s'arrête. La capacité à se soucier de la souffrance des autres n'est plus possible dans un grand nombre, on ne peut pas se mettre à la place de tous les humains de la planète ; alors on les laisse mourir.
La culpabilité qui freine nos pulsions aurait donc un effet moral. Quand on découvre que notre désir peut faire du mal à l'Autre, l'empathie freine le passage à l'acte : on ne peut plus tout se permettre. Le tout-petit met plusieurs années pour découvrir que les autres ont un monde mental différent du sien. Ce processus d'orientation vers l'autre ne s'effectue que si l'enfant sécurisé éprouve le plaisir d'explorer un monde différent du sien. Quand la niche affective fonctionne mal, le petit reste autocentré, ignorant que d'autres mondes existent. Il ne parvient pas à comprendre que l'expression sans frein de son désir peut faire du mal à l'autre. Après avoir été pervers jusqu'à l'âge de 4 ans, nous redevenons pervers dans une culture du grand nombre. Le moment de moralité que produit l'empathie se situe entre le faible développement de soi qui rend inaccessible l'altérité et un contexte de surpopulation qui provoque une anomie. Pourrait-on dire que nous sommes des êtres moraux coincés entre deux moments pervers ? Cela expliquerait pourquoi les religions, tout en étant morales, commettent leur part de crime... en toute innocence, et comment toute personne épanouie peut un jour redevenir perverse*.
On a besoin de bordures culturelles pour caractériser le groupe d'appartenance où l'on se sent sécurisé. On a besoin d'un cadre verbal pour énoncer la loi qui définit ce qui est faisable et nous dit à partir de quel comportement on devient transgresseur. À l'inhibition affective acquise au cours de notre développement s'ajoute l'interdit énoncé par la loi. La religion assume ces deux fonctions : le groupe d'appartenance est dessiné par les vêtements, les coupes de cheveux, les lieux où l'on se rencontre, la famille, la société et Dieu. Quant à l'énoncé de la loi, on peut le critiquer quand il est humain, mais l'énoncé divin, lui, n'est pas discutable.
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* Cyrulnik B., Todorov T., « La tentation du Bien est beaucoup plus dangereuse que celle du Mal », Le Monde, 30 décembre 2016.
p. 140-41
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