Citations de Boris Cyrulnik (2335)
Il m'a fallu longtemps pour comprendre qu'avant de se risquer à parler, il fallait d'abord rendre les autres capables d'entendre.
Nous ne nous sentons bien qu’auprès de ceux qui voient le même monde que nous. C’est pourquoi nous prenons place dans un réseau social, un groupe uni autour d’un récit qui induit un sentiment de familiarité.
(page 212)
Alors, enfermé en prison, Jean Genet éprouvait le besoin d'écrire pour s'évader. Dans un contexte de chaleur affective, les mots, pour lui, sont sans saveur. La tombe, la prison, les égouts leur donne une odeur. C'est dans le noir qu'on espère la lumière, c'est la nuit qu'on écrit des soleils.
« Rebelle » signifie « se déterminer par rapport à soi ». C'est-à-dire que, même si cet adulte que je connais bien, dit : « Ça, c'est important ! », moi âgé seulement de trois, six ou onze ans, j'ai ma petite idée sur la question, et je pense autrement ! « Rebelle », ce n'est donc pas « opposé », ce peut même être « D'accord, mais pas jusqu'à la dépersonnalisation ! » Aujourd'hui encore, je suis toujours gêné par ceux qui récitent trop bien la doxa, le discours convenu, les stéréotypes. Les croyants m'inquiètent, les douteurs me rassurent. J'éprouve le même sentiment pour nos collègues qui se soumettent à toute récitation, qu'elle soit biologique, psychologique ou sociologique. Les bons élèves me dérangent. C'est peut-être cette réaction qui explique mon cheminement atypique.
p. 83
Sebastian et moi avons été les témoins étonnés de deux
discours enthousiasmants : la vigueur du nazisme dans les années
1930, la générosité du communisme après 1945. Dans notre
expérience d’enfants initiés par la guerre et le côtoiement de la mort,
nous avions déjà compris que deux langages gouvernaient le monde
mental des hommes. L’un qui montait vers le ciel en fabriquant des
images esthétiques ou hideuses, entourées de mots qui donnaient la
fièvre : « Héroïsme… victoire du peuple… pureté… mille ans de
bonheur… lendemains qui chantent. » Ces mots brûlants nous
éloignaient du réel 3. Sebastian (11 ans en 1918) et moi (8 ans en
1945) préférions les mots qui donnent un plaisir discret, celui des
explorateurs qui, en découvrant le monde, dégustent le réel.
Moins on a de connaissances, plus on a de convictions.
La création d'un monde de mots permet d'échapper à l'horreur du réel en éprouvant au fond de soi la plaisir provoqué par une poésie, une fable, une belle idée, une chanson qui métamorphose la réalité et la rend supportable.
Nous habitons un monde interprété par d'autres où il nous faut prendre place.
Tel que relevé pour "Les fils de la pensée" https://filsdelapensee.ch/
« Je vais t’imposer ma loi pour que tu sois heureux », dit le tyran domestique. « Faites ce que je vous dis, vous sauverez votre âme », dit le gourou. « C’est moi ou le chaos », dit le candidat dictateur.
(page 134)
Quand l'Etat est bien organisé et les richesses bien réparties, le besoin de Dieu se relativise. On peut vivre dans un Etat riche où les richesses sont mal réparties et, dans ce cas, certains ont davantage besoin de Dieu.
La poésie est désuète pour ceux qui sont gavés, mais quand le réel est insupportable, elle prend la valeur d'une arme de survie.
En quelques décennies les machines ont envahi les foyers, la télévision engourdit les soirées, les voitures ont augmenté les trajets, les robots transforment les travailleurs de la maison en ingénieurs domestiques et les smartphones composent aujourd’hui un monde virtuel qui améliore les communications et altère les relations.
(page 72)
Il n'y a pas si longtemps, quand un enfant gémissait, c'est à lui qu'on reprochait de ne pas être un homme, et c'est lui qui avait honte. Hier la douleur prouvait la faiblesse du blessé, aujourd'hui, elle révèle l'incompétence du technicien.
La fonction affective de la parole peut nous jouer un vilain tour quand un dictateur s’en sert pour cloner les âmes.
(page 215)
C'est en prison qu'on rêve le mieux la liberté.
Toute littérature totalitaire vise à émouvoir, non pas à développer le sens critique. Il faut galvaniser, enthousiasmer les foules pour les faire marcher comme un seul homme. Quand la raison les amène à douter, le feu intérieur les fait marcher et l'indignation désigne l'ennemi.
On peut se demander par quel mystère les enfants de parents immatures deviennent si souvent des adultes prématurés.
J’appartiens à la famille mentale de Hannah Arendt. Quand elle décrit un homme transparent qui se met au boulot dans son bureau pour éradiquer le Juif, elle ne voit pas un monstre qui assassine, elle dessine un fonctionnaire qui habite l’idée qu’il se fait du Juif et croit faire le bien en organisant la mise à mort de centaines de milliers de personnes.
(page 83)
Vers l’âge de 7 à 10 ans une culture totalitaire peut apporter à l’enfant ce qu’il espère en lui offrant des gratifications merveilleuses : « Je porterai l’uniforme d’Erna et Lisl, nous danserons et nous mettrons au monde des enfants blonds qui donneront à notre peuple mille ans de bonheur. »
(page 15)
Ceux qui s’engagent sur le chemin de la liberté intérieure perdront leurs amis. Ils seront haïs par ceux qu’ils aiment, comme l’a été Hannah Arendt. Penser par soi-même, c’est s’isoler : l’angoisse est le prix de la liberté.